À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Serge Féneau a tout de l’homme ordinaire et parfaitement intégré à sa société. Mais c’est aussi un homme en danger de mort, parce que paria, depuis que le ministère de la Politique humaine a promulgué le décret anti-F, en vertu duquel les individus dont le nom de famille commence par la lettre f doivent disparaître. Serge Féneau, jusqu’alors citoyen exemplaire respectueux du système, aura désormais à batailler durement pour rester en vie.
Commentaires
Dans « “F” comme dans Féneau », nouvelle à saveur dystopique, Somcynsky met en scène un monde aseptisé, déshumanisé et ultrasécuritaire, où les grands problèmes sociaux et économiques sont jugulés en raison d’une démocratie à géométrie variable. Mais la quasi-perfection de ce monde entraîne un autre problème : celui de la régulation de la démographie. Aussi l’État crée-t-il périodiquement, se reposant en cela sur la pseudo-scientificité de ses ordinateurs, des « indésirables » que leurs concitoyens sont invités à éliminer. Féneau a d’ailleurs été lui-même témoin de quelques exécutions sommaires qui ont eu lieu au grand jour, et sans que les policiers interviennent, encore !
Afin d’échapper à un assassinat programmé, notre homme se voit forcé d’abandonner emploi et logis, de fuir ses amis puisque la délation est partout. Dans son errance de nouveau SDF, il rencontre divers personnages, dont un groupe de rebelles qui s’évertueront à parfaire l’éducation politique de ce narrateur peu contestataire, même s’il compte désormais parmi les innocentes victimes du régime. Avant les « F », les individus âgés de trente-cinq ans avaient aussi constitué une population à abattre. Autre décision absurde et incompréhensible, pourtant considérée – au premier chef par Féneau, ci-devant coupable d’aveuglement volontaire –, parce qu’issue des algorithmes des ordinateurs, comme logique et objective, et ce faisant, acceptée comme parole d’évangile.
Dès lors qu’il est en cause, Féneau comprend toutefois qu’il y a nettement quelque chose de pourri au royaume du Danemark, que le système a sans doute déraillé. Sa seule issue (croit-il) : parvenir à falsifier, de façon crédible, ses pièces d’identité, se débarrasser de cette lettre qui le stigmatise à la manière d’une étoile jaune. Et lorsqu’il réussit enfin, le décret anti-F vient d’être remplacé. Pour son plus grand malheur, les « B » sont les nouveaux parias…
Bienvenue en Absurdie, zone sans issue, nous dit Somcynsky dans cette nouvelle empruntant à Kafka et à Orwell. D’ailleurs Serge Féneau, antihéros par excellence, a des airs du Joseph K. du Procès et du Winston Smith de 1984, en plus velléitaire (il veut sauver sa peau, mais ne songe pas à remettre le système en question). Années 1970 aidant, Somcynsky ajoute à sa critique de la bureaucratie appliquée sans discernement un regard peu amène sur le technicisme triomphant. Et au final, « “F” comme dans Féneau » apparaît comme une réflexion sombre sur une société carburant à l’arbitraire, à l’épuration et à une violence latente qui trouve son exutoire dans le meurtre institutionnalisé. On regrette seulement que la nouvelle s’étire quelque peu. [FB]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 371-372.