À propos de cette édition

Éditeur
Guy Saint-Jean
Titre et numéro de la collection
Noir
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
239
Lieu
Laval
Année de parution
1995
ISBN
9782894550038
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Clémentine « Clémy » Lecompte est en voyage en Amérique du Sud, pour sa thèse de maîtrise en psychologie. Elle étudie les sectes et s’est jointe à des célébrations en Argentine. À sa grande horreur, au beau milieu de celles-ci, elle découvre qu’elles impliquent le sacrifice de poupons. Clémy réussit à prendre la fuite. Le lendemain, après une longue marche, elle trouve une habitation où elle est accueillie par un vieux couple, les Garrido. Elle raconte sa découverte ; le vieil homme lui explique que ces adorateurs des ténèbres cherchent à tuer le Fils de Dieu. Il remet à Clémy un médaillon sculpté pour la protéger.

Clémy continue son voyage jusqu’au Chili, au village de Talagante, où une amie d’enfance, Rackella, habite depuis quelques années chez sa tante. Clémy découvre que Talagante est divisé en deux camps, ceux voués à Dieu et ceux dédiés au Diable. La couleur blanche ou noire de leurs pierres tombales révèle leur appartenance après leur mort – bien que pour la plupart d’entre eux, elle ne fait aucun doute de leur vivant. Il en est ainsi de la tante de Rackella, une sorcière qui vend ses incantations. Clémy, en bonne Nord-Américaine, est sceptique, mais ses certitudes sont ébranlées lorsqu’elle visite Carlotta, une villageoise qui se meurt d’une malédiction. Un groupe de pieuses personnes examine chaque maison du village et accuse la tante de Rackella, dont la culpabilité est avérée par un rituel magique. La tante doit annuler sa malédiction, et Carlotta est guérie le lendemain. Peu avant qu’elle décide de revenir à Montréal, un vieil homme livre à Clémy un avertissement de dangers sous la forme d’une prophétie sibylline.

Revenue chez elle, Clémy se sent attristée de l’indifférence de sa société d’origine. Son directeur d’études la houspille pour qu’elle termine sa thèse au plus tôt et lui conseille d’aller visiter une secte locale pour voir le contraste avec les cultes sud-américains. Il lui donne une longue liste de possibilités. Clémy se décide à parler à la police de ce qu’elle a vu en Argentine. Les policiers lui reprochent de ne pas avoir porté plainte à la police argentine au moment où elle a été témoin des événements.

Clémy choisit dans la liste la secte qui a l’air la plus insipide et demande à être initiée. Même si elle ne possède presque aucune information à son sujet, elle ne s’inquiète pas outre mesure : puisque la secte est locale, il lui sera facile de partir quand elle le voudra. Elle est emmenée assez loin de Montréal, dans un bâtiment à la campagne. Le leader de la secte, Saccam, est un personnage inquiétant ; bien vite, Clémy demande à rentrer chez elle. Elle se heurte à un refus catégorique. Pire encore : elle trouve parmi les adeptes présents son directeur, Louis Barcon ! Il avait donc tout manigancé pour la prendre au piège.

Clémy tente de fuir et se retrouve coincée au sous-sol, où seul un ascenseur donne accès et qu’on ne peut contrôler que depuis les étages supérieurs. Abandonnée dans les ténèbres, elle craint de mourir de faim. Mais une autre personne se trouve ici : Julien, une autre victime de la secte qui a tenté de s’échapper et qui s’est retrouvé dans ce cul-de-sac. Julien a dû se défendre face à un second homme, déjà là depuis un certain temps, rendu fou par l’isolement ; il l’a tué. Clémy et lui vont tenter de garder toute leur tête et de trouver une issue. Des jours passent tandis qu’ils cherchent en vain un moyen de s’échapper. Clémy finit par comprendre qu’ils sont dans le sous-sol d’une ancienne école. Elle trouve dans de vieux journaux la mention d’un deuxième sous-sol par lequel l’école communiquait avec un autre bâtiment. Finalement, il s’avère que le cadavre de l’homme qui avait attaqué Julien se trouvait en plein sur la trappe menant à ce sous-sol. Affaiblis par leur long emprisonnement, Clémy et Julien empruntent le passage et débouchent dans un couvent voisin, où les sœurs de la Congrégation les soigneront durant quelques jours.

Tout ce temps, Clémy essaie de rejoindre sa mère, mais celle-ci ne répond pas. Dès qu’elle est suffisamment remise, Clémy revient à Montréal. L’appartement de sa mère semble vide. C’est quand elle appelle sa tante Jeanine qu’elle apprend que sa mère est dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Clémy se rend au chevet de sa mère, Euténia, qui a été défigurée par l’accident. Après des jours encore, Euténia revient lentement à la conscience. Son médecin avertit Clémy qu’Euténia risque d’avoir des difficultés cognitives.

Clémy décide d’emmener sa mère en convalescence au chalet de son oncle, qui est assez loin du plus proche village et qui n’a pas le téléphone. Le comportement d’Euténia inquiète Clémy, qui regrette en plus de ne pas avoir dénoncé la secte de Saccam. Clémy essaie de trouver de l’aide auprès de gens du village, mais simplement s’y rendre devient vraiment difficile car il ne cesse de neiger. En revenant d’une de ces absences, Clémy se rend compte qu’un homme remet depuis le début de leur séjour des lettres à sa mère, l’avertissant du danger que Clémy représente pour elle. Cet homme qui pousse Euténia à sombrer dans la folie en la dressant contre sa fille, c’est sûrement Barcon !

Clémy écrit une lettre à sa tante Jeanine et la remet au facteur juste avant de quitter le chalet. C’est Euténia qui insiste pour conduire ; Clémy découvre que sa mère a tué M. Simon, le villageois qui devait déneiger leur chalet. Euténia envoie la voiture dans le lac ; Clémy échappe à la noyade, mais c’est pour reprendre conscience en présence de Barcon. Alors que tout semble perdu, des policiers se présentent : Jeanine a reçu la lettre de Clémy et averti les autorités.

Commentaires

Ce qui frappe d’emblée dans ce roman, c’est la mauvaise qualité de son écriture. Au moins, elle est grammaticalement correcte et garde un rythme acceptable, c’est déjà ça. Par contre, elle est truffée de faux emplois, défaut typique des auteurs débutants qui tentent de faire littéraire en utilisant un vocabulaire plus recherché mais qui se trouvent à choisir trop souvent les mauvais mots. Ces maladresses constantes exigent du lecteur qu’il ignore ce que l’auteure écrit pour deviner ce qu’elle cherche à faire voir. Violaine Dompierre réussit par moments à écrire des phrases dont le sens se devine même si presque chaque mot est incorrect. Ainsi cette réplique sublime de Rackella qui rabroue Clémy : « Vous, les Nord-Américains, voulez prouver les choses selon un barème préétabli et qui ne doit pas dépasser une certaine mesure. Mais ici, on n’a pas les mêmes que vous ! » Comme si ce n’était pas assez, les descriptions de la nature font systématiquement appel au sophisme pathétique, qui prête des émotions et des motivations aux phénomènes naturels. Ainsi les neiges éternelles refusent fièrement de fondre face aux rayons du soleil…

On laissera donc le style agoniser, tel un poupon fracassé contre un dolmen, pour se préoccuper de la substance. Trouverons-nous mieux ? Pas sûr. Du côté de l’intrigue, c’est affligeant. Clémy se joint à une secte meurtrière sans qu’on lui cherche noise et même sans qu’on prenne des précautions pour l’empêcher de révéler la vérité aux autorités. Apparemment les sectateurs avaient deviné qu’ils se trouvaient en présence d’une cruche parmi les cruches : Clémy n’a pas son égal pour se mettre dans une situation dangereuse sans y réfléchir. Ce n’est qu’après coup qu’elle se dit que ce n’était pas très brillant. Et même là, elle répugne à s’adresser à la police sans qu’on puisse en comprendre les raisons : on pourrait penser qu’elle a peur des policiers, mais on a en même temps l’impression qu’elle oublie simplement de le faire. Pas facile d’être l’héroïne d’un roman d’horreur, ce qui nous condamne à prendre tout le temps les pires décisions. Je n’ai pu que soupirer dans la troisième partie quand Clémy décide de partir avec sa mère pour un chalet isolé sans communication avec le monde extérieur, alors même qu’elle se croit épiée par un fou dangereux. Les machinations de Barcon unifient un peu les trois sections, mais autrement elles sont très disjointes et ne forment pas un tout supérieur à la somme de ses parties.

On ne peut pas dire grand-chose des personnages autres que Clémy. Le malfaisant Barcon est un antagoniste aux motivations incertaines en fin de compte – on aurait pu croire qu’il voulait asservir sexuellement Clémy mais il la laisse mourir de faim dans le sous-sol sans essayer de l’en sortir. La mère de Clémy est peu décrite et on s’attarde surtout à sa chute dans la démence. Quant à Rackella, pourtant une amie de longue date, elle est parachutée dans l’intrigue et en sort dès que Clémy quitte l’Amérique du Sud. Il n’y a presque aucune trace de la grande amitié qui a lié les deux jeunes femmes pendant la moitié de leur vie. De même pour Julien, qui est escamoté une fois que Clémy revient à Montréal ; dans un roman mieux construit, on aurait pu s’attendre à ce que ces deux personnages jouent un rôle par la suite.

Oublions tous ces détails, qu’en est-il de l’horreur ? Car Les Gardiens des ténèbres est un roman d’horreur ; on pourrait peut-être lui pardonner tout le reste s’il suscitait en nous le frisson glacé qui fait les délices des amateurs du genre. Eh bien, au moins Violaine Dompierre réussit à effleurer certains sujets troublants. J’aime l’idée de la liste de sectes qui cachent toutes la même organisation ; dans la mesure où on peut envisager que Barcon parvient ainsi à endormir la méfiance d’une étudiante qu’il savait déjà trop naïve pour son bien, cela crée un petit frémissement. De plus, le glissement de la mère de Clémy dans la paranoïa, malgré toute la maladresse de la description, touche certainement une corde plus sensible. Cela étant dit, les excès grand-guignolesques du roman ont l’effet exactement contraire de ce qui était souhaité. Face à une situation comme celle de Talagante où les gens sont divisés entre bons et méchants de façon encore plus radicale que dans une mauvaise partie de jeu de rôles, difficile de suspendre son incrédulité.

Les amateurs de SFF en tout cas n’y trouveront pas leur compte, car seul l’épisode de Talagante classe ce roman dans le domaine du fantastique. Le moteur émotionnel du livre n’est pas l’existence de forces occultes (d’ailleurs, allez donc savoir à qui ou quoi renvoie le titre !) mais plutôt l’angoisse face aux figures incarnant l’autorité. Barcon manipule aisément Clémy et la trahit ; sa mère sombre dans la folie et tente indirectement aussi de la tuer, après l’avoir agonie de reproches durant des jours ; Clémy évite le plus possible d’avoir des interactions avec la police et craint d’être soupçonnée de méfaits. La naïveté dans l’écriture du roman amplifie encore les résonances adolescentes de ce thème. Clémy a la mentalité d’une ado de dix-sept ans et pas d’une quasi-trentenaire.

On peut écrire des œuvres prenantes sur le thème de la perte de contrôle, sur la trahison des autres, et ce même quand on verse dans le fantasme de persécution aux mains de figures d’autorité. Ici, Clémentine Lecompte mérite presque ce qui lui arrive tellement elle est bête ; sa psychologie sommaire d’héroïne générique ne nous permet pas de sympathiser avec ses malheurs. Comme le dit l’auteure : « En regardant la télévision, elle avait remarqué que seules les vedettes mystifiées sortaient de l’ombre et prenaient un peu d’importance. » Les Gardiens des ténèbres aura au moins le mérite d’y être resté, dans l’ombre ; il ne méritait pas d’en sortir. [YM]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 74-77.