À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
La Presse
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Presse, vol. X, n˚ 44
Pagination
6
Lieu
Montréal
Date de parution
23 décembre 1893

Résumé/Sommaire

En Bretagne, on disait que Robert, le seigneur de Kerfoël, avait partie liée avec le diable. Pied-bot mais très fort, il menait une vie dissolue : chasse, libertinage, cruauté envers ses paysans, sans compter un mépris total de la religion. Un jour, il partit en voyage et resta des années absent. Ses serviteurs purent désormais faire ce qui jusque-là leur était défendu : fêter la Nativité avec tout son rituel – y compris le baptême d’une bûche de Noël. Au bout de vingt ans, Kerfoël revint, une nuit de Noël justement. Il se mit en colère quand il vit ses gens célébrer une fête religieuse, et voulut jeter dehors la bûche qu’on venait de baptiser solennellement. Mais dès qu’il sortit dans la cour, la bûche sur l’épaule, Kerfoël disparut dans un grand cri de détresse. Depuis, on reconnaît sa silhouette bancale, courbée sous un fardeau, dans le disque de la pleine lune.

Commentaires

La forme de ce récit est bien traditionnelle : une grand-mère à qui ses petits-enfants réclament une histoire, une conteuse qui ménage ses effets, faisant des pauses et des apartés anecdotiques.

Ce « conte de Noël », comme il est sous-titré, se distingue de la majorité des récits québécois en ce qu’il se déroule hors-Canada : la France de nos ancêtres, et plus précisément la Bretagne, dont Fréchette ne manque pas d’évoquer les mystérieux menhirs, les « pierres-fées » ou « quenouilles de Satan » qui accompagnaient Kerfoël comme des chiens quand il courait les landes au clair des lunes. Cela, et le château avec ses tourelles, donjon et forge, ajoute au conte un cachet singulier en fantastique traditionnel québécois.

Le motif, lui, reste le même : dans leur château surnommé la Tour du Diable, les Kerfoël étaient réputés pactiser avec le démon, qui leur fabriquait de l’or ; le père était mort sans confession, dévoré par les loups à un carrefour de la forêt ; le fils était un mécréant qui bafouait les pratiques religieuses – le châtiment devrait être à la mesure du crime. La goutte qui fait déborder le vase, c’est la profanation d’un objet béni la nuit de Noël, nuit sacrée entre toutes, la plus chère au cœur des chrétiens. La punition semble paradoxale : la tradition aurait infligé à Kerfoël les flammes de l’enfer, mais c’est plutôt l’exil glacé de la lune qui l’attend, avec le privilège mitigé d’être vu de tous les mortels à chaque pleine lune. [DS]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 82-83.