À propos de cette édition

Éditeur
Brousseau et frères
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Les Soirées canadiennes, vol. III
Pagination
206-212
Lieu
Québec
Année de parution
1863

Résumé/Sommaire

Lors d’une fête amérindienne, deux jongleurs de la tribu des Odjiboué s’affrontent dans une lutte de puissance. Le jongleur Ouabouss, qui se réclame du Grand-Lièvre, prétend que son manitou est le plus puissant parce qu’il a créé le monde. Miskouadèz, disciple de la Grande-Tortue, considère son manitou supérieur parce qu’il a refait le monde à la suite de la grande inondation. Chacun réussit à prouver la grande valeur de son protecteur en déployant ses pouvoirs magiques. Ne pouvant déterminer un vainqueur, la tribu décampe subrepticement pendant la nuit, laissant les deux sorciers à leur différend.

Commentaires

« Le Grand-Lièvre et la Grande-Tortue » est un texte très intéressant et très important sur la mythologie amérindienne. Il est important parce qu’il est, à ma connaissance, le premier texte qui ne porte pas de jugement de valeurs sur les croyances qui y sont exposées. La vision du monde qu’il propose (la Création et le déluge) est exclusivement amérindienne. La présence du conteur est très discrète et jamais l’auteur n’établit de comparaison entre deux univers (blanc/amérindien) qui s’opposeraient.

Le conte de Taché représente un monde clos qui n’est pas encore perturbé par le choc des cultures. Rarement a-t-on la chance de saisir l’état originel de cet univers dans la littérature du XIXe siècle. Il se dégage aussi du conte une grande sagesse dans la décision de la tribu de s’esquiver et de renvoyer dos à dos les deux sorciers. Les deux jongleurs s’engagent dans un duel – qui apparaît finalement puéril – en utilisant leurs pouvoirs magiques afin de savoir qui a raison. En fait, tous les deux ont raison et l’œuvre de la Grande-Tortue n’est rien sans celle du Grand-Lièvre et vice versa. Mentionnons en passant que le symbolisme de cette légende concilie l’élément masculin et l’élément féminin.

Le fantastique résulte ici de la magie propre aux sorciers amérindiens et en cela, il a la même valeur symbolique que dans les contes surnaturels qui mettent en scène le diable ou autres figures de la cosmogonie catholique.

Joseph-Charles Taché est sans doute celui qui a le mieux réussi à transcrire la tradition orale des Amérindiens et à décrire leur culture. Il utilise plusieurs mots de la langue des Sauteux, nom donné par les voyageurs aux membres de la nation des Odjiboué, et se montre respectueux de leurs coutumes. Il transmet cette histoire avec déférence, sans condescendance, en faisant abstraction de son bagage culturel et de sa formation catholique. Il montre pour son sujet une grande ouverture d’esprit qui n’était pas évidente dans ses autres contes amérindiens.

En ce qui me concerne, « Le Grand-Lièvre et la Grande-Tortue » est une belle surprise qui nous change de la vision primaire d’un Firmin Picard. C’est le texte le plus authentique de ce courant littéraire influencé par la culture amérindienne. [CJ]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 190-191.