À propos de cette édition

Éditeur
Pierre Cerat
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Guêpe, vol. III, n˚ 25
Pagination
1
Lieu
Montréal
Date de parution
27 mars 1860

Résumé/Sommaire

Les rives du lac Ontario étaient autrefois hantées par des hommes-fées espiègles et malins. Les Indiens préféraient ne pas trop s’aventurer sur les dunes, de peur d’être victimes d’un envoûtement. Lélina, la fille du grand chef, était douce et rêveuse. Ses promenades l’amenaient régulièrement sur les dunes. Son père, inquiet de la voir devenir de plus en plus taciturne, décida de la marier à Tarico. Le jour des noces, Lélina demanda à s’absenter quelques instants, promettant de revenir. Les heures passèrent. Un terrible orage survint. La jeune Indienne se faisait toujours attendre. Au petit matin, elle n’était toujours pas revenue. On entama alors le chant d’adieu. Tarico partit à sa recherche ; jamais on ne le revit. Certains affirment avoir vu passer dans le ciel, le soir de l’orage, Lélina que le roi des hommes-fées embrassait avec passion.

Commentaires

L’histoire de « Lélina » est très simple et elle est ici racontée avec une légèreté trompeuse. L’humour de Joseph Lenoir (Rionel) peut paraître en effet inoffensif. C’est sans compter l’ironie sous-jacente, mordante même à l’occasion, qui donne toute la saveur au texte. L’auteur s’amuse à renverser certains clichés de l’imagerie populaire : les fées sont des hommes capables d’envoûter de leurs chants, et ils sont fort espiègles. Ils volent admirablement, et ce, dans les deux sens du terme. Ils dérangent et agacent. Lélina a succombé aux charmes du roi des hommes-fées. Et sans doute sera-t-elle plus heureuse qu’avec Tarico. La façon dont le couple s’enlace en traversant le ciel le laisse présager. Lélina a choisi le monde du rêve et du merveilleux. Et il faut l’en féliciter.

Lenoir amplifie jusqu’au ridicule l’attente des Indiens. Ils patientent des heures durant avec une impassibilité exemplaire. Même l’orage ne réussit pas à les faire bouger. Ils attendent Lélina qui a promis de revenir. Enfin, une ironie plus vive transparaît dans le portrait que Lenoir fait de la jeune fille. Elle « avait de grands yeux noirs veloutés et le plus joli petit pied qui pût se voir. Voilà pour ses perfections physiques ; quant à ses perfections morales, la légende n’en parle pas… » Lélina est rêveuse, solitaire, mélancolique ; elle passe des heures à se promener. N’aurait-elle pas quelque affinité avec Jean-Jacques Rousseau ? Lenoir fait clairement ressortir le lien avec le philosophe lorsqu’il évoque la « sagesse » de la belle Indienne : « Elle avait sans doute été élevée à l’instar d’Émile, le nourrisson de Jean-Jacques. »

Joseph Lenoir propose une version bien personnelle de la légende chippeouaise. Il voyage avec agrément dans l’univers du merveilleux sans jamais faire allusion à la religion ou aux valeurs dominantes de l’époque. « Lélina » invite simplement au plaisir et à la liberté du rêve. [RP]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 127-128.