À propos de cette édition

Éditeur
Leméac
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
196
Lieu
Montréal
Année de parution
1995
ISBN
9782760931770
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Dans un futur proche, le Québec est devenu indépendant. Fraîchement sorti de prison, encore en liberté conditionnelle, le narrateur travaille dans une librairie érotique et essaie de retrouver un sens à son existence. Fini pour lui la politique, l’engagement militant. Il a pris son trou et essaie vainement de trouver sa place dans la vie. Seule concession : ses lectures de Kreutzberg, un philosophe allemand pour qui l’ultime terrorisme est la sexualité. Pris dans une relation étouffante avec Manon, une ancienne conquête venue le chercher à sa sortie de prison, suivi de façon très pointilleuse par son agent de probation, il végète dans sa vie.

Pourtant, autour de lui, le monde bouge : les attentats sexuels se multiplient, commis par le FLA, le Front de libération de l’amour, qui utilise le sexe comme arme terroriste. Il ne connaît aucun membre du mouvement, mais connaît celui qui élabore la philosophie du groupe : Kreutzberg. Et puis apparaît dans la librairie une femme, qu’il appellera simplement la femme de la librairie, sorte de rêve qui éveille en lui tous les fantasmes possibles et imaginables. Après avoir vainement essayé d’attirer son attention, il la surprend en train d’essayer de séduire le philosophe Kreutzberg lorsque celui-ci lance un de ses livres à la librairie où il travaille. Sa patronne le surprend en pleine séance de voyeurisme et est pris qui croyait prendre : celle-ci est l’une des chefs de file du FLA. En raison de ce qu’il a vu, il est rapidement recruté par le groupe et prend part à un attentat sexuel contre un évêque. Toujours, dans ces occasions, la femme de la librairie mène la danse. Lors de son initiation officielle, il tente de la posséder mais échoue, trop de gens désirant ses faveurs. Il en est secrètement déçu, mais ne perd pas espoir de coucher avec elle.

Quelques jours plus tard, un membre du FLA le contacte pour qu’il dépose une lettre à la poste, ce qu’il fait après avoir longuement hésité. Peu de temps après, des membres du FLA emmènent la ministre de la Sécurité publique dans leur repaire, au sous-sol de la librairie, où le groupe la juge, puis prononce la sentence : elle sera initiée à l’amour, à leur façon. Le narrateur s’y oppose, affirmant qu’il s’agit d’un viol, et veut faire la démonstration du véritable amour avec la femme de la librairie, mais les forces de l’ordre débarquent.

Il réussit à fuir avec la femme de la librairie et, après une course-poursuite, se réfugie dans l’appartement de Manon. Là, la femme, jouant de son charme, finit par lui faire avouer que c’est lui qui, quelques années plus tôt, a tué le premier ministre dans un attentat. Cet aveu fait, elle révèle son identité : elle est un agent national et elle s’est servi de lui, à la fois pour détruire le FLA et pour qu’il avoue son crime. Piégé, le narrateur est désormais condamné à passer le reste de sa vie en prison.

Commentaires

Rarement livre contenant autant de scènes érotiques m’a paru aussi peu érotique. Ici, on ne parle pas de sexualité-plaisir, mais bien de sexualité-terrorisme : si orgasme il y a, il doit servir une cause, avoir une utilité. L’amour n’a pas sa place dans cet univers, ni raison d’être. C’est pourquoi le sexe y est si froid, si chirurgical, même si les descriptions n’ont rien à envier à celles des meilleurs romans érotiques. On est ici dans une fiction politique très réussie où la sexualité humaine est instrumentalisée au service d’un combat social.

Les longues citations du philosophe Kreutzberg permettent de créer une logique qui sert de support à la philosophie du FLA. Les membres de cette cellule semblent tout droit sortis des années 1970 avec leurs slogans : « Nos corps sont beaux quand ils sont nus », « Le plaisir n’est pas mal », « Faites l’amour, pas la guerre ». On sent la rhétorique, même s’ils la poussent beaucoup plus loin. Leurs attentats sexuels ne sont rien de plus que de vulgaires viols légitimés par leur philosophie. Le premier auquel le narrateur participe, celui d’un évêque, est revendiqué comme une victoire parce que le vieil homme a sans doute ressenti un orgasme pour la première fois de sa vie. Pathétique espérance d’une bande d’illuminés.

Le narrateur lui-même est dans un état d’esprit proche de la dépression. Il est sorti de prison certes, mais il ne vit pas vraiment. Il a brûlé jadis du feu de la révolution, mais il a perdu toutes ses illusions. On sent qu’il voudrait encore y croire, mais en même temps, il n’ose pas trop puisqu’il est en liberté conditionnelle. Sur la corde raide entre la vie et la survie, il se contente d’exister, tout simplement. En sursis, il tente de marcher droit, mais la femme de la librairie, anonyme comme lui, le fera tomber. Celle-ci est nimbée de mystère dès le départ. On connaît peu de choses de son apparence physique, mais son aura est largement détaillée. Le double jeu de celle-ci, à la fois séductrice et vengeresse, en fait un personnage complexe, même si on perçoit presque toutes ses actions à travers les pensées – la plupart du temps absolument pas chastes ! – du narrateur.

Créature de rêve, non pas par son physique, mais à cause des fantasmes qu’elle suscite, autant sexuels que politiques, elle déstabilise le narrateur, au point de lui faire avouer son crime : le meurtre du premier ministre. Sa duplicité et sa séduction sont terribles, elle hypnotise complètement le narrateur. Par contraste, Manon, la petite amie officielle de celui-ci, a l’air d’une pauvre fille hystérique. Il essaie d’ailleurs de lui annoncer à plusieurs reprises leur rupture, mais ne le fait pas par lâcheté. La loyauté de celle-ci est donc encore plus difficile à voir : elle est sincère, il ne l’est pas. Elle s’attache à lui, essaie de le tirer vers le haut, de l’aider à se sortir du marasme, mais il tombera, ignorant son aide, ensorcelé par une femme qui se révèle sa Némésis.

Le contexte général de l’histoire est celui d’un Québec indépendant, mais mis à part le fait que c’est dit et que les forces policières sont désignées comme agents nationaux, rien ne permet de l’affirmer. Pas d’indices sur la structure politique, les nouvelles frontières, des changements aux lois, ce qui est vraiment dommage, parce que les possibilités liées à cet état de fait étaient multiples. Quelques détails laissent croire que le monde n’a pas changé malgré les immenses espoirs soulevés, mais c’est tout. Comme science-fiction, c’est assez mince. C’est d’ailleurs le seul et unique élément qui permet de rattacher le roman au genre.

Le fait qu’une partie de l’histoire prend place dans une librairie érotique est par contre très intéressant. On y voit les fantasmes des gens, des clients bizarres et de nombreuses situations qui ancrent le roman dans une certaine réalité, le reste étant souvent constitué des divagations du narrateur sur la vie et surtout sur la femme de la librairie. La scène où celui-ci tente par tous les moyens de servir la femme de la librairie alors qu’il est submergé par les clients est d’ailleurs des plus cocasses ! Une touche d’humour dans un livre plutôt sombre. [MC]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 83-86.

Références

  • Gaille, Nicolas, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 307-308.
  • Tremblay, François, Voir (Québec), 19/25-10-1995, p. 14.