À propos de cette édition

Éditeur
La pleine lune
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
148
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[4 FA ; 7 HG]
Bateau de papier
Rouge novembre
La Dame de pique
La Nuit des étoiles filantes
Imposture
Emma
Inventaire
Fait divers
L’Île de la Douce
Soleil couchant
Le Fils d’Ariane

Autres parutions

Commentaires

Il faut parfois se méfier de ses premières impressions. Je n’espérais pas monts et merveilles du recueil de Micheline La France, Le Fils d’Ariane, car j’avais lu auparavant dans XYZ l’une des nouvelles qui en font partie, « La Nuit des étoiles filantes ». Je n’avais guère été impressionné par ce texte et ne l’ai pas été davantage à la relecture même s’il s’intègre très bien dans la tonalité et dans la matière qui caractérisent le recueil. De plus, sachant que l’auteure est la fille d’Henri La France qui a écrit deux romans ineptes, À l’aube du verseau et Les Capsules du temps, une vive appréhension était permise.

Je dois le confesser, Le Fils d’Ariane a débouté mes préjugés et m’a procuré par moments un véritable plaisir de lecture. L’auteure excelle dans la description d’existences banales qui se déroulent sans heurts jusqu’au jour où un événement inattendu dérègle les rouages bien huilés de la routine. Cet événement inattendu peut prendre la forme d’une rencontre de l’âme sœur, d’une disparition d’un être familier, d’un accident, d’une arrivée d’une personne étrangère dans un milieu fermé, d’une manifestation de phénomènes paranormaux.

Il y a en effet deux types de nouvelles dans le recueil de Mme La France qui en compte onze : les nouvelles réalistes et les nouvelles fantastiques. Chacune d’elles ayant comme point de départ la réalité quotidienne la plus banale, c’est donc le traitement et la nature des faits imprévus qui orientent le développement des nouvelles dans l’un ou l’autre registre. Je trouve que Micheline La France est plus à l’aise dans les nouvelles réalistes où elle parvient à tout coup à nous surprendre et à nous émouvoir. Par contre, quand elle s’aventure dans le fantastique, sa production est plus inégale, deux nouvelles seulement sur quatre étant réussies, à mon avis.

C’est que l’art de la nouvelliste repose sur l’observation des habitudes quotidiennes et sur la justesse de l’analyse psychologique de ses personnages même si celle-ci n’est pas aussi élaborée que dans un roman. Quand le texte prend une orientation fantastique, l’auteure perd ses meilleurs atouts parce que la psychologie et surtout la logique ne sont d’aucune utilité pour expliquer les causes de ce basculement dans l’irréel. Elle doit se fier uniquement à sa sensibilité car elle ne peut proposer d’explication.

« Rouge novembre exprime » bien, me semble-t-il, l’écueil qui guette Micheline La France. Ce personnage de fonctionnaire effacé et indispensable nous est présenté avec un souci du détail assez remarquable qui s’accorde peu avec la transformation inexplicable et mystérieuse de l’employée Suzanne Marcil à la fin de la nouvelle. Que signifie cette métamorphose de la sténodactylo en une espèce de baudruche énorme ? Tout cela apparaît artificiel puisque rien dans le comportement du personnage ne laisse présager cette transformation très peu crédible. On sait bien que la solitude de Suzanne en est la cause mais comment croire qu’elle ait pu choisir cet exutoire pour s’exprimer ? Je ne vois vraiment pas le rapport.

Ce côté arbitraire m’agace comme m’agace aussi cette convention romanesque qui fait de Nicolas Bertrand une incarnation humaine d’une étoile filante. Le recours au fantastique merveilleux ne répond pas vraiment à une exigence interne du récit. L’auteure aurait pu en faire l’économie et son portrait de l’enfance, qui lui sert de prétexte pour dénoncer l’intolérance et la cruauté dont sont également capables les enfants, aurait été encore plus percutant.

Par ailleurs, dans « L’Île de la Douce et dans « Le Fils d’Ariane », Micheline La France nous livre deux nouvelles très bien maîtrisées. La première emprunte son ton à la légende et évoque le fantastique mâtiné de merveilleux propre aux récits du XIXe siècle, proches de la tradition orale. Il s’agit d’une belle et tragique histoire d’amour nourrie par la passion et la folie. L’auteure fait vibrer en nous la corde romantique, sait jouer avec modération du style lyrique en évitant le piège du lourd symbolisme poétique dans lequel s’enferre trop souvent un auteur comme Pierre Châtillon dans ce genre de récit.

« Le Fils d’Ariane » est une nouvelle envoûtante dont le personnage principal passe d’une réalité à une autre. L’utilisation de la deuxième personne du singulier – le narrateur s’adresse à sa mère – crée une intimité favorable et décuple l’efficacité dramatique. Rodolphe est en quelque sorte un shining. Il a en lui plusieurs personnalités qui se combattent. Ces phénomènes cessent quand Rodolphe rencontre Louise. « L'amour faisait de moi un être normal. » (p. 142) Mais Louise le quitte…

L’absence d’amour, la solitude, le manque d’affection, la perte d’identité, voilà le drame des personnages de Micheline La France, le fil conducteur – pour ne pas dire le fil d’Ariane – de chacune des nouvelles du recueil. Le milieu social n’y change rien : le drame est le même chez les bourgeois comme chez les prolétaires même si on sent que l’auteure éprouve plus de sympathie pour ces derniers. Elle est résolument du côté des petites gens. Ainsi, dans « La Dame de pique », Micheline La France brosse un tableau féroce des mœurs bourgeoises du début du siècle. La sainteté de Madame Hortense cache bien des défauts, un monstre d’hypocrisie et de bigoterie. La chute est tout à fait inattendue et s’inscrit dans la grande tradition des histoires romanesques mélodramatiques. Ce récit amer exhale un parfum de scandale qui rappelle l’atmosphère lourde des romans de François Mauriac et de Julien Green. Une réussite incontestable !

Malgré la petitesse de leur vie et le désert affectif auquel ils sont destinés, les personnages de Mme La France ont le sens du tragique et vont au bout de leur destin. Armande Sylvestre, dans « Soleil couchant », vit jusqu’à la limite sa rêverie éveillée, de sorte que son suicide s’insère dans la suite logique du rêve qu’elle s’est fabriqué de toutes pièces. Même chose pour Suzanne Marcil, pour les jumelles Émilie et Marie dans « Emma », pour le vieux Lindberg qui vit dans le passé, accroché au souvenir de la Douce. L’auteure démontre une belle générosité à leur égard. Le personnage masculin d’« Emma » est touchant dans sa quête de l’âme sœur en dépit de son égocentrisme et de ses travers de vieux garçon. Ce récit sur la gémellité, un peu invraisemblable dans ses rebondissements, est aussi une réflexion sur l’identité.

Même si Le Fils d’Ariane scrute les rapports affectifs entre les hommes et les femmes, l’auteure ne cherche pas à distribuer les torts à l’un plus qu’à l’autre. Sa démarche n’est animée par aucune volonté de régler le vieux contentieux entre les deux sexes et s’élève au-dessus de l’antagonisme condition masculine / condition féminine. C’est la condition humaine qui l’intéresse. Son recueil participe donc d’une approche post-féministe. L’écriture fuit les effets de style pour mieux épouser le sort pathétique des personnages. Sobre et efficace avant tout, il n’y a que dans la nouvelle éponyme qu’elle délaisse la simplicité pour une esthétique plus moderne.

Je le redis en toute modestie, Micheline La France, avec Le Fils d’Ariane, a vaincu toutes mes résistances, à tout le moins comme écrivain réaliste. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 102-105.

Références

  • Bayle, Françoise, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 348-350.
  • Boivin, Jean-Roch, Montréal ce mois-ci, avril 1987, p. 16.
  • Desrosiers, Sylvie, Le Matin, 06-02-1987, p. W16.
  • Fiore, Francine, Allure, septembre 1987, p. 8.
  • Mativat, Daniel, imagine… 40, p. 97-98.
  • Rioux, Hélène, Le Journal d'Outremont, avril 1987, p. 53.
  • Saint-Pierre, Louise, Solaris 75, p. 52.