À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
LITT.
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
232
Lieu
Montréal
Année de parution
1991

Résumé/Sommaire

[2 SF ; 5 FA ; 10 HG]
Joyeux Noël
Signalisations, horaires, mais où, quand ?
Cinq ou six morceaux en forme de poire d'angoisse, à recoller précautionneusement
Jaime l'archiviste
Rusty et la Méduse
La Complaisance n'est plus ce qu'elle était
Un estate Italiana
Inch'Allah
Partout
Providence
Rock around Orpheus
TV roman
Barthélémy le scribouillard
L'Ermite de Marigny-les-Voûtes
Cinq ou six p'tites vite avec titre
En voiture, all aboard
Un jeu d'enfant

Commentaires

Premier livre d’un professeur de littérature enfin passé de l’autre côté de la frontière, ce recueil de dix-sept textes assez brefs se présente armé d’une préface de combat : une attaque en règle de la « Médiacratie », la revendication du droit à une écriture qui ne se donne pas trop facilement, et le tir à boulets rouges sur les critiques qui prétendent parler au nom d’un « Monsieur-tout-le-monde » réclamant une lisibilité « totalitaire ». Le ton de ce manifeste, furieux et désinvolte, évoque un jeune auteur de vingt ans. Que l’auteur, enseignant depuis vingt ans au moins, ait conservé une telle fraîcheur d’âme est pour le moins réconfortant.

On a donc prévenu le lecteur de l’éventuelle difficulté des textes, mais on en a aussi aimablement expliqué en partie l’agencement en miroir à partir d’un texte-charnière, le huitième. Explication au demeurant superflue pour qui ne veut pas jouer les détectives : les textes, heureusement, se lisent fort bien en eux-mêmes. De ce point de vue, le pari de l’auteur est gagné dans la plupart d’entre eux, puisqu’on peut aussi bien les lire comme un lecteur innocent que comme le lecteur professionnel que sont critiques et professeurs… Ce qui m’a frappée quant à moi, c’est la variété, on pourrait dire aussi la disparité, de ces textes : comme si l’auteur s’était amusé à manier plusieurs styles et plusieurs genres. C’est ainsi que quelques-uns de ces textes relèvent de notre domaine. Mais n’est-ce pas jusqu’à un certain point une illusion d’optique ?

« Cinq ou six morceaux en forme de poire d’angoisse, à recoller précautionneusement » commence par un faux exergue évoquant en français archaïque le « dict de la Science-Fiction », et c’est signé « Captain Jack E. Carter, Battlestar Erminia, his log », ce qui donne le la ! Les six texticules qui suivent jouent avec désinvolture de motifs de SF. « Un jeu d’enfant » semble aussi être une « short-short » de SF, mais fait en même temps appel au mythe grec, d’une part, et aux graphies sans voyelles de la tradition juive, d’autre part.

Entre fantastique et SF (toujours si on s’accroche aux étiquettes), « Rusty et la Méduse » se déroule dans le cadre d’un centre commercial gigantesque, qui semble avoir peu à peu pris la place de la ville, puis du pays (il s’appelle d’ailleurs PlacePays, à la fin). « Providence » fait semblant d’être un conte fantastique, très désarticulé. Le texte se clôt sur une créature considérée comme Dieu, responsable de la métamorphose, et qui habite un immeuble dans « son trois pièces et demie avec vue sur le fleuve ».

En comparaison, « Un estate Italiana » serait plus linéairement fantastique, si l’on veut. « TV Roman » se prête aussi, si on le désire, à une lecture soit SF soit fantastique, mais dans le registre de la littérature « érotique ». « L’Ermite de Marigny-les-Voûtes », une des plus longues nouvelles du recueil, se situerait dans la mouvance du « réalisme magique », toujours si le lecteur le désire. C’est aussi une satire (du monde universitaire), un texte à clé et une réflexion bouffonne sur la philosophie.

Une tentative de résumer les autres textes qui ne relèvent pas de notre domaine aboutirait au même résultat : chaque texte feint de se rattacher à un genre (ou à un « style »), espionnage, policier, nouveau roman, « éclatement postmoderne », que sais-je encore, mais quelque chose de narquois surgit presque toujours ici et là dans la narration pour faire douter le lecteur de ces identifications.

En fait, la seule profonde affiliation de l’auteur, et de ses textes, me semble être l’école pataphysique et ses succursales oulipiennes, qui se sont attachées à rendre sa primauté au plus ou moins libre-jeu du langage avec lui-même, et dans les productions desquelles se fait jour un fantastique qui n’a plus rien à voir avec une quelconque substance-sujet du récit, mais procède de la fantaisie désarticulante de la narration, et du maniement sans vergogne des mots comme d’êtres-de-langage générant leur propre espace, leur propre temps et leur propre logique, indépendamment de toute banale référence au monde empirique.

De ce point de vue, on pourrait dire que Jean-Pierre Vidal, littéraire en voie de devenir aussi philosophe patenté, n’est pas si loin non plus de la poésie. Mais sans doute son humour allègre et féroce l’en tiendra-t-il durablement à l’écart.

Un écrivain pour presque toutes les saisons, en tout cas, potentiellement, lorsqu’il se sera lassé des jeux jubilatoires avec le matériau verbal. [ÉV]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 176-179.

Références

  • Bernatchez, Ginette, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 401-402.
  • Cloutier, Georges Henri, Solaris 101, p. 62.
  • Colas, Hélène, imagine… 62, p. 120-122.