À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Les deux Messagers du Gouverneur, un homme et une femme, arrivent à la ville et apposent des affiches annonçant la menace qui plane désormais sur les habitants. Ceux-ci disposent de vingt-deux mois pour résoudre l’énigme du Livre des onze ponts sur les onze lacs. Tenter de résoudre cette énigme, c’est jouer sa vie ; mais si personne ne parvient à la résoudre, tous les habitants seront exécutés.
Des habitants tentent de s’enfuir la première nuit ; capturés par les Hommes à la tête de sable, qui accompagnent les Messagers, ils sont châtiés sur la place publique. Une scie rotative les entaille, mais elle se borne à leur lacérer la plante des pieds ; leur vie est épargnée.
Leiris, comme tout le monde, a assisté au supplice. Cet homme originaire du pays de la Statue, en marge du reste de la ville, fumeur de chanvre, profondément libre, est fasciné par le défi comme par ceux qui viennent le poser. Il va contempler l’objet que les Messagers ont installé. Il s’agit d’un jeu, comptant quinze figurines qui se déplacent dans un labyrinthe. Le but du jeu, que l’on doit jouer seul, est de faire se rencontrer la Vierge et le Voyageur, en évitant les neuf Dragons qui leur sont opposés et en profitant des quatre autres pièces plus ou moins hostiles. Le joueur doit faire se mouvoir chaque pièce à son tour, selon des règles compliquées. Par exemple, la Vierge peut être touchée par un Dragon jusqu’à vingt et une fois, mais la 22e touche est fatale. Il s’agit donc d’un puzzle où le joueur peut facilement se fourvoyer.
Personne ne s’essaie au jeu tout d’abord. Leiris rencontre la Messagère sur la plage, elle le ramène à la villa où elle loge avec son collègue. Leiris se met à fréquenter les deux Messagers, à la consternation de son amante Alanis.
Après bien longtemps, deux personnages importants de la ville finiront par s’essayer au jeu. Le Maître d’abord, qui échoue et qui est mis à mort à la scie dans un long et horrifiant supplice. Puis deux mois après, c’est au tour du Navigateur, qui rencontre le même destin. Un plan s’élabore : creuser un tunnel pour s’échapper de la ville. Leiris n’est pas mis au courant : les habitants ne lui faisaient déjà pas confiance, et on sait qu’il fréquente les Messagers. L’évasion de masse est tentée lorsque le tunnel est terminé ; le pays voisin, où émergent les réfugiés, refuse de les accueillir et ils sont ramenés de force à la ville.
Finalement, la veille de la date fatidique, Leiris s’essaie au jeu. Il joue vite et bien, et tous les espoirs sont permis quand il s’interrompt net, va voir son ami Zamco le métis, puis retrouve Alanis et fait l’amour avec elle. Leiris espérait ainsi que les habitants de la ville se libèrent de leur vision étriquée du monde, qu’ils remettent en question l’ordre établi. En vain, hélas ! Il retourne alors au jeu, termine et gagne la partie, rachetant la vie des citadins et gagnant leur acceptation.
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Commentaires
Lire ce roman, c’est comme mordre dans une épaisse tranche de viande : c’est goûteux, juteux, ça se mastique longtemps avant d’être digéré. Agréable contraste avec tant de productions de l’époque en SFFQ… On est ici dans l’œuvre d’un véritable écrivain, que l’on soit d’accord ou pas avec les idées qui l’imprègnent. Je noterai d’ailleurs que, contrairement à la plupart des romans que j’ai eu à recenser pour cette livraison de L’ASFFQ, La Faim de l’énigme est encore disponible dans la collection générale de la Grande Bibliothèque.
Patrick Straram est une figure que j’avoue ne pas avoir connue autrement que de nom jusqu’ici : un artiste engagé, à l’histoire complexe, et dont les autres œuvres sont très autobiographiques. Ce livre-ci, dans sa version finale, a été remanié pour en retirer justement les éléments autobiographiques. Cela en permet une lecture plus naïve, mais plus pure peut-être, par la lentille de la SFF.
Sur ce plan, de mon point de vue, c’est une réussite. Le roman a très bien vieilli : il réussit à atteindre une intemporalité par son évocation de tensions fondamentales à l’existence humaine. Certes, on peut bien y voir une analyse marxiste, une exaltation de la contre-culture, et tout ça : ce qui vient me chercher est plus fondamental. La question de la liberté individuelle et collective. Le rejet des marginaux par une société pourrie de conformisme bêlant, le désir d’authenticité, la recherche de la vérité, le refus des schèmes de pensée étriqués. Que la déclinaison propre à Straram relève de son époque, et alors ? Le talent de l’auteur va plus loin que ces détails. Je crois que c’est la première fois qu’un livre a pu séduire le petit-bourgeois constipé que je suis par la description d’une nuit passée à fumer le chanvre.
Il y a des pistes que l’on pourrait choisir de creuser ici : essayer de « décoder » le texte, de le réduire à une allégorie (le Pays de la Statue est-il les États-Unis ?), ou un manifeste marxiste, ou les reliefs d’une auto-glorification narcissique par un auteur en rupture puérile avec la société de consommation qu’il parasite en pratique. Je laisserai cela à d’autres. J’ai été conquis par la belle écriture, par les personnages provoquants même s’ils sont schématiques, par les descriptions minutieuses du jeu qui ont fait vibrer ma fibre de geek. J’ai trouvé dans ce livre une fable aux multiples interprétations possibles, traversée par le désir de liberté comme par un vent frais.
On trouvera pas mal de philosophie poussée dans ces pages, et je n’ai pas toujours pu suivre la pensée de l’auteur. Il m’aurait fallu soigneusement relire, au risque de trop bien comprendre et de décrocher complètement ; le mysticisme et la philosophie de haute voltige ne rejoignent pas mon esprit trop prosaïque – je ne m’en excuse nullement d’ailleurs. C’est dans des détails plus concrets que le livre fonctionne pour moi. Ainsi Leiris parvient-il à résoudre l’énigme parce qu’il ne force pas la Vierge à fuir les Dragons : il la déplace au contraire vers eux, il accepte qu’elle subisse leurs touches. La victoire ne s’obtient qu’en courant le risque de tout perdre. Cette sagesse-là, je la lui reconnais sans hésitation. [YM]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 378-380.
Références
- Basile, Jean, Le Devoir, 30-03-1991, p. D-3.
- Janelle, Claude, Livres et Auteurs québécois 1975, p. 88-90.
- Janelle, Claude, Solaris 29, p. 6-7.
- Lamontagne, André, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec V, p. 331-332.
- Martel, Réginald, La Presse, 07-04-1991, p. C1 et C2.


