À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Annie se souvient de ses vacances à la mer il y a longtemps déjà. Un de ses amis, Michel, avait souffert d’un mal étrange après une baignade et s’était retiré dans sa chambre pendant plusieurs jours. Son corps s’était transformé, devenant mou et flexible, et après s’être traîné vers la plage, il avait accouché d’une gigantesque étoile de mer qui avait pris le large.
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Esther Rochon aime les monstres. Il ne saurait en être autrement quand on a été marqué, comme elle à l’adolescence, par l’œuvre de H. P. Lovecraft. Dès ses premiers écrits, Esther Rochon aborde le thème de la monstruosité pour révéler la véritable nature du monstre au-delà des apparences.
Ainsi dans « L’Étoile de mer », ce n’est pas tant la transformation du corps de Michel en étoile de mer qui est monstrueuse que ce que cette métamorphose révèle de la société dans laquelle vit Annie. Avec une économie de moyens remarquable, l’auteure esquisse un monde divisé en deux à la suite d’une guerre atomique. Les habitants du Nord ont été exposés à des radiations qui ont endommagé le code génétique de l’espèce humaine et ils ont engendré des monstres. Les parents de Michel venaient du Nord, ce qui explique sa transformation. Au Sud, on traque systématiquement les monstres, leur refusant le statut d’être humain, alors qu’on les tolère au Nord.
À l’image des héros de Rochon, Annie est une agente passive du changement. Son attitude attentiste se révèle malgré tout une prise de position puisqu’elle ne s’oppose pas aux événements. Elle n’intervient pas auprès de ses amis qui vont dénoncer Michel aux policiers tout comme elle ne contrecarre pas la lente migration de celui-ci vers la mer – elle lui ouvre même la porte du chalet. Annie ne se pose pas en objecteur de conscience mais par sa passivité – ou son indécision –, elle sauve le monstre.
La finale témoigne subtilement de la manière par laquelle l’auteure, à travers le personnage d’Annie, son alter ego, arrive à ses fins. Un des amis de la jeune fille, Victor, lui reproche d’avoir laissé s’enfuir Michel. L’autre garçon l’excuse : « Ce n’est qu’une fille. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait. » Plutôt que de protester, Annie utilise à son avantage les préjugés à l’égard des femmes pour commettre un acte subversif. Le féminisme revendicateur ou militant n’est pas la tasse de thé des personnages féminins d’Esther Rochon mais ils n’en sont pas moins féministes.
Chez Rochon, les monstres sont de prime abord repoussants mais il s’en dégage peu à peu une beauté étrange. Ici, la transformation de Michel est présentée comme un processus de régression vers l’origine, l’espèce humaine descendant des échinodermes. L’auteure repoussera les limites de l’expérience de la monstruosité physique dans son roman Coquillage en y développant les rapports affectifs qui lient le nautile aux humains.
« L’Étoile de mer » est une belle entrée en matière dans l’imaginaire particulier d’Esther Rochon. [CJ]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 339-340.