À propos de cette édition

Éditeur
Ashem Fictions
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Pot-Pourrire
Pagination
10-14
Lieu
Saint-Hyacinthe
Année de parution
1996
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Après un congrès d’auteurs de science-fiction, un groupe d’écrivains se réunit chez une collègue pour s’adonner à une activité de création entre amis. Parmi eux se trouve un jeune homme qui espère depuis longtemps s’intégrer au cercle auquel on le convie. D’une timidité maladive, ce dernier ne peut que commettre maladroitement l’impardonnable gaffe : il renverse un verre de liqueur sur le tapis de son hôtesse. À partir de ce moment, la soirée basculera dans l’horreur et le jeune auteur sera inexorablement amené à exécuter l’irréparable geste.

Commentaires

Dans cette courte nouvelle, Patrick Senécal joue sur le concept de timidité et lui fait prendre des proportions exagérées : l’embarras causé par la bévue se transforme en paranoïa, puis en délire hallucinatoire. Le récit est entièrement construit sur cette gradation, jusqu’au basculement dans le fantastique. Horreur ou folie ? On ne saura jamais si le tableau macabre auquel le personnage est confronté est bel et bien réel ou s’il est le fruit de son imagination.

Outre ce crescendo fort bien dosé, la nouvelle adopte une tonalité burlesque qui met en évidence l’aspect pathétique du protagoniste : « Pas capable de rattraper mon équilibre, je vais m’écraser contre la fenêtre, passe à travers et je tombe cinq étages. Et tandis que je vois le trottoir se rapprocher de plus en plus vite, je hurle. Je hurle que je voulais seulement rencontrer des gens, seulement me mettre dans le milieu, seulement… ». Les fidèles lecteurs de Senécal savent que la force de son style réside précisément dans cet amalgame d’horreur et de cynisme, qui lui permet d’exprimer son point de vue critique sur le monde ; ici, c’est l’importance de l’apparence et le culte de la perfection qui exacerbent la timidité maladive du personnage et son incapacité à entrer en communication avec l’Autre. Ce culte de l’apparence est poussé à l’extrême puisqu’on ne lui pardonne pas d’avoir fait une tache sur le tapis, une simple gaffe, pourtant ; d’où le titre, qui met en lumière les défauts d’une société complètement obnubilée par l’aspect matériel. Le côté hyperbolique et saugrenu de la réaction du personnage, qui bascule totalement dans la psychose, amène le lecteur à se distancier de l’horreur pour s’attarder sur la critique vitriolique tapie au sein de la diégèse.

En ce sens, l’auteur opère un intéressant changement de point de vue à la fin du récit. En effet, il fait adopter au lecteur la perception du protagoniste tout au long de la nouvelle, ce qui lui fait épouser sa paranoïa grandissante. Or, après le « suicide accidentel » du jeune auteur, le point de vue imposé devient celui des autres personnages, déconcertés par le geste de leur nouveau collègue. C’est ce qui permet le retour à la normale : la superficialité et l’individualisme des personnes présentes sont alors mis en évidence par la remarque du policier sur la tache de vin encore visible sur le tapis de Nadine :

Le flic regarde la tache une dernière fois.
— Je trouvais que ça dénotait [sic], sur un si beau tapis.

Il salue tout le monde sans un mot, puis sort de l’appartement (p. 14).

Le fait de relever un détail aussi anodin sur les lieux d’une tragédie met donc cyniquement en lumière l’indifférence ambiante par rapport à la défenestration du pauvre protagoniste.

Ainsi, on retrouve, dans ce court texte, la tonalité privilégiée par Senécal dans la récente série Malphas, ciblant les jeunes adultes. Aux dires de l’écrivain, elle avait pour but de rompre avec l’escalade de la violence et du désabusement social de plus en plus évidente dans ses œuvres (on peut penser aux romans Le Vide (2007) et Hell.com (2010), notamment). Renouer avec l’aspect humoristique plus léger de l’écriture de cet auteur est rafraîchissant, et on ne peut que saluer la cohérence de son récit, au sein duquel il installe progressivement une atmosphère oppressante, ce qui constitue indubitablement sa marque de commerce. [JBC]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 177-178.