À propos de cette édition

Éditeur
JCL
Titre et numéro de la collection
Couche-tard - 6
Genre
Science-fiction
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
159
Lieu
Chicoutimi
Année de parution
1996
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Le corps de Raoul Aubut est retrouvé dans un champ derrière le bar qu’il fréquentait. Son associé et ami, Richard Dassot, mène sa petite enquête en marge de celle des policiers locaux qui concluent rapidement à une mort naturelle, malgré la présence de traces de strangulation. Dassot n’est pas convaincu, d’autant plus qu’une lettre laissée par le défunt contient des passages sibyllins. Ses soupçons pointent vers Paulette Dubosse, l’amante de Raoul, bénéficiaire d’une police d’assurance de 500 000 $ sur la vie de ce dernier et adepte de pratiques sadomasochistes. Dassot interroge aussi Ginette, une barmaid de L’Emblavure, qui entretenait aussi une liaison avec Raoul et qui pourrait être de mèche avec Paulette.

Il rencontre aussi les parents de Raoul et son fils, Paul Aubert-Lamarre, un adolescent en colère avec son père et en révolte contre la société avec lequel Richard Dassot sympathise et partage plusieurs récriminations. Se sentant manipulé par Paulette et constatant que son enquête s’embourbe, Richard décide de se changer les idées et d’aller à la chasse avec Paul et un Attikamekw, Joseph Ashisch, qui leur sert de guide. 

Au retour, même si les circonstances de la mort de Raoul l’intéressent de moins en moins, Richard demande à la procureure en chef de rouvrir le dossier parce qu’il considère que le rapport de la coroner a été bâclé. Maître Rolande Beauregard-Dupont-Laporte confirme la conclusion de la coroner et accuse Dassot d’entrave à la justice et d’être paranoïaque. Furieux, il insulte la procureure en chef qui l’envoie dans une institution psychiatrique d’où il sortira dix ans plus tard, en 2095. Il racontera alors les événements du passé en se basant tant bien que mal sur ses souvenirs.

Commentaires

On peut lire, en quatrième de couverture de L’Indistinct : « […] ce livre n’est ni un polar ni un roman de science-fiction ». Disposons d’abord de la seconde étiquette car c’est elle qui déterminera l’inclusion ou non de cette œuvre dans le corpus des littératures de l’imaginaire. À proprement parler, il s’agit bien d’un roman de science-fiction puisque les événements relatés ont eu lieu en 2085 dans un Québec pas très différent de celui de la fin du XXe siècle. À aucun moment dans le récit, cependant, il n’est fait mention d’une quelconque invention technologique qui amènerait de l’eau au moulin de l’altérité ou de l’anticipation. 

Toutefois, certaines avancées sociales introduisent une subtile mais véritable distanciation par rapport à la société de référence de l’auteur qui correspond au moment de l’écriture du roman. C’est notamment le cas de la place des femmes dans les postes d’autorité – et là, les féministes vont grincer des dents car le narrateur, Richard Dassot, déverse son fiel en dénonçant la mainmise féminine sur les postes stratégiques et la dénaturation de la femme. « Ce siècle avait sournoisement, à son insu même, désensorcelé et « civilisé » la femme, la rendant par le fait même ennuyeuse à copier la virile bêtise dont toute femme encore dotée de ses instincts primordiaux aurait dû avoir le réflexe minimal de se garder. » (p. 79)

Il y a de la révolte chez Dassot qui râle contre la société dans laquelle il traîne son ennui et sa solitude. Il vitupère l’État qui restreint la liberté des citoyens et les infantilise. « Faire aimer sa servitude à l’esclave, par obligation légale, tel est le rôle de nos démocraties de droits civils. » (p. 138) Point d’État totalitaire ou de dystopie, ici, pour le lecteur, quoique ce soit le cas aux yeux de Dassot. Il faut par contre prendre en considération les problèmes mentaux et neurologiques du personnage qui souffre de plusieurs troubles : indolence, aboulie, amnésie, abréaction, paranoïa. 

Dussot apparaît comme un indécrottable masculiniste qui déplore la quasi-disparition des vraies femmes, des femmes « naturelles » comme Paulette et Ginette qui utilisent sans honte leurs atouts physiques pour satisfaire les vrais mâles tout en prenant leur plaisir. C’est aussi un réactionnaire et un cynique, mais n’empêche qu’il a raison sur certains points dans ses charges tous azimuts. « On ne peut même plus se promener à bicyclette sans porter un casque, aller en canot sans ceinture de sauvetage, jouer au hockey sans porter la visière, aller en moto sans casque, faire l’amour sans condom. » (p. 118)

Qu’en est-il maintenant du genre polar ? Il y a une mort mystérieuse, des policiers, une enquête mais c’est la quête de vérité de Dassot appelé à faire son introspection qui fait avancer le récit. La piste de la lettre d’adieu absconse de Raoul est abandonnée sans explication et l’enquête policière tourne court. Si l’enquête a une fonction, c’est de démontrer l’incompétence des policiers et du système judiciaire, une autre tête de Turc du narrateur.

Le roman de Jocelyn Lord intrigue et irrite à la fois. Si l’enquête de Dassot et ses relations humaines difficiles suscitent notre intérêt jusqu’à mi-parcours, ses réflexions sur la vie en général, parfois décapantes et judicieuses, irritent quand l’énonciation de ses critiques envers ses contemporains se noie dans une logorrhée poético-ésotérique. Ces dérapages m’ont fait régulièrement décrocher du roman.

La figure de Rimbaud, incarnée par l’adolescent rebelle Paul Aubut-Lamarre – prénommé Pierre au début, une distraction de l’auteur ? –, plane sur le récit tout comme, dans une moindre mesure, celles de Baudelaire, de Verlaine et d’autres poètes de différentes époques. Il faut savoir que Lord est l’auteur d’un mémoire de maîtrise (UQAC, 1995) intitulé « Rimbaud, entre le Parnasse et la prose. Parcours du signifiant ». Visiblement, le romancier a trop mariné dans l’œuvre du poète de Charleville. La recherche du mot rare ou exotique (houka, houri, odalisque) et sa connaissance approfondie de la flore forcent l’admiration mais les associations de mots, les assonances et les jeux de mots auxquels il prend plaisir suscitent l’ennui. 

Publié aujourd’hui, L’Indistinct provoquerait probablement de violentes réactions à condition qu’il soit lu. Le regard qu’il pose sur la société québécoise, à un siècle d’écart du référendum de 1995 – qui a sans doute influencé l’écriture du roman –, est sévère, excessif même, mais dénué de complaisance. À cet égard, le livre tient de l’essai sociologique nourri d’une vision très subjective sur l’être humain en tant que cellule du corps social. La question qui se pose est : pourrait-il être publié aujourd’hui? [CJ]

P.-S. – Les hasards de la lecture réservent parfois des surprises. Après L’Indistinct, j’ai lu une nouvelle de Fulvio Caccia qui étrille allègrement la poésie d’un personnage convaincu de son talent et de la profondeur de ses vers. Le commentaire suivant colle parfaitement à certains passages rébarbatifs du roman de Lord : « Il croyait à une écriture ornementale, chiffrée, cumulative dont le décryptage devait se faire à divers degrés. » (« Ginette ou le sous-sol de la rue Duluth »)