À propos de cette édition

Éditeur
Le Beffroi
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
185
Lieu
Beauport
Année de parution
1989
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[6 FA ; 7 HG]
La Maison du diable
Madame D.
Cochlea saginare
Le Prof
Au ciel, au ciel
Des fruits de la révolution
Au salon
La Jalousie
Messe grise
La Fin du père Cambard
Les Gitans
La Corne d'abondance
Diététitque

Commentaires

Il y a indéniablement au Québec une veine littéraire souterraine qui permet au fantastique traditionnel de se maintenir bien vivant. Cette pro­duction est davantage le fait de quelques écrivains assimilés à la littérature générale que des auteurs du milieu de la SF et du fantastique québécois. Bien souvent, ces auteurs disparaissent aussi rapidement qu’ils sont apparus. Sans doute est-ce pour cela qu’on ne peut véritablement parler d’une école littéraire. Mais il y a une parenté évidente par le ton, par les thèmes, par la volonté de dépoussiérer le genre.

Maurice Fournier appartient à ce courant. Son recueil, La Maison du diable, constitue une tentative parfois réussie de faire de l’humour noir aux dépens des lois du genre. Le résultat, en tout cas, est bien supérieur à la prestation de Pierre Villemure en 1988 dans Quand le diable s’en mêle, en grande partie parce que l’écriture de Fournier est plus sûre, plus ferme et plus riche. Sa prose fait penser à celle de Négovan Rajic avec lequel, d’ailleurs, il partage une culture nourrie par l’Europe. L’univers littéraire de La Maison du diable est proche de celui de Service Pénitentiaire Natio­nal. Il s’agit d’une civilisation différente de celle qui caractérise la société qué­bécoise. Elle est plus ancienne, plus conservatrice, plus ancrée dans ses traditions. À cause de cela, elle apparaît plus vulnérable aussi. On ne saurait imaginer la nouvelle « Des fruits de la révolution » dans un contexte québécois. La dégénérescence et la décadence de l’aristocratie française ici représentées ouvrent la porte au fantastique à cause du poids des traditions. L’ordre ancien, quand il ne répond plus à une réalité nou­velle, devient un terreau dans lequel fleurit le fantastique.

Toutefois, l’absence de plan d’ensemble du recueil interdit de fouiller plus avant cette intuition. Il ne faut pas croire les prétentions de l’éditeur qui annonce en quatrième de couverture un recueil de treize récits fan­tastiques. J’en compte tout au plus six. Les autres nouvelles sont surtout réalistes, avec parfois des pointes du côté de l’absurde ou de l’insolite. On n’a pas tellement le choix, devant le caractère composite du recueil et devant la disparité des nouvelles fantastiques elles-mêmes, d’y aller à la pièce.

Le titre du recueil, qui est aussi le titre de la première nouvelle, n’indi­que pas vraiment ce qu’il contient. L’image du diable ne sera plus évoquée par la suite. Le recueil s’ouvre donc sur une histoire classique de maison appartenant au diable. Le narrateur est séduit par un détail archi­tectural qui fait tout le prix de l’immeuble à ses yeux. La rosace qui l’avait attiré, orne­ment familier de l’art religieux, devient l’objet de perdition du nouveau propriétaire quand elle disparaît au cours des travaux de réno­vation de la maison confiés à des ouvriers. La rosace, qui constitue en quelque sorte la porte de l’enfer, souligne l’ambivalence de la représen­tation religieuse, le caractère indissociable du Bien et du Mal. Il n’est pas inutile de préciser que le narrateur exerce la profession d’antiquaire et qu’il est soumis, de ce fait, au poids du passé et des canons esthétiques anciens.

C’est encore le poids de la tradition qui est en cause dans « La Fin du père Cambard ». Adolphe Sarrazin, garde-champêtre du village de Sainte-Bénigne, maintient vivante la légende du Père Noël en personnifiant chaque année le bon vieillard à l’intention des enfants du bourg à la sortie de la messe de minuit. Mais cette nuit-là de l’an 1958, Flipo, le chien du garde-champêtre, profane la fosse du vieux Cambard. Mal lui en prend. Furieux, Adolphe assomme le cabot et l’enterre avec le père Cambard.

La fin est pour le moins bizarre et absconse. Quelle est la signification de cet animal furibond qui sort de la fosse quand, le printemps suivant, le fossoyeur, intrigué par le tumulus, se met en frais de fouiller la sépulture ? Maurice Fournier semble croire que le fantastique est synonyme de mys­tère. Déjà, la nouvelle éponyme ne brillait pas par sa clarté. Ici, l’auteur pèche par laconisme en ne raccordant pas les fils de son récit. Il manque à cette nouvelle quelques liens essentiels qui pourraient lui donner un sens. Maurice Fournier confond visiblement le fantastique et la manifestation d’événe­ments gratuits. Au-delà de son aspect irrationnel, le fantastique répond à une logique implacable. Certes, sa définition du fantastique semble tout à fait étrangère à la sanction d’une faute ancienne mais elle ne repose pas pour autant sur une autre signification.

Son fantastique est plus efficace quand il s’associe au destin. Ainsi, dans « Les Gitans », le jeu de tarots scelle l’existence de Madame Zelda et de son mari, Nino Ronca. « Elle [Zelda] regarda fixement les symboles immémo­riaux et une force miraculeuse l’envahit. » Cette nouvelle n’a rien de bien original mais l’auteur recrée avec bonheur, en quelques pages seulement, l’existence particulière des gitans, faite d’errance continuelle et empreinte d’une magie trouble.

« Au salon » présente une situation plus quotidienne. Un homme visite les salons funéraires en se faisant passer pour une connaissance du défunt dans l’espoir d’assister au repas qui suit généralement l’enterrement. Un jour, pendant qu’il offre ses condoléances à la famille, le mari de la défunte s’effondre, victime d’un malaise cardiaque. Alors que sa fille réussit à le réanimer en pratiquant la respiration artificielle, la morte ouvre la bouche comme pour réclamer pareil secours. À part quelques traits humoristiques, cette nouvelle distille un ennui à faire bâiller.

« Des fruits de la révolution » propose une histoire à la manière de Poe. À tous les trente ans, les descendants des trente-deux couples qui s’étaient unis dans le stupre, au château de Coudeyrac, le soir du 21 mars 1795, perpétuent ce rituel. Les deux derniers descendants donnent naissance en 1946 à des jumeaux que la vie sépare. Ils se rencontrent en 1975 sans se connaître et leur union incestueuse provoque l’écroulement du château. L’auteur brosse une fresque intéressante qui lui permet d’évoquer quelques personnages historiques comme Sade, maître d’œuvre de l’orgie de 1795, et Raspoutine, prêtre du rituel de 1915. Mais cette nouvelle, la plus longue du recueil, s’étire péniblement quand Fournier se met à décliner les noms des soixante-quatre participants de la réception de mars 1795, puis ceux de leurs descendants. On a l’impression de feuilleter le carnet mondain d’une courtisane.

La meilleure nouvelle, à mon avis, est la dernière du recueil. « Diététi­que » pratique une forme d’humour noir et la fin bascule dans l’horreur fantastique. Les efforts du narrateur pour réduire son poids sont plus drô­les que pathétiques, si bien que le thème de l’obésité ne constitue qu’un prétexte qui permet à l’auteur de donner libre cours à son imagination. Ce sens de la démesure et de la dérision représente les qualités que Fournier aurait intérêt à exploiter plus souvent. Cela serait beaucoup plus réjouissant que les dissertations sur la philosophie orientale pour lesquelles l’auteur entretient une prédilection tenace dans plusieurs récits.

Il me semble évident que Maurice Fournier cherche encore sa voie. La Maison du diable est un recueil qui s’en va dans plusieurs directions à la fois, qui hésite entre plusieurs genres et plusieurs tons. Il y a beaucoup de choses décevantes dans ce livre, mais aussi des atmosphères, des climats qui laissent deviner un tempérament d’écrivain. Tous les espoirs sont donc en­core permis, à condition que Maurice Fournier sache reconnaître ses points forts et ses points faibles. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 89-92.

Références

  • Bélil, Michel, imagine… 51, p. 91-93.
  • Desmeules, Georges, Québec français 75, p. 16.
  • Gervais, Jean-Philippe, Solaris 88, p. 18-19.
  • Joubert, Lucie, Le Sabord 23, p. 35.
  • Voisard, Anne-Marie, Le Soleil, 03-06-1989, p. F-10.