À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[2 FA ; 2 HG]
Les Fleurs noires
Julie
Quelques scènes de la vie de Bernadette
Colette ou J'ai tourné en rond autour d'une ombre
Commentaires
Boire de l’eau, c’est important. C’est important pour se conserver hydraté ; mais l’eau, pour peu que vos services municipaux aient un minimum de qualité, ça demeure essentiellement sans goût, nonobstant ce qu’en pensent les snobs qui dégustent des eaux embouteillées depuis des mois en pérorant sur leur prétendue pureté. Sans goût, insipide – exactement comme les nouvelles fantastiques de Bernard Noël qui, comme les zigotos qui dégustent de l’eau trop cher dans des bouteilles cool dans des bars branchés-mais-sans-alcool-parce-qu’y-vendent-de-l’eau-à-la-place, pérore en croyant être un dieu de la stylistique alors qu’il ne l’est pas.
Je pèse mes mots : Bernard Noël écrit de manière détestable, de ce même détestable qui rend le commerce de l’eau embouteillée si florissant. La construction de ses phrases est une ode à l’enflure. Tout y est ampoulé et surabondant, comme une sorte de pastiche moisi de ce qui se faisait de bien au XIXe siècle, mais gonflé comme le Hindenburg et au demeurant tout aussi catastrophique. Les phrases sont longues, trop longues, et si labyrinthiques qu’on en vient à chercher un fil d’Ariane dans tout ce fatras syntaxique. C’est tarabiscoté, ronflant, généralement sentencieux et d’une lourdeur qui n’est autre que celle de l’étudiant qui veut trop en faire, de l’écrivain débutant ou amateur qui aurait dû bénéficier d’un mentorat avant de publier un tel torchon prétentieux.
J’écris « prétentieux », et c’est précisément ce que cette stylistique évoque, tant elle cherche à trop à en mettre plein la vue, en filant des métaphores et des allégories sur quatre lignes là où un seul mot aurait suffi. C’est pédant. C’est chiant. Et on se demande quel nono chez Pierre Tisseyre a cru que ce serait une bonne idée de publier ça, comme on se demande quel nono a cru que ce serait une bonne idée d’ouvrir un bar qui vend de l’eau, bien qu’elle soit gratuite dans toutes les chaumières.
Surtout que de l’eau, ça ne goûte rien. C’est même l’une de ses propriétés physico-chimiques. Il faut lui rajouter des trucs pour qu’elle goûte quelque chose – ça s’appelle un soluté. Bernard Noël, lui, aime son eau presque pure. Alors il n’ajoute rien à son eau, ou pas grand-chose, hormis, bien sûr, une bouteille clinquante à la forme idiote – le contenant, dont on a déjà fait le procès. Et le contenu, bah, il est insipide. Comme l’eau.
Le fantastique de Bernard Noël est moche, sans surprise, reposant en bonne partie sur les topoï du deuil, de la folie et de l’autodestruction pour (tenter de) créer une atmosphère. Sauf que d’atmosphère, il n’y a pas. Ou du moins, elle ne lève pas, elle ne se tisse pas dans l’imaginaire du lecteur, à un point où celui-ci peine à enregistrer ce qu’il lit, tant l’ensemble est commun, maladroit et sans originalité. Une fois le livre refermé, on a vite fait de l’oublier.
Des quatre nouvelles que compte le recueil, deux sont fantastiques (« Les Fleurs noires » et « Julie »), et ce sont-là les deux moments les plus faibles du volume. Car si le genre qui nous intéresse a fourni son titre à l’ouvrage, ce sont les nouvelles historiques qui y sont les plus notables (« Quelques scènes de la vie de Bernadette » et « Colette ou J’ai tourné en rond autour d’une ombre »), l’auteur étant nettement plus à l’aise dans leur composition. Comprenons que les moments les plus intéressants du livre proviennent des dialogues en style indirect libre, lesquels confèrent un bouquet folklorique (et un brin ironique) à l’ensemble, et siéent beaucoup mieux aux « Quelques scènes de la vie de Bernadette » qu’aux « Fleurs noires ». Et ce qui est dommage, c’est que l’emploi quasi systématique des points de suspension dans les dialogues vient plomber ce qui apportait pourtant un contraste rafraîchissant aux phrases inutilement ampoulées qui gangrènent la narration. Chaque parole d’un protagoniste semble invariablement se terminer par cette ponctuation. Ça n’a aucun sens, et c’est – ai-je déjà écrit détestable ?
Un mot, avant de terminer, sur la fascination de l’auteur pour le sexe lesbien, présent dans la finale de « Julie » autant que dans « Colette ou J’ai tourné en rond autour d’une ombre ». Pour tout avant-gardiste qu’il puisse paraître dans une œuvre éditée en 1977, l’amour entre deux femmes et son butinage consommé est ici maladroitement éclipsé par le voyeurisme masculin qui suinte des pages. Nous n’avons pas affaire à une passion amoureuse homosexuelle, mais à un homme qui se masturbe devant un bête porno. J’ai mentionné que c’était moche ?
Allez, à chacun son verre d’eau. [MRG]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 315-317.
Références
- Laferrière, Angèle, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VI, p. 338.