À propos de cette édition

Éditeur
La Presse
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Presse, vol. VIII, n˚ 284
Pagination
4
Lieu
Montréal
Date de parution
08 octobre 1892

Résumé/Sommaire

Pierre Vermette a engagé un Acadien qui éveille la méfiance auprès des villageois. C’est que l’homme (Jacques), plutôt secret, ne se montre jamais à l’église. Et tous les samedis soir, il disparaît avec un sac pour ne rentrer que le dimanche matin. Personne ne sait où il passe la nuit et ce qu’il ramène dans son sac. On le surnomme le « sorcier ». Un samedi, Vermette décide d’en avoir le cœur net : il suit l’Acadien. Jacques se rend dans les marais. L’obscurité est telle que Vermette le perd de vue. Et voilà que des feux follets se mettent à bourdonner ici et là. Vermette découvre enfin l’Acadien, inconscient. Affolé, il s’empresse d’aller chercher le curé qui, par ses prières, réussit à contrer les démons. Les deux hommes sauvent ainsi l’engagé. Mais le samedi suivant, Jacques repart pour les marais, selon son habitude. On retrouve son cadavre plusieurs jours plus tard. À ses côtés, un sac rempli de grenouilles…

Commentaires

« La Mare au sorcier » donne voix à deux narrateurs. Le premier fait le portrait de Napoléon Fricot, grand poète et conteur à ses heures. Fricot accordait foi aux croyances populaires et aux superstitions, « comme tous les campagnards de sa classe et de son instruction ». Pour lui, les feux follets étaient non pas les âmes de trépassés, mais « des âmes de vivants » qui quittaient « leur corps pour aller rôder la nuit, au service du Méchant ». Comment devenait-on feu follet ? Sept ans sans avoir fait ses Pâques vous condamnait à courir le loup-garou ; quatorze ans vous transformait en feu follet. Satan vous obligeait alors à égarer les passants avant de provoquer leur malheur ou de les pousser dans les bras de la mort.

L’histoire se passe dans la région de Kamouraska (un lieu riche en légendes). Un étranger nouvellement arrivé dans un village ne se comporte pas selon les normes et les convenances religieuses. Il n’en faut guère plus pour éveiller le soupçon et bientôt l’imagination. Car comment expliquer la démarche lourde et hésitante de l’Acadien, le dimanche matin, au retour de son étrange escapade nocturne ? Il est pourtant sûr qu’il ne boit pas. Et que prépare-t-il alors pour son déjeuner ? Dans cette première moitié du récit, bien menée, Fréchette entoure son personnage de la part d’ombre qui prédispose à l’avènement du fantastique.

Le deuxième narrateur, Napoléon Fricot (neveu de Vermette), prend le relais pour raconter la filature de l’Acadien jusque dans les marais sombres, l’apparition des feux follets, et le dénouement à la fois tragique (mort de l’engagé) et ironique (il était simplement amateur de grenouilles). Malheureusement, la tension, si bien soutenue auparavant, faiblit. Jamais nous ne sentons la peur de Vermette au milieu des marais et de l’obscurité. Pourtant, il est à ce point affolé qu’il rebrousse chemin. Voilà une erreur de la part du conteur. Vermette fuit les lieux, la tension tombe. Il aurait fallu nourrir l’inquiétude de l’homme pour maintenir le suspense… La deuxième filature n’est guère plus réussie. Cette fois, les réactions de Vermette ne sont pas appropriées. Quand il découvre Jacques inconscient, il agit comme si celui-ci s’était endormi dans les marais ! Enfin, à l’apparition des feux follets, sa peur est si grande qu’il quitte les lieux pour aller chercher le curé. Et la tension tombe à nouveau…

Louis Fréchette s’est plu à glisser dans son texte des canadianismes et des tournures « orales » (rhumatisses, maladies de pommons, bâdreux, piquer à travers le clos, la picote, etc.). L’intention était louable mais le résultat n’est pas toujours heureux : « Il faut bien songer à son âme tout de même, et mon oncle se promit de watcher l’individu, et de découvrir à tout prix le secret de ses escapades du soir. » Les niveaux de langue se mélangent, comme les tonalités du fantastique et du comique s’emmêlent, mais sans jamais trouver véritablement alliance. Malgré ces inégalités, « La Mare au sorcier » compte des passages d’intérêt pour qui veut en apprendre sur les superstitions et les croyances populaires du XIXe siècle. [RP]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 85-87.