À propos de cette édition

Éditeur
L'Opinion publique
Genre
Fantastique
Longueur
Feuilleton
Paru dans
L'Opinion publique, vol. III, n˚ 8
Pagination
94
Lieu
Montréal
Support
Papier
Date de parution
22 février 1872

Résumé/Sommaire

Le mécréant Cyprien Roussi mène une vie dissolue, à boire et à clamer son athéisme. Un jour, il rend visite à la sage Marie, « ni belle ni laide », pour lui conter fleurette. Mal lui en prend. C’est plutôt lui qui se fait enguirlander, tant et si bien qu’en trois semaines, Marie accomplit ce à quoi les curés avaient renoncé : amener Cyprien à se confesser, à communier et à s’assagir. Elle avait un argument dont les prêtres ne disposaient pas : en échange d’un serment de ne plus boire, elle accorde sa main à l’ex-vaurien.

On les retrouve quinze ans plus tard parents d’un robuste garçon destiné au collège classique. Un drame survient toutefois : Marie meurt accidentellement, non sans rappeler son serment à son époux. Celui-ci chutera cependant, entraîné par un ancien compagnon de beuverie : saisi par le froid durant une expédition de pêche, Cyprien accepte de boire une rasade de rhum pour se réchauffer. Une vague fait chavirer la barque, père et fils meurent noyés. Depuis, on peut apercevoir sur la baie des Chaleurs, par veille de mauvais temps, une flamme bleuâtre, le feu des Roussi.

Commentaires

Comme il y a peu à dire sur ce récit au style neutre, au ton sentencieux et à l’humour discret, on peut profiter de son caractère typique pour dégager certaines constantes de cette littérature où abondent les mécréants. Si les dévots l’emportent généralement en nombre (curés, bonnes gens, commères), les impies gagnent toujours sur le plan de la visibilité, car leurs personnages sont plus développés et – à coup sûr – plus colorés.

Quelques traits récurrents méritent d’être soulignés : les mécréants (quand ce n’est pas le diable lui-même) sont toujours beaux, bien faits, élégants, bons vivants ; même chose pour les femmes immodestes. En revanche, les braves filles ou les bons gars sont souvent taciturnes, ordinaires d’apparence, sinon carrément moches (même si ce n’est pas écrit en toutes lettres). La beauté est donc suspecte (un indice qui ne trompe guère : la bouche sensuelle).

Autre caractéristique des contes édifiants : au nombre des vices des personnages destinés au châtiment figurent toujours en bonne place l’indépendance d’esprit, la propension à rire et à se moquer (particulièrement des dévots), le goût de la fête (danser, boire, faire la cour – on n’en dit pas plus). Le lecteur de cette fin de millénaire a donc de la société canadienne idéalisée du dix-neuvième une image aussi terne que celle dégagée par certaines communautés fondamentalistes d’Amérique : le plaisir y est mal vu, même dans ses expressions les plus élémentaires comme la musique, le rire, le souci de l’apparence physique.

Certes, la littérature du XIXe siècle était écrite par les élites : historiens, notaires, hommes de lettres, tous issus des collèges et des séminaires. Il aurait été intéressant de lire une littérature produite par des petites gens (si les petites gens avaient su écrire, bien entendu) pour voir s’il y aurait eu de subtiles (ou pas si subtiles) différences dans le ton et dans le propos. [DS]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 76-77.