À propos de cette édition

Éditeur
JCL
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
271
Lieu
Chicoutimi
Année de parution
1990
ISBN
9782920176836
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Marc Darlan se rend au Lac-Saint-Jean pour enquêter sur des événements mystérieux qui se produisent dans la maison et l’entourage de Rosaire Nadeau à Val-aux-Cyprès. En compagnie d’une assistante locale, Simonetta Vespucci, il constate de ses propres yeux des manifestations surnaturelles. Du sang chaud coule le long d’un mur de la maison, un tapage infernal se fait entendre la nuit au grenier, des sphères lumineuses apparaissent dans le ciel de la région, des bêtes de ferme sont trouvées mortes égorgées.

Darlan, qui est un spécialiste de ce genre de phénomènes étranges, bat la campagne environnante à la recherche d’indices qui pourraient l’aider à élucider ce mystère. Par expérience, il sait que le surnaturel ne tient pas souvent ses promesses et que les résultats sont rarement satisfaisants pour celui qui traque les manifestations du Malin. Il se rend compte que l’affaire pourrait être sérieuse cette fois-ci. Marc est intrigué par le comportement d’Élisa et Katia Nadeau, l’aînée et la cadette de la famille aux prises avec un cas classique de poltergeist.

D’abord, elles semblent ne faire aucun cas de ces phénomènes alors que leurs frères et sœurs sont rongés par la peur et terrorisés. En outre, Marc a découvert dans la chambre d’Élisa des livres très anciens et très rares écrits dans diverses langues, vivantes ou mortes. Invité par une connaissance de Simonetta à rencontrer une vieille folle qui aurait des choses à lui révéler, Marc se retrouve au cœur d’une cérémonie rituelle au terme de laquelle il s’éveille dans un lieu étrange habité par des femmes d’une très grande beauté.

On lui apprend qu’il a été transporté dans le royaume des Abeilles, chargées de veiller sur le destin de l’humanité et d’intervenir au besoin pour contrecarrer les noirs desseins de leurs sœurs séparées, les Guêpes. Celles-ci s’apprêtent à envahir la Terre par une brèche du continuum espace-temps entretenue par l’énergie psychique d’Élisa et de ses disciples dans le but d’asservir les humains qu’elles utiliseront pour la reproduction de leur race. Enlevé par les Abeilles qui veulent utiliser l’énergie de son cerveau pour protéger la Terre contre cette invasion imminente, Marc Darlan se sent irrésistiblement attiré par la beauté sauvage, altière et sensuelle des Guêpes. Quel camp choisira-t-il ?

Commentaires

Quel incroyable fouillis de théories ésotériques sur la puissance psychique du cerveau humain ! Il y a de quoi en perdre son latin. Le roman d’Alain Gagnon nous laisse partagé entre le respect et l’incrédulité, entre le goût d’y croire et le réflexe de tourner au ridicule la thèse avancée par l’auteur, à savoir que l’humanité court un grand danger. Cette ambivalence est sans doute attribuable au fait qu’il y a deux livres dans La Langue des Abeilles.

Le premier tient presque du reportage et tente d’élucider les phénomènes étranges qui se produisent parfois en des lieux précis. Le second est un roman d’imagination pure qui mêle à un récit d’anticipation eschatologique des réflexions métaphysiques et des symboles religieux. Alain Gagnon ne parvient pas à faire la synthèse de ces deux parties dans l’épilogue, de sorte que le lecteur a l’impression d’être mis en face d’un avertissement sans fondement comme ces récits qui proclament le retour de la civilisation atlante. Au fond, on sait bien où l’auteur veut en venir. Il croit que l’être humain possède un cerveau très puissant mais qu’il n’a pas su en exploiter le dixième jusqu’à maintenant. Il croit aussi que l’Homme a été choyé par la Création. « Vous êtes surprotégés dans cet univers. Le Christ Souverain s’est incarné sur votre pauvre Planète Bleue et vous baignez dans la grâce comme un pauvre aveugle mourant de faim pourrait marcher à quelques pas d’un festin sans s’en rendre compte. »

Il me semble que l’auteur n’avait pas à s’encombrer d’un lourd symbolisme judéo-chrétien pour livrer ce message à saveur très anthropocentrique. Le combat entre le Bien et le Mal, incarnés respectivement par les Abeilles et les Guêpes, auquel le héros Marc Darlan doit faire face est suffisamment éloquent sans qu’on y ajoute la figure de saint Georges et du dragon. Et que dire de ces quelques épisodes mettant en scène George Bush et Ronald Reagan, sinon qu’ils sont totalement inutiles ?

La première partie de La Langue des Abeilles, qui constitue le premier roman, s’apparente à un traité sur les manifestations surnaturelles dans ce qu’il est convenu d’appeler la réalité quotidienne. On croirait lire un épisode de la série télévisée Dossiers mystères. Gagnon exploite à bon escient sa connaissance et son amour de la région qu’il décrit (et où il vit) pour établir la crédibilité du cas qu’il met en scène. Le lyrisme dont il fait preuve, en s’imprégnant de la nature et en nous faisant apprécier sa beauté, contribue à enrichir l’authenticité du récit. De plus, Marc Darlan ne s’affiche pas comme un farouche partisan du surnaturel qui voit partout la présence du Malin. En faisant preuve de circonspection et en ne s’emballant pas inutilement, le chasseur d’ectoplasmes de Gagnon demeure crédible. Le rythme est plutôt lent, l’enquête n’avance pas vite mais on lui fait confiance.

Contrairement aux récits fantastiques qui épousent souvent le point de vue de la victime, le roman d’Alain Gagnon désamorce ici le mystère en mettant en scène un observateur rationnel des événements. Le narrateur Marc Darlan s’emploie à contenir le mystérieux et l’irrationnel plutôt qu’à l’exacerber et cherche à situer son irruption dans une juste perspective. Pour ce faire, il passe en revue à peu près toutes les théories existantes sur le sujet : thèse des fragments égotiques projetés, manifestation de la souffrance psychique qui se projette en désordre physique et, la peur et l’imagination aidant, dégénère en hallucination collective (théorie exprimée par le curé Guignard), thèse de l’errance de certaines âmes prises dans un « entre-deux-mondes » astral ou, comme le croient certains Thibétains, persistance des fragments de l’ancien moi (des « kouei ») lors du décès, théories du célèbre Tony Delano. Bref, le mérite respectif de ces diverses théories est analysé avec un sérieux somme toute assez impressionnant.

Malheureusement, la seconde partie de La Langue des Abeilles vient saboter complètement les efforts de l’auteur. Le souci d’objectivité est balayé au profit d’un discours univoque, soit celui des Abeilles. Il est désormais impossible d’être critique face à ce discours puisque d’observateur non directement concerné par les événements, Marc est devenu un protagoniste de premier plan, voire même une victime. En outre, l’univers dans lequel il se retrouve n’a plus rien en commun avec la société de référence du lecteur. Le héros de Gagnon se promène dans une société qui a toutes les caractéristiques d’une utopie positive féministe, encore qu’elle ne soit que grossièrement esquissée : « Nous nous reproduisions déjà par parthénogenèse et nous étions déjà une société femelle, que vous pourriez qualifier de platonicienne. Depuis longtemps, nous avions vaincu la maladie, la mort et toutes les contradictions propres à vos groupes sociaux. »

Par ailleurs, la société analogue des Guêpes apparaît comme l’envers, la face cachée négative de cette utopie. Ces insectes ont développé leur instinct guerrier et ne rêvent que de conquérir l’humanité. Emporté par un délire mystico-religieux, l’auteur en fait une illustration du combat entre le Bien et le Mal. Les Abeilles sont associées aux anges qui sont restés fidèles à l’archange saint Michel tandis que les Guêpes sont de la race des démons qui ont suivi Lucifer dans sa disgrâce. Tous les grands maux de l’humanité, dont le nazisme et la révolution bolchévique, auraient été causés par l’intervention des Guêpes dans notre Histoire.

Je comprends que la première partie est une longue mise en place qui doit préparer la seconde et ce, par l’entremise d’Élisa qui représente la première race métisse des Guêpes. Cependant, la rupture est tellement importante à tous les niveaux (psychologie du personnage principal, univers réel vs univers magique, discours narratif objectif vs discours narratif subjectif) que l’auteur aurait dû choisir, il me semble, entre l’essai romancé sur l’occultisme et la science-fiction eschatologique proposant une vision cosmogonique de l’humanité comme avait réussi à le faire Michel Tremblay en 1969 dans La Cité dans l’oeuf

Alain Gagnon n’est pas parvenu à articuler les deux parties de son œuvre en un tout cohérent. L’échec de La Langue des Abeilles réside d’abord dans cette rupture formelle mais il y a aussi la confusion qui contamine peu à peu le propos de la seconde partie. L’attitude de Marc devient de plus en plus ambiguë. Il semble se ranger dans le camp des Guêpes, même s’il connaît leurs intentions condamnables, tout en mettant son psychisme au service des Abeilles. Sa trahison apparente s’explique-t-elle uniquement par le fait qu’il est subjugué par la grande beauté de l’apparence humaine des Guêpes et par l’attrait du Mal ? Quelle est la véritable puissance des Abeilles, race d’insectes pacifiques qui emploient leurs énergies à protéger les humains ? L’invasion des Guêpes, à peine décrite, est-elle contrecarrée par les Abeilles ?

De plus, l’auteur a recours à de nombreux clichés pour décrire la société égalitaire des Abeilles. Le masque humain des Guêpes rappelle le subterfuge utilisé par les extraterrestres dans V tandis que le truc de l’aiguille plantée dans la nuque de Marc relève de la plus mauvaise SF. En fait, quelle est la fonction de cette aiguille ? Lui faire croire et lui faire voir ce que les Abeilles veulent bien qu’il croit et voit ? Le roman de Gagnon se termine dans un tel embrouillamini qu’il est impossible de s’y retrouver.

Ajoutons à cela quelques distractions de l’auteur (page 78, c’est Simonetta qui parle : « Je donnais un cours d’introduction à la biologie. Elle s’y est inscrite. [...] D’ailleurs, elle n’a pas terminé la session. L’écologie (sic) n’était décidément pas son fort. ») et des fautes de grammaire (page 93 : « Vers qui les victimes de tels phénomènes peuvent-ils se tourner ? ») et on conviendra que La Langue des Abeilles aurait nécessité de la part de l’auteur encore beaucoup de travail. Et pourtant, ce roman inclassable et brouillon est offert aux membres du club du livre Québec Loisirs. Sans doute mise-t-on sur la curiosité des lecteurs pour les phénomènes occultes et la parapsychologie populaire. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 83-86.

Références

  • Dehont, Clarisse, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 481.