À propos de cette édition

Éditeur
Boréal
Titre et numéro de la collection
Inter - 26
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
151
Lieu
Montréal
Année de parution
1993
ISBN
9782890525696
Support
Papier
Illustration
Caroline Mérola

Résumé/Sommaire

Annie a découvert pendant un cours de yoga qu’elle a la capacité d’effectuer des voyages astraux. Elle n’a cependant pas le contrôle total de ce pouvoir, si bien que lorsqu’elle sort de son corps, elle peut aussi bien voyager dans l’espace que dans le temps sans le vouloir. La voici donc qui se retrouve au Moyen Âge et ce qu’elle y voit (et sent, car cela pue) ne lui plaît pas du tout. Elle assiste à une scène dégoûtante où un roi d’un certain âge s’amuse à tripoter son Infante, une préadolescente qui a été mariée de force à cet homme. Cela ne cesse de préoccuper Annie qui voudrait bien aider l’Infante. C’est pourtant impossible puisqu’elle ne peut pas s’incarner physiquement dans une autre époque, pas plus qu’elle ne peut communiquer avec ces gens. De plus, elle a d’autres soucis non moins urgents à régler au présent car elle vient de se faire un petit copain, Charles-Yves.

Ce dernier, quoiqu’il soit tout à fait gentil et sympathique, est un consommateur de drogue, ce qui inquiète la jeune femme. D’autant plus qu’ayant effectué par curiosité un voyage astral dans l’avenir, elle voit qu’elle sera encore avec son Charles-Yves à l’âge de trente ans, mais elle le voit aussi encore adolescent couché sur un lit d’hôpital et relié à des tubes. Elle en déduit logiquement que celui-ci a été victime d’une overdose. Comment se fait-il alors qu’elle s’est vue évoquer son nom dans une période ultérieure ? S’agirait-il d’un autre Charles ? Elle tente de convaincre son copain de ne plus consommer mais à la suite d’un malentendu, celui-ci essaie de la mescaline et le pire arrive : Charles-Yves sombre dans le coma. Annie entreprend un voyage astral afin de communiquer avec son esprit. Elle voudrait le ramener dans la réalité mais elle échoue continuellement. Elle se retrouve toujours au Moyen Âge assistant à un combat entre le roi libidineux et Brumehaut, un jeune chevalier qui est amoureux de l’Infante.

Charles prend du mieux mais souffre de ce que la docteure nomme un locked in syndrome, c’est-à-dire qu’il est conscient mais incapable de reprendre le contrôle de son corps. Puisque la situation ne paraît pas vouloir s’améliorer, Annie décide de prendre les choses en main. Elle débranche les appareils auxquels Charles est relié, s’enferme dans la chambre d’hôpital et réussit enfin à prendre contact avec son esprit, chose qu’elle n’était parvenue à faire qu’avec Brumehaut qui a comme elle le pouvoir de voyager en esprit. Elle pose un baiser sur les lèvres de Charles et le fait revenir à lui complètement. Plus tard, elle comprendra que Brumehaut et Charles avaient en fait permuté temporairement leurs corps et que c’est pour cette raison qu’elle revenait inévitablement au Moyen Âge lorsqu’elle tentait de contacter son bien-aimé.

Commentaires

Le ton est vif et engageant, Paule Brière sait écrire une bonne histoire qui n’ennuie pas le lecteur. Elle a cependant tendance à user un peu trop souvent d’un style exclamatif qui peut devenir agaçant. Cela peut s’expliquer à la rigueur par le fait que ce roman est écrit sur le mode d’un journal sans date tenu par l’héroïne. Le lecteur doit donc se taper à quelques reprises des commentaires longuets, geignards et courroucés de la part de l’héroïne avant que celle-ci n’explique enfin ce qui l’a mise dans cet état. Annie vit dans un état d’indignation quasi permanent, elle émet des remarques qui se veulent drôles mais qui sont bourrées de préjugés gros comme le bras. Elle est constamment en train de monter sur ses grands chevaux, parfois avec raison lorsqu’elle découvre par exemple que son copain consomme de la drogue. Par contre, quand elle se scandalise de voir un roi d’âge mûr tripoter une fillette, on comprend son horreur mais il faut néanmoins rappeler qu’au Moyen Âge, les notions d’enfance et d’adolescence n’existaient pas, un point que le professeur d’histoire d’Annie lui expose clairement. Cela ne change pourtant rien à l’indignation qu’éprouve la jeune femme.

L’auteure n’hésite pas à aborder des sujets « adultes » tels que le sexe et la drogue mais elle le fait avec compréhension et doigté. En ce sens, Esprit, es-tu là ? appartient au courant du roman réaliste, « social » si on veut, pour jeunes, même si le ressort de l’intrigue tient du fantastique. Paule Brière ne juge ni ne flatte les adolescents. Elle ne les présente ni comme des êtres naïfs, ni comme de jeunes adultes idéaux qui seraient extrêmement brillants et débrouillards, ni comme des êtres à qui il faut faire la morale pour les conduire dans le droit chemin. Elle évite les facilités et les stéréotypes qui gâtent nombre de romans et de films destinés à la jeunesse. Ses ados sont parfaitement au courant des choses du sexe et n’en font pas tout un plat, contrairement à la mère d’Annie qui s’empresse de lui donner un cours accéléré de safe sex ainsi que des condoms tout en se montrant ouverte d’esprit en permettant au petit copain de coucher à la maison. Cette scène est plutôt ironique car les deux tourtereaux, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne semblent pas si pressés de s’envoyer en l’air.

Dans ce même ordre d’idées, Annie n’est pas excessivement catastrophée d’apprendre que Charles-Yves prend de la drogue. Elle est éminemment contre car elle craint pour la santé de celui-ci mais la situation en soi ne lui apparaît pas comme anormale ou extraordinaire. Cela fait partie de l’existence quotidienne de ces adolescents. L’auteure, tout en reconnaissant les dangers que représente l’usage de ces produits puisqu’elle fait subir une overdose à Charles-Yves, se refuse quand même à sermonner. Paule Brière ne juge pas, elle constate uniquement en montrant des situations plausibles, sans négliger d’ajouter une bonne dose de dérision. Par exemple, les parents des deux protagonistes sont passablement caricaturaux. Ils représentent deux positions contrastées : les parents aux idées larges d’Annie et ceux, puritains, de Charles-Yves. Ces derniers s’offusquent de ce que leur fils ait passé la nuit avec Annie. À vrai dire, ils paraissent plus ridicules et facilement portés vers l’hystérie ; on voit donc que l’auteure se positionne davantage en faveur de la tolérance. Annie elle-même est cependant loin d’être une petite fille modèle sur ce point. Elle a un sacré caractère et elle n’est pas entièrement dépourvue d’idées toutes faites. Par exemple, elle est dégoûtée quand son père embrasse à pleine bouche sa nouvelle blonde devant eux. « … je trouve ça un peu indécent quand ils se bécotent devant nous comme si de rien n’était. C’est mon père quand même ! », s’exclame-t-elle. Les personnages me sont donc apparus comme étant assez crédibles, l’humour mis à part.

Ce réalisme s’applique aussi au Moyen Âge de Paule Brière qui n’est pas celui idéalisé de Régine Pernoud ou un Moyen Âge mythifié de fantasy. Paule Brière souligne avec justesse que certaines mœurs de cette époque nous apparaissent comme monstrueuses et que l’hygiène n’est certainement pas la même, ainsi que le lecteur peut le comprendre quand l’héroïne fait part de la puanteur qui règne dans le château. On est cependant en droit de se demander comment Annie peut sentir quoi que ce soit sous sa forme désincarnée. Il me semble aussi qu’elle parvient un peu trop rapidement et trop facilement à sortir de son corps en prononçant simplement le mot « mourlour », contraction de mou et lourd, comme s’il ne s’agissait que d’aller promener le chien dehors.

On ne comprend pas non plus à quoi a servi l’échange d’esprit entre Charlie et le chevalier. En quoi cela a-t-il favorisé la guérison de Charlie et la victoire du chevalier ? Faut-il comprendre qu’en troquant leurs sorts, chacun s’est retrouvé avec une épreuve qu’il pouvait affronter plus aisément que l’autre ? À moins que le but de l’auteure ne soit simplement de faire entendre à son lecteur que Charlie est, malgré ses défauts, chevaleresque et courageux et donc l’homme idéal pour Annie ? Ce n’est pas clair du tout.

Le lecteur peut percevoir dans ce récit une critique du romantisme à l’eau de rose. Par exemple, Annie relate à sa jeune sœur un conte de fées à la Shrek dans lequel le Prince charmant et la Princesse se querellent à tous les jours et ne sont que relativement heureux. Pourtant, l’intrigue apparaît assez fleur bleue, surtout dans sa conclusion. Même si les deux ados couchent ensemble et qu’il s’agit de leur premier amour, les voyages astraux d’Annie dans l’avenir confirment qu’ils vont demeurer ensemble toute leur vie. De plus, l’Infante malmenée trouve un défenseur et un amoureux en la personne du brave chevalier Brumehaut qui combat le roi pour ses beaux yeux. Paule Brière sacrifie donc à l’optimisme tout en prévenant que la vie n’est pas une partie de plaisir.

La principale qualité de cette auteure, à mon avis, est d’avoir réussi à écrire un roman qui est un exemple assez satisfaisant de ce qu’on appelle en anglais l’urban fantasy, telle que la pratique un auteur comme Charles de Lint, un fantastique de type épique qui se glisse, à la manière du fantastique traditionnel (qui vise davantage à provoquer le malaise), dans la réalité quotidienne et très prosaïque des personnages. [DJ]

  • Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 34-36.

Références

  • Anonyme, Littérature québécoise pour la jeunesse 1993, p. 28.
  • Clément, Michel-Ernest, Lurelu, vol. 17, n˚ 1, p. 17.
  • Lortie, Alain, Solaris 109, p. 57.