À propos de cette édition

Éditeur
Triptyque
Genre
Fantastique
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
106
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Commentaires

Figures du temps est le sixième livre de Bibeau, un nouveau recueil de ses textes courts. Qu’on se rappelle qu’il avait commencé sa carrière d’écrivain en publiant, entre 1970 et 1980, quatre romans, quoique Fréquences interdites, le dernier en date, fusse plutôt un recueil de deux novellas. Depuis ce titre, Bibeau s’est tourné résolument vers la nouvelle, à preuve ses deux dernières parutions, La Tour foudroyée – voir L’ASSFQ 1985 et ce recueil dont nous parlerons ici.

Assemblage de six nouvelles inédites ou parues dans la revue littéraire Mœbius, Figures du temps continue l’exploration entreprise depuis bientôt deux décades par l’auteur. Encore une fois, ses textes tournent autour du mythe chrétien, de la morbidité, de la cruauté et de la sordidité qui peuvent s’y rattacher. Ses personnages, louvoyant continuellement dans ce pentagone maudit du centre de Montréal dont le point central pourrait se trouver non loin de l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, se trouvent continuellement confrontés au Malin et à ses œuvres. Face à cette intrusion du Mal dans la société québécoise, ils s’inquiètent, réagissent, se débattent, quoique en pure perte. Le Mal est incrusté depuis trop longtemps, semble nous dire l’auteur, rien ne peut plus le déloger. Pire, le voilà qui prend de l’assurance, qui dévoile de plus en plus ouvertement sa face vérolée et abjecte, qui injecte son venin dans la tête des pauvres citoyens sans défense de ce monde pourri.

Dans ce climat d’apocalypse où les prophéties ont beau jeu à se manifester ouvertement, l’auteur fait figure d’ethnologue, promenant son personnage de voyeur, de recenseur blasé qui semble nous dire, de par son stoïcisme, que lui, il y a longtemps qu’il a compris, qu’il ne paniquera pas quand la terreur s’abattra sur tous. Délaissant d’ailleurs pour une fois l’anonymat, Bibeau se met lui-même en scène, suivant pas à pas l’étrange clochard de « Il était un roi… » Mais le lecteur n’est pas dupe et il a reconnu l’auteur dans son personnage scrutateur des autres textes.

Seule exception à la règle consistant à assister aux événements en tant que témoin, « Les Aveux indiscrets d’un robot dormant », où le personnage principal se voit happé par les événements, transformé, transmuté et finalement pris au piège d’une machination diabolique. C’est d’ailleurs, quant à moi, le meilleur texte du recueil même s’il pêche autant que les autres par son manque de rigueur, l’imprécision de sa construction et la pauvreté de son écriture. Par contre, cette façon d’amener directement le personnage au cœur même de l’action, de le faire participer au lieu de regarder, densifie l’effet. De plus, les accents vaguement dickiens apportent un nouvel attrait à la thématique de l’auteur. Ici, le Malin se révèle encore plus torve que jamais, mais surtout beaucoup plus original dans sa démarche pour tromper le pauvre humain. En un mot, le Malin s’adapte à une vie plus moderne, délaissant pour une fois ceux qui sont encore engoncés dans le mythe chrétien pour s’attaquer à ceux qui – et ils sont diablement plus nombreux ! – sacrifient au mythe américain et à ses œuvres.

Outre ce texte où on dénote une nette évolution, le reste du recueil ressemble beaucoup trop au précédent, répétant les recettes déjà connues et, surtout, les structures. Mais peut-être Paul-André Bibeau est-il à la veille d’une nouvelle évolution, d’un nouveau bond quantique dans l’exploration de cet imaginaire qui le caractérise et le range dans la catégorie des écrivains obsessionnels, aussi attendrons-nous encore avec un certain espoir le prochain volume qu’il voudra bien faire paraître. Car Paul-André Bibeau est ce genre d’écrivain qui, à force de creuser un même sujet, finit par en atteindre l’essentiel… quelquefois même sans s’en apercevoir. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 36-38.

Références

  • Jeanoël, André, Nos livres, juin 1988, p. 30-31.