À propos de cette édition

Éditeur
Denoël
Titre et numéro de la collection
Présence du futur - 388
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
285
Lieu
Paris
Année de parution
1984
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Commentaires

Janus est un recueil de huit nouvelles d’Élisabeth Vonarburg. Comme six d’entre elles ont déjà été publiées ici et là, le recueil ne bénéficie pas de l’attrait de la nouveauté comme c’était le cas du premier roman de l’auteure, Le Silence de la cité. Néanmoins, ce recueil est important car il compose une mosaïque des thèmes qu’Élisabeth Vonarburg se plaît à développer.

J’ai relu les textes anciens avec le même plaisir et j’ai découvert des choses que je n’avais pas vues lors d’une première lecture. Il est vrai que les nouvelles rassemblées dans ce recueil, du fait de leur proximité, apportent un éclairage différent puisque les inédits, que j’ai lus en premier lieu, permettent de comprendre les textes moins récents. Ainsi, « La Machine lente du temps » aide à mieux saisir l’univers de « Le Nœud » et « Le Pont du froid », deux nouvelles de L’Œil de la nuit, car elle explicite les fonctions du Centre et du Pont. Seule « Thalassa » ne réussit pas à mettre en place une structure satisfaisante. Plusieurs phénomènes demeurent sans explications, sans doute parce qu’elles se trouvent dans le roman inédit Tyranaël dont la nouvelle est extraite.

Le recueil est marqué par un thème majeur : la recherche de l’unité de l’être. Cette recherche passe d’abord par la connaissance de soi et c’est ce que l’auteure nous donne à voir dans ses nouvelles. C’est l’illustration du vieil adage : Connais-toi toi-même. C’est sans doute la raison pour laquelle les personnages d’Élisabeth Vonarburg sont des artistes, des créateurs. L’œuvre d’art (poésie, sculpture, danse, etc.) est l’expression de l’être et elle permet à l’artiste de mieux comprendre ses motivations, sa personnalité quand il est capable de prendre du recul face à son œuvre.

Le Pont dans le Centre a la même utilité. Il permet aux voyageurs de se rendre dans d’autres univers mais en définitive, c’est un voyage à l’intérieur d’eux-mêmes qu’ils effectuent. Même les métames n’échappent pas à cette quête d’identité qui risque de les conduire à la folie et à l’autodestruction. Il n’est pas inutile de préciser que les métames ne peuvent mourir qu’en se faisant sauter à la dynamite, image de l’éparpillement qui est tout le contraire de celle de l’unité de l’être recherchée.

Plusieurs nouvelles se limitent à l’étape de la connaissance de soi, étape marquée par des crises, des remises en question, par le doute et par la peur de découvrir des choses que le personnage s’est caché à lui-même mais qu’il pressent confusément. L’écriture d’Élisabeth Vonarburg traduit cette tension qui agite le personnage. Elle est saccadée, nerveuse. La phrase compte souvent un seul mot, adjectif ou nom. Elle prend très souvent la forme interrogative.

L’auteure pratique une SF très introspective dans laquelle l’individu compte plus que la société dans laquelle il vit. C’est peut-être que l’individu, contrairement aux personnages courants de la SF, n’entretient pas l’illusion qu’il peut changer le monde. Il s’agit la plupart du temps d’un marginal qui aspire à reconstituer l’unité de son être avant de prendre le sort du monde sur ses épaules.

Le thème de la solitude est d’ailleurs très présent dans le recueil : solitude causée par des différences biologiques (le métame, le mutant, le premier d’une lignée comme Hilsh), par des dons artistiques (Toomas, Éric Permahlion) ou parapsychologiques (Eïlai, la Rêveuse). Mais en même temps, cette différence est garante d’une richesse que l’être doit assumer, avec les responsabilités qu’elle comporte, pour qu’il puisse atteindre la paix intérieure et la sérénité.

L’auteure a souvent recours aux mythologies anciennes pour exprimer le combat intérieur de ses personnages. La statue de Janus dans la nouvelle éponyme présente un visage masculin et un visage féminin. Cette dualité montre bien que l’unité de l’être ne saurait se faire sans que soit résolue la question du rapport entre les sexes.

La présence de métames dans l’œuvre d’Élisabeth Vonarburg pourrait laisser croire qu’il s’agit là de la forme idéale, supérieure même à celle de l’androgyne. Il n’en est pourtant rien. La possibilité qu’a le métame de changer de sexe ne résout pas le problème. Il l’accentue car le métame est aux prises avec un problème d’équilibre qui menace de le conduire à la folie suicidaire.

Les nouvelles qui en disent le plus sur la conception du monde de l’auteure sont celles qui dépassent la connaissance de soi et abordent l’autre étape : la quête de l’unité de l’être. Il apparaît clairement alors, me semble-t-il, que le principe féminin est à la base de cette conception. L’image féminine est centrale dans « L’Oiseau de cendres ». Elle est représentée par le Rift, immense faille à la surface de la planète Pyréia. Dans la mythologie des Pyréï, le Rift symbolise la renaissance.

Quand, à la fin, Toomas se jette dans la crevasse remplie de lave, il a conscience qu’il retourne dans la matrice originelle pour renaître sous une autre forme, comme le Phénix. Cette métamorphose de l’être qui accède à un stade supérieur n’est possible que s’il a reconnu le principe féminin seul capable de faire la synthèse des notions contraires, antagonistes. « L’enfer ? Le paradis ? L’enfer et le paradis : la bouche d’où naissait toute vie, où toute vie s’engloutissait. Il lui semblait mieux comprendre, à présent, le mythe des Pyréï » (p. 31).

Dans « Éon », le personnage principal, Hilsh, est invité à faire une démarche similaire. Hilsh découvre d’abord qu’il y a deux sexes chez les humains alors que l’apprentissage qu’il a subi n’avait jamais mentionné l’existence des embryons femelles. Après avoir résisté à l’appel de la Nef, vaisseau animal femelle qui représente une image globale du monde, Hilsh se laisse convaincre qu’il doit se laisser engloutir par elle pour vivre en symbiose, comme les autres membres de l’équipage. « La nef est capable de leur redonner un corps, après avoir changé leur esprit… (déconditionné leur esprit ?) » (p. 175).

Il n’est pas sans signification que Hilsh ait commandé la sortie des modules de la nef dans l’espace, puis leur réintégration. Image de naissance, sortie de la matrice originelle puis, comme pour Toomas, retour à la matrice. « Éon » instaure un nouvel ordre basé sur la symbiose homme/femme et liquide l’ancien ordre édifié sur la ségrégation des sexes, bien plus, sur l’occultation du sexe féminin. Ordo (l’ordinateur) incarne cet ordre ancien. Sa mise hors de service met fin à la vision hoministe du monde qu’il perpétuait.

Je ne pense pas qu’on puisse parler pour autant du triomphe de la vision féministe du monde dans l’œuvre d’Élisabeth Vonarburg. Contrairement à l’ordre ancien, il n’y a pas ici d’exclusive. Il y a plutôt interrelation et interaction des deux sexes car il ne faut pas sous-estimer la dynamique, le tourbillon, l’échange, le mouvement brownien qui se trouvent dans ces nouvelles.

« Bande Ohne ende » fournit un exemple saisissant de la complémentarité de l’homme et de la femme sous forme d’un tableau, qu’il s’appelle Lien infini, bande sans fin, trait d’union ou Métamorphe. « Le dernier tour de la bandelette qui constitue le cou de l’homme, en bas et à droite, se continue vers la gauche pour devenir le cou de la femme, puis remonte en spirale jusqu’au crâne dont la dernière portion-bandelette vient sans discontinuité modeler sur le vide, en haut et à droite, le sommet du crâne de l’homme » (p. 251).

Plus que le premier recueil, Janus permet de dégager une structure d’ensemble qui se met en place dans l’œuvre exigeante d’Élisabeth Vonarburg. Aucun détail n’est gratuit chez elle et toute situation doit être signifiante. Devant cela, le commentateur et le lecteur se sentent insécures parce qu’ils ont peur d’être moins intelligents et perspicaces que l’auteure. Un exemple de ce souci maniaque du symbole chez elle : dans la première version de « Dans la fosse », le narrateur rencontrait une métame en amok (en fuite) devant la cage des fauves du zoo de Baïablanca. Dans la présente version, la rencontre a lieu devant le dôme des serpents. Pourquoi ? Parce que les serpents changent de peau, comme les personnages veulent se débarrasser de leurs vieux préjugés et de l’ancien monde. Un texte d’Élisabeth Vonarburg n’est jamais définitif.

C’est en la côtoyant et en m’intéressant à son discours théorique, très révélateur de ses préoccupations d’écrivaine et de son esthétique littéraire, que j’ai pu décoder une partie du système vonarburgien. Car il existe bien un système vonarburgien qui, un jour, et moins lointain qu’on le pense, réjouira un universitaire en quête d’une œuvre qui multiplie les signes, comme si cela était pour mieux brouiller le sens. N’en doutons, pas, Élisabeth Vonarburg investit énormément d’elle-même dans son travail d’écriture mais en même temps, un reste de pudeur l’amène à obscurcir, inconsciemment peut-être, certaines pistes de lecture.

J’ai compris aussi, en lisant Janus, pourquoi l’œuvre d’Élisabeth Vonarburg et celle de Jean-Pierre April sont si antithétiques. Les deux écrivains poursuivent des objectifs diamétralement opposés. L’entreprise de Vonarburg consiste à édifier de nouveaux mythes sur la base des anciens tandis qu’April s’amuse à démolir les mythes. Je ne développerai pas davantage le parallèle entre ces deux œuvres car celle d’Élisabeth Vonarburg – tout comme celle d’April – n’a pas besoin d’un repoussoir pour se définir. Elle existe par elle-même. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1984, Le Passeur, p. 109-114.

Références

  • Borgomano, Madeleine, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 488-489.
  • Bozetto, Roger, Fiction 359, p. 179.
  • Lacroix, Pierre Djada, Carfax 5, p. 52.
  • Lamontagne, Michel, Solaris 60, p. 8-9.
  • Morin, Denis, XYZ 4, p. 72-73.
  • Provencher, Marc, imagine… 29, p. 74-81.