À propos de cette édition

Éditeur
JCL
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
154
Lieu
Chicoutimi
Année de parution
1988
Support
Papier

Commentaires

Magies du temps et de l’espace est un recueil de nouvelles étonnant. Il ne faut pas se fier au titre, inadéquat et peu commercial à mon avis, qui évoque plutôt une plaquette de poésie qu’un recueil de nouvelles de SF, seul lien que semble avoir voulu conserver l’auteur avec son passé de poète. Car pour le reste, c’est l’œuvre d’un écrivain qui a une vision de la science-fiction et qui sait maîtriser un récit. Clément Martel nous livre ici des textes de SF classiques qui ne révolutionnent pas le genre mais font passer d’agréables moments tout en dénotant un sens sûr de l’écriture.

Cette qualité peut surprendre, l’auteur n’ayant jamais publié de nou­velles de SF avant ce jour, mais il faut se rappeler qu’il est poète et qu’il connaît le poids des mots. Son écriture, agréable et efficace, établit sans l’ombre d’un doute qu’il sait écrire. On peut toutefois déplorer qu’elle soit un peu trop sage, qu’elle ne prenne pas suffisamment de risques.

Martel affiche une prédilection pour les récits à caractère scientifique. Chaque fois, son argumentation semble reposer sur des bases scientifiques solides. Il ébauche des théories plausibles de sorte que son discours est toujours convaincant. Il a la faculté de nous faire croire en ses personnages, ce qui n’est pas donné à tout le monde, créant ainsi une situation propice pour livrer discrètement un message qui invite à la réflexion. Sa pensée philosophique et son éthique personnelle l’amènent à plaider en faveur de l’ouverture d’esprit et de l’acception de l’autre. Sa science-fiction n’est pas ethnocentrique ou anthropomorphique. Après un premier réflexe de défense, les personnages de ses nouvelles acceptent l’idée de coexister avec des êtres ou des organismes différents d’eux.

Il y a dans l’œuvre de Clément Martel une parenté d’esprit avec celle d’Esther Rochon. Je pense à « De père inconnu » qui rappelle par sa relation ambiguë de haine/amour et par la présence de mutants la nouvelle d’Esther Rochon, « La Nappe de velours rose ». La même volonté d’ac­cueillir l’autre malgré sa différence se manifeste dans « Le Froid de la mer ». Il y a ici une symbiose qui s’opère entre l’homme et ce micro-organisme qui s’implante dans son système. Cette symbiose débouche sur une conscience collective qui enrichit l’expérience humaine. Plusieurs nouvelles sont tendues vers la recherche de l’harmonie mais toutes les tentatives ne se soldent pas par une réussite. Il y a parfois un phénomène de rejet comme dans « Dieux de la galaxie » alors que c’est la présence humaine sur une planète désertique qui est perçue par les êtres minéraux comme une menace à leur existence et à leur environnement.

D’une nouvelle à l’autre, Clément Martel puise à différentes disciplines pour alimenter son propos : la biologie, la linguistique, la mythologie, l’histoire des civilisations. Il en résulte des textes variés qui soutiennent l’intérêt du lecteur d’un bout à l’autre. « Les Visiteurs du temps » accuse toutefois quelques longueurs. L’idée de départ est séduisante mais les expli­cations, parfois redondantes, ne parviennent pas à éclaircir totalement le mystère de l’origine de cet astronef terrien construit au Moyen Âge. L’auteur reste vague sur l’identité de l’homme qui a rendu possible la construction de cette fusée. « Ils [les passagers] avaient été guidés par un personnage vaguement mystérieux qu’ils avaient précisément déposé quelque dix ans plus tôt sur un autre monde, prétendument le sien, selon ce qu’il n’avait cessé d’affirmer. Cet homme n’avait aucune particularité, sinon qu’il méditait souvent des heures durant et que sa force de persuasion était remarquable. » Cette imprécision s’accorde mal avec le souci de rigueur et de rationalité que manifeste l’auteur dans ses autres textes et amoindrit l’efficacité de cette nouvelle par ailleurs prometteuse.

L’argument de « À propos de chats » pourrait également sembler tiré par les cheveux mais Martel exploite avec bonheur la mythologie du chat, animal omniprésent dans l’histoire des civilisations. Il dispose d’une bonne documentation sur le sujet et sait en tirer le maximum malgré le caractère difficilement crédible de l’ensemble. Le texte est néanmoins sympathique parce qu’il s’inscrit dans un registre moins sérieux en entretenant une espèce de connivence avec les contes fantastiques du XIXe siècle. Son narrateur, le docteur Osborne, utilise les mêmes trucs que les conteurs de Fréchette et de Taché qui captivaient leur auditoire au coin du feu. « … seul le foyer qu’on attisait avec vigilance éclairait encore le groupe de convives atterrés. Alliés aux ténèbres, les contes suggestifs du vieillard donnaient la chair de poule, même aux plus braves. » En outre, le récit de Martel démontre qu’il aime… les chats, malgré ce que le propos du narrateur pourrait laisser croire.

L’auteur étale aussi son humour dans la courte nouvelle « Le Vrai maître de céans » alors qu’il nous livre le monologue intérieur d’un robot qui juge sa maîtresse comme un être inférieur. Cette nouvelle à chute – la seule du recueil – se termine de façon amusante en reproduisant un autre rapport supérieur/inférieur quand la femme regrette de ne pouvoir converser d’égal à égal avec sa chatte !

« La Fin d’un long voyage », qui clôt le recueil, est probablement le meilleur récit. Cette nouvelle psychologique fouille avec beaucoup de sensibilité les méandres d’une passion amoureuse entre un ingénieur et une collègue de travail dans une société répressive qui n’admet pas les relations adultères. Cette relation passionnelle, banale en d’autres circonstances, acquiert une force peu commune magnifiée sans doute par le côté tragique de son dénouement.

Magies du temps et de l’espace rassemble donc sept nouvelles de qualité que des revues spécialisées comme imagine… et Solaris n’au­raient eu aucune hésitation à publier. Si l’écriture et le récit dénotent un réel talent d’écrivain chez Clément Martel, l’auteur aurait toutefois intérêt à modifier la structure narrative de ses nouvelles. Dans la plupart d’entre elles, on connaît déjà aux deux tiers du récit les tenants et aboutissants du phénomène qui en constitue le moteur. La conclusion prévisible représente le défaut majeur de ces nouvelles, défaut largement compensé par des qualités appréciables.

Il est difficile de concevoir comment un éditeur peut en arriver à publier à quelques mois d’intervalle deux œuvres de SF, le recueil de Clément Martel et le roman de Nicole Paradis, Amitié cosmique, dont la qualité ne se compare absolument pas. L’écart est manifeste sur la couver­ture même. Autant la maquette du roman est moche et stéréotypée, autant l’illustration réalisée par Germain Dallaire est superbe. Espérons que l’éditeur utilisera désormais comme modèle de référence le recueil de Martel pour établir ses critères d’évaluation. Il rendrait ainsi un grand service à la SFQ. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 99-102.

Références

  • Boivin, Aurélien, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 515-517.
  • Meynard, Yves, Samizdat 16, p. 34-35.
  • Royer, Sylvie, Solaris 83, p. 17.