À propos de cette édition

Éditeur
J'ai Lu
Titre et numéro de la collection
- 4279
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Genèses
Pagination
253-284
Lieu
Paris
Année de parution
1996
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Sagesse s’est fait couper les mains pour devenir la meilleure orchestrante de la planète Nea-Hellas. Grâce à l’interface informatique qui les remplace, elle peut pratiquer son art multimédia, qui implique parfois l’animation d’un paysage entier, accompagnée de musique. Mais son succès a un terrible prix : après un certain temps, les mains trafiquées connaissent des pannes de plus en plus fréquentes, jusqu’à devenir inutilisables. Sagesse en est là.

Dans un bar où elle est allée noyer son accablement, elle rencontre un jeune danseur doué, Vassili, qui a du mal à percer : leur société en est une où l’art est de plus en plus technologisé. Ils deviennent amants et elle l’invite, avec sa troupe, à participer à son spectacle d’adieu, où elle va brûler toutes ses ressources. Tout se passe bien jusqu’au moment où Vassili se met à perdre son sang – il a voulu faire de sa mort sanglante un des éléments de la finale. Sagesse, horrifiée, ne peut intervenir, et le spectacle continue mais en changeant de nature. Malgré son désespoir coupable, Sagesse choisit cependant de vivre, même si elle ne peut plus pratiquer son art.

Commentaires

On a ici un cas frappant de dialogue entre deux auteurs, deux thématiques, et deux styles littéraires. Cette nouvelle, parue dans un collectif français, est dédiée à Jean-Claude Dunyach, un des meilleurs écrivains français de science-fiction, dont les premières nouvelles, dans le recueil Autoportrait, avaient pour motif des formes d’art futures extrêmes et les artistes qui les pratiquent. On en trouve l’écho dans les mains coupées de Sagesse, et dans le comportement de Vassili qui, avant de faire l’amour avec celle-ci, se coupe au poignet et noie leurs ébats dans son sang, pour faire ensuite de sa mort sanglante une des composantes esthétiques du spectacle final.

Mais là où Dunyach met en scène en trio fermé l’artiste, son art et son public, Trudel fait intervenir en sus une relation amoureuse individuelle, fût-elle quelque peu à sens unique dans la mesure où Sagesse est surtout amoureuse de son art. Au plan de l’intrigue, cette relation permet à Trudel une échappatoire qu’on ne trouverait pas chez Dunyach : l’artiste privée de son art survit… Mais cette dimension supplémentaire donne au récit une résonance plus humaine, et aussi une ambiguïté intéressante (et très dunyachienne), dans la mesure où Sagesse elle-même ignore à quel point elle a manipulé Vassili, comme semble l’indiquer la phrase finale « Sagesse ne savait plus très bien ce qu’elle avait orchestré ». Car c’est lui qui lui a donné l’idée principale de son spectacle (« des danseurs fantômes »), dont toute la thématique est orientée par le motif de la fin – pas seulement la fin de l’orchestrante Sagesse victime de ses mains trafiquées, mais la possible fin de l’art phagocyté par la technologie, dont Vassili est le représentant.

Toujours de façon très dunyachienne, le texte pose aussi la question de la place du corps dans l’art : il n’est pas indifférent que les orchestrants se fassent couper les mains (la première phrase choc de la nouvelle) pour exercer le leur, et que le pratiquant d’une des formes les plus physiques de l’art, la danse, se tue (esthétiquement) à la finale du spectacle. Mais, de façon très trudélienne, c’est surtout sur la technologie, ses possibilités et ses apories que repose l’intrigue, alors que les artistes extrêmes de Dunyach y ont assez peu recours.

Le dialogue entre les styles, enfin, est des plus intéressants (à commencer par le nom ironique du personnage principal, « Sagesse », et le titre), dans la mesure justement où l’inscription du corps et des sens est en général absente de l’écriture trudélienne souvent très cérébrale. On est loin ici de la physicalité perverse, à la fois insistante et détachée, des premières nouvelles de Dunyach, mais la référence soulignée par la dédicace confère au texte une inflexion sensorielle (sinon sensuelle) bienvenue, et inhabituelle chez l’auteur, en prouvant que les ressources d’écriture de Trudel sont plus variées qu’il ne voulait ou ne pouvait à l’époque les utiliser. [ÉV]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 193-194.