À propos de cette édition

Éditeur
imagine…
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
imagine… 80/81
Pagination
103-126
Lieu
Trois-Rivières
Année de parution
1998
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Jul 514 912-428, Préjuvénile de douze ans, est arrêté par des Vigilants un samedi matin sans que ceux-ci daignent l’informer du motif de son arrestation. On conduit Jul en prison ; il passe des jours isolé avant qu’on le laisse manger et sortir brièvement dans une cour intérieure. Lors de cette première sortie, il rencontre une jeune femme, Andrie, et tous deux s’apportent mutuellement un peu de réconfort moral.

Lors de sa deuxième sortie, il ne peut revoir Andrie qu’un bref instant, alors qu’elle rentre dans son aile de la prison. Il la reverra une troisième fois juste avant de comparaître à son procès ; il se rend compte alors de l’importance qu’elle a prise pour lui, ce qui est contraire aux principes d’autonomie individuelle de sa société.

Jul comparaît devant une Juge ; le Procureur a monté contre lui un dossier accablant : abus d’alcool, incitation à la dissidence, attouchements illicites. La sentence sera exemplaire : Jul ne pourra jamais quitter les rangs des Juvéniles pour accéder au Sénilat et devra donc passer le reste de son existence à travailler sans relâche pour les Séniles, à moins qu’il puisse convaincre la Juge que c’est Andrie qui l’a entraîné hors du droit chemin. Mais Jul refuse de la trahir.

Et c’est alors que le public l’applaudit : tout cela était l’Épreuve de Passage, que Jul a brillamment franchie. Il a non seulement accédé au rang de Juvénile, mais il pourra faire carrière parmi les Vigilants pour y développer ses qualités et acquérir plus de maturité. Et si Andrie a réussi son Épreuve, il la retrouvera un jour…

Commentaires

C’est du Guy Bouchard typique ; si vous avez lu de ses textes ces dernières années, vous savez déjà presque tout de celui-ci. C’est une dystopie, bien sûr. Les relations hommes-femmes y sont difficiles, pour ne pas dire impossibles. Le personnage principal, qui n’a guère d’épaisseur, s’exprime (même dans des moments d’extrême émotion) comme s’il composait un article pour une revue universitaire de sociologie.

Nul ne saurait, surtout pas moi, reprocher à Bouchard l’érudition qu’il apporte à la construction de ses sociétés imaginaires. Sa description de la stérilité des rapports humains dans de telles sociétés (généralement axées sur une séparation plus ou moins totale des sexes) est une défense passionnée de la tendresse dans notre monde à nous, ainsi qu’une prise de position féministe (même si ce dernier aspect est moins marqué ici) avec laquelle je suis 100 % d’accord.

N’empêche que la rengaine est familière, au point où, pour ma part en tout cas, je trouve qu’on enfonce une porte ouverte. Et Bouchard ne raconte pas très bien. Cela va des réflexions plutôt insipides de Jul qui sont en discours direct, le genre d’erreur stratégique qu’on rencontre dans un atelier d’écriture pour débutants, à des dialogues tirés par les cheveux qui ont pour seul but de faire passer la masse d’informations qui sous-tend le texte.

N’eût été du retournement de situation à la toute fin, je me serais lamenté sur la tendance des dystopies de tout poil à verser dans le fantasme de persécution, à enfoncer le clou à tel point que la planche (lire le désir de croire du lecteur) se brise. Or, Bouchard surprend très agréablement en évitant la fin habituelle de ce genre de texte, soit la destruction du protagoniste. La scène est une inversion de la trahison de Julia par Winston dans 1984, et la fin que Bouchard choisit est en apparence heureuse ; mais en apparence seulement, car la société de Jul reste malade et déshumanisante. Les Vigilants, force policière dotée de pleins pouvoirs sur une population engourdie par l’alcool, constituent un instrument de l’oppression du Sénilat. L’offre qui est faite à Jul est donc douloureusement ironique et elle introduit une complexité fort bienvenue dans la description de ce monde.

Côté intellectuel, donc, comme toujours, la démarche de Bouchard se défend ; si je possédais une plus grande familiarité avec la littérature utopique, j’aurais certainement trouvé d’autres parallèles ou contrastes avec Juvénile ! Mais n’étant un fanatique ni de l’intertextualité, ni des spéculations sociopolitiques pures, je ne me sens pas visé directement par ce texte. Mais c’est ce que je vous disais au début : c’est du Guy Bouchard ; à vous de décider si ça vous satisfait ou pas. [YM]

  • Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 32-34.