À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
Autres mers, autres mondes - 2
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
214
Lieu
Montréal
Année de parution
1988
ISBN
2893810039
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Après s’être enfuie de l’île d’Orléans il y a plusieurs années, Marie y revient pour accepter un poste à l’orphelinat du Doc Bélisle. Elle y apprend qu’elle devra travailler avec son demi-frère Joseph dans le cadre d’une expérience visant à intégrer des androïdes parmi une population d’humains. En fait, Marie est le seul bio-humain de l’établissement, tout le personnel étant composé d’andro-humains, y compris Joseph. Cependant, Marie a des pouvoirs télépathiques et certains membres de la communauté des androïdes se sentent menacés par son agressivité à l’égard des mâles et des androïdes et craignent qu’elle ne révèle leur identité. Joseph l’avertit que sa vie est peut-être en danger, ce qu’une tentative de kidnapping vient confirmer.

Tous deux entreprennent alors de percer l’identité de Doc Bélisle et de découvrir ce que cache l’aile du diable, cette partie de l’orphelinat à laquelle personne n’a accès. Ils réussissent à s’introduire dans l’antre du vieux savant en empruntant un canal souterrain qui donne sur le fleuve. Là, Doc Bélisle les guide à travers un dédale de corridors et d’escaliers jusqu’à une pièce rectangulaire où il leur confie ce qu’il attend d’eux. Il leur annonce d’abord qu’il n’y a jamais eu d’androïdes sur l’île d’Orléans malgré ce qu’on a fait croire aux parents, comme ceux de Marie Dugré, qui avaient adopté de jeunes enfants. De même, les gélules qu’on fournissait aux petits afin d’inhiber une possible agressivité à l’égard des bio-humains ne contenaient qu’une drogue chimique destinée à effacer de leur mémoire leur passé de bio-humains. Cependant, cette drogue a eu chez certains un effet secondaire, soit de développer leur pouvoir télépathique latent. Joseph fait partie de ce groupe de 30 Cornus qui représentent pour Doc Bélisle l’avenir de l’homme. Le vieux savant rêve en effet de créer une humanité nouvelle qui exploiterait au maximum ses capacités parapsychiques. C’est pourquoi il a choisi Marie et Joseph pour devenir les parents du premier télépathe engendré par des parents eux-mêmes télépathes, du « premier représentant intégral de la nouvelle humanité ».

Marie demande réflexion et en profite pour révéler à Joseph, impres­sionné par la noblesse des intentions de Doc Bélisle, qu’elle connaît les véritables projets du savant mégalomane depuis des années et qu’elle a reçu de la GUNE (Gynocratie Universelle de la Nouvelle Ère) la mission de le neutraliser. Mais Doc Bélisle, qui n’est qu’un cerveau baignant dans un liquide auquel est branché l’ordinateur central de l’orphelinat, n’aspire-t-il pas justement au repos éternel ? Pas avant toutefois d’avoir légué son testament spirituel à Marie qui devient, ainsi qu’il l’a voulu, l’instrument de son destin.

Commentaires

Les Gélules utopiques était certes le roman le plus attendu de l’année 1988. Je tiens en effet Guy Bouchard pour l’un des meilleurs théoriciens de la SF au Québec. Quiconque a lu ses études sur l’utopie et le féminisme ne peut que reconnaître son apport essentiel à une facette de la SF et qu’être impressionné par l’érudition qui marque ses essais théoriques. Bouchard est un philosophe et comme les philosophes, il se fait porteur d’une pensée en laquelle il croit profondément, étant convaincu de son utilité, de sa nécessité même. C’est pourquoi j’avais hâte de voir comment il pourrait actualiser dans une fiction romanesque le résultat de ses études critiques sur le féminisme et l’utopie. Car, il faut bien le reconnaître, Guy Bouchard m’a toujours laissé sur mon appétit dans ses nouvelles, la théorie et la fiction n’arrivant pas à entrer en symbiose pour produire un récit maîtrisé, intéressant, au rythme leste et agréable.

Dans Les Gélules utopiques, on retrouve Guy Bouchard tel qu’il apparaît dans ses travaux critiques. Il fait preuve d’un fort esprit de synthèse et les pistes qu’il développe montrent qu’il est bien documenté et qu’il a longuement réfléchi sur la question. Ses études contiennent toujours une bibliographie de deux ou trois pages. Il pourrait aussi y avoir à la fin de son roman une liste des œuvres auxquelles il fait allusion nommément ou implicitement : Les Enfants d’Icare d’Arthur C. Clarke, Rule Golden de Damon Knight, 1984 de George Orwell, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, L’Euguélionne de Louky Bersianik, À la poursuite des Slans d’Alfred Van Vogt, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick… La liste pourrait s’allonger ainsi pendant encore longtemps mais curieusement, elle ne comprend aucune des romancières qu’il a étudiées ces dernières années, les Ursula K. Le Guin, Joanna Russ ou Monique Wittig.

Toutefois, l’auteur ne se sert pas de ces nombreuses allusions pour faire étalage de son érudition. Elles sont plutôt des clins d’œil que Bouchard adresse au lecteur averti de SF. Ce parti pris pour la légèreté, ce côté ludique du genre justifie sans doute aussi son choix du narrateur, le texte qu’on a sous les yeux se présentant comme le récit du docteur Bélisle. Celui-ci affirme d’ailleurs qu’il n’entretient aucune ambition littéraire et qu’il est un savant et non un romancier. Cela explique certaines maladresses d’écriture, le style quelconque, voire agaçant par moments, et les jeux de mots douteux comme ceux-ci : « … il entrouve sa gueule de petit mâle malodorant » (p. 7), « … si ça continue, tu pourras l’offrir au pape ou à ses sous-papes de sécurité ! » (p. 9).

Mais l’alibi narratif n’excuse pas tout. C’est Bouchard, après tout, qui a décidé d’appeler ses deux héros Marie et Joseph. Et Doc Bélisle, le Grand Manitou de l’île d’Orléans ? Ça ne vous rappelle pas un auteur québécois de SF qui utilise ce cadre géographique dans ses nouvelles ? Vraiment, le symbolisme des noms est un peu gros. Vient un moment où l’auteur, en voulant se montrer brillant et indiquer qu’il n’a rien laissé au hasard, en fait un peu trop. On ne pourra toutefois pas accuser cette fois Guy Bouchard d’avoir écrit un récit empêtré dans des considérations philoso­phiques. Celles-ci n’en sont pas moins présentes mais elles sont beaucoup mieux intégrées à la trame narrative qui se distingue par de nombreux rebondissements. Ils ne sont pas tous crédibles, peu s’en faut, mais qu’importe, l’auteur ayant apparemment pris le parti de multiplier les renversements de situations et de nous lancer dans une histoire de savant fou qui veut relever la population du Canada en y intégrant graduellement des androïdes.

Les Gélules utopiques commence en effet comme une bonne vieille histoire d’incompréhension entre bio-humains et andro-humains. Joseph l’androïde revendique les mêmes sentiments, les valeurs humaines que Marie. Mais peu à peu, l’utopie néo-technicienne se transforme en utopie féminine ou en une "gynandrocratie". Qu’entend-il par ce terme ? Il ne s’agit pas du pouvoir des femmes en tant que telles auquel le terme "gynocratie" renverrait plutôt. Bouchard se souvient trop bien des utopies féministes radicales qui vont jusqu’à proposer l’élimination des mâles comme dans The Female Man de Joanna Russ. Pour lui, la gynandro­cratie signifie « un ordre de valeurs qu’il faut encore qualifier de féminines alors qu’elles sont simplement humaines ».

Bouchard est très sensible au sens des mots et il se méfie de ce qu’ils véhiculent comme idées reçues et comme préjugés. La transformation des mentalités commence par la transformation du langage. Il reprend ici un des principes défendus par Louky Bersianik dans L’Euguélionne et il met en pratique ce qu’il avance en parlant de "bio-humains" et d’“andro-humains” pour distinguer l’humain de l’androïde. Dans les derniers chapi­tres, l’auteur délaisse quelque peu l’intrigue qui cède le pas aux impératifs de la philosophie et à l’expression de sa réflexion utopique.

Toutefois, Bouchard ne lève pas complètement le voile de l’ambiguïté qui pèse sur l’orientation sexuelle de Marie. N’ayant aucun lien consanguin avec Joseph, rien ne l’empêche d’avoir une relation avec lui. Mais Marie a déjà été victime d’une tentative de viol et elle ne semble pas porter les hommes dans son cœur. Pour tout dire, elle déteste les mâles. Elle les traite de porte-pénis. Son comportement agressif la classe facilement dans la catégorie des féministes enragées, des femmes castratrices. Si cette attitude jette quelque peu le doute sur les intentions de la GUNE, l’organi­sation mondiale pour laquelle elle travaille, Bouchard y voit là une façon de rappeler que les grands idéaux peuvent conduire aux pires dictatures. Cette représentation de Marie constitue une mise en garde formulée claire­ment, dans les dernières pages, par Doc Bélisle : « J’aimerais seulement, Marie, que tu interroges tes motivations les plus intimes. »

Il est probable que Les Gélules utopiques suscitera des réactions très partagées, indépendamment du sexe du lecteur. Certains pourront trouver ce roman prétentieux et lui reprocher son statisme. Il y a effectivement de longs dialogues philosophiques qui se substituent à l’action et beaucoup de renforcements de la part de l’auteur. Il s’agit là d’une déformation profes­sionnelle qui l’amène aussi à adopter par moments un ton professoral. Néanmoins, il faut reconnaître les efforts de l’auteur pour animer son récit et lui donner les attributs du roman d’aventures. On aurait pu craindre le pire à cause du cadre géographique et du dialogue convenu des premières pages mais le romancier évite la plupart des écueils de son entreprise littéraire.

Les Gélules utopiques est la première utopie féminine québécoise et, à ce titre, cette œuvre est importante. La pensée philosophique de Guy Bouchard s’y déploie avec générosité et intelligence. Sur ce plan, l’œuvre ne déçoit pas et est à la hauteur de la vision humaniste que Bouchard a toujours manifestée dans ses écrits théoriques. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 40-43.

Prix et mentions

Prix Boréal 1989 (Meilleur livre)

Références

  • Cloutier, Georges Henri, Solaris 85, p. 19-20.
  • Croteau, Paul G., imagine… 47, p. 74-76.
  • Lacroix, Pierre, CSF 4, p. 15-16.
  • Lord, Michel, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 376-378.
  • Meynard, Yves, Samizdat 16, p. 35-36.
  • Pettigrew, Jean, Nuit blanche 35, p. 26-27