À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Le Cercle du Livre de France
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
154
Lieu
Montréal
Année de parution
1978
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un manuscrit trouvé dans les ruines d’un hôpital psychiatrique relate une expérience insolite. Le narrateur, lors d’une visite au parc de la Justice Géométrique, a observé un homme s’introduire en fouissant dans un trou. Le lendemain, il assiste à l’émergence de deux autres « hommes-taupes » : un professeur de droit éminent et le Grand Prix de littérature.
Le narrateur se décide à pénétrer à son tour sous terre. Il y découvre des galeries où méditent des hommes-taupes tandis que d’autres s’affairent à creuser des tunnels secondaires. Il ressort de la taupinière, rentre chez lui et consulte un livre de reproductions du peintre Jérôme B. dont les toiles l’ont toujours impressionné. Quand il parle à ses voisins et collègues de son expérience, les gens semblent non pas refuser de le croire, mais bien ne pas vouloir discuter du sujet. Quelques mois plus tard, il aura maille à partir avec un commissaire qui lui déclare qu’ayant enfreint la loi qui interdit de propager de fausses nouvelles troublant l’ordre public, il est passible de trois ans de travaux éducatifs.
Plutôt que de l’arrêter, le commissaire le raccompagne chez lui. Il déniche le livre de Jérôme B. Pour lui, il est clair que l’œuvre du peintre a enfiévré l’imagination du narrateur. Cet artiste est dangereux : maintenant qu’il connaît son existence, le commissaire va le dénoncer aux autorités et promet de faire disparaître toute trace de lui. De fait, son tableau Le Déluge est par la suite retiré du musée des Beaux-Arts et les ouvrages à son sujet, de la bibliothèque nationale. Le narrateur est prié de se rendre à l’Institut d’Hygiène Mentale où il est interné de force. En cette nuit où il écrit, il doit choisir : soit il nie et oublie l’existence des hommes-taupes, auquel cas il sera libéré, soit il la maintient et perd tout au nom de la vérité.

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Commentaires

On retrouve dans ce roman un univers absurde imprégné du totalitarisme dont souffrit l’Europe au milieu du siècle dernier, ce qui fait clairement écho au parcours personnel de l’auteur. Dépourvu de référence claire à notre Histoire, le pays sans nom où se déroule l’action a connu la Grande Idée, promulguée par le Maître Incomparable et qui doit amener un jour l’Homme Nouveau.
Le narrateur ne nous en dit que très peu sur sa vie ; il noircit surtout ses pages avec des spéculations sur la nature et la fonction des hommes-taupes, ainsi que des raisonnements qui confinent au délire paranoïaque. C’est clairement voulu, mais à mon avis cette surabondance de ratiocinations qui dérapent diminue l’intérêt du livre. Dans le cadre d’une nouvelle plus resserrée, le lecteur aurait le temps de goûter le surréalisme de l’idée, d’apprécier les résonances intertextuelles, mais pas de se lasser.
On aura noté des parallèles évidents avec Le Procès de Kafka. Les noms de famille des personnages se limitent à une initiale, et le peintre Jérôme B. me rappelle inévitablement Joseph K. (il s’agit en fait de Jérôme Bosch, la description de ses tableaux ne laissant aucun doute). Le 1984 d’Orwell est présent aussi : le jugement posthume réservé au peintre consistant à effacer toute trace de son existence évoque la réécriture du passé pratiquée par le Ministère de la Vérité. Force m’est d’avouer toutefois que je trouve ces deux romans nettement plus dérangeants que Les Hommes-taupes. Peut-être bien parce que le narrateur anonyme de ce roman-ci est trop terne, trop détaché de sa propre existence pour que j’aie pu m’émouvoir sur son sort. Ou parce que l’oppression exercée par les zélateurs de la Grande Idée apparaît collée par-dessus une réalité sous-jacente et non pas intégrée au tissu de la société : la construction de monde ne m’a pas convaincu. Ou parce que les hommes-taupes et la relation qu’ils entretiennent avec les serviteurs bornés de la Grande Idée n’a guère de sens hormis au niveau de l’allégorie : les intellectuels s’alliant par commodité avec le pouvoir.
Ce récit fantastique est finalement bien en-deçà de la réalité historique. Or, cette réalité, Négovan Rajic l’a vécue, lui qui a connu les camps de concentration. Le fantastique a donc ici la fonction d’évoquer indirectement une réalité bien plus terrible, au contraire de la stratégie habituelle qui intensifie, voire pousse à l’extrême, les aspects réalistes. Je n’étais sans doute donc pas le public idéal pour cette œuvre. Mais dans vingt ans, peut-être la lecture d’une histoire mettant en scène un dictateur à la peau orange suffira-t-elle à me faire ressentir un frisson quasi intolérable ? [YM]

  • Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 326-327.

Prix et mentions

Prix Esso du Cercle du Livre de France 1978

Références

  • Janelle, Claude, Solaris 28, p. 16.
  • Le Grand, Eva, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VI, p. 396-397.