À propos de cette édition

Éditeur
Le Passeur
Titre et numéro de la collection
L'ASFFQ
Genre
Fantastique
Longueur
Novelette
Paru dans
L'Année 1986 de la science-fiction et du fantastique québécois
Pagination
213-227
Lieu
Beauport
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Une jeune provinciale en fugue visite Paris et se retrouve déçue de la confrontation entre la ville imaginaire et la ville réelle. Juste avant de rentrer chez elle, elle rencontre un homme étrange au sommet de Notre-Dame avec qui elle discute philosophie et métaphysique. Chez lui, elle découvre une salle remplie de portraits de divers personnages peints à diverses époques. Elle hésite sur la nature de l’homme (criminel, psychopathe, peintre ?) mais décide de faire son portrait. Dans le train la ramenant chez elle, elle se remémore cette rencontre. En regardant à nouveau le dessin, elle ne voit plus qu’une feuille blanche portant la date et sa signature.

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Commentaires

Ce texte est une des rares nouvelles fantastiques de Vonarburg et, me semble-t-il, une de ses plus directement autobiographiques. (Voir les nombreuses analogies entre la situation du personnage et celle de l’auteure dans sa jeunesse).

En fait, la nouvelle a toutes les apparences du texte réaliste, malgré l’atmosphère insolite suggérée, et ce n’est qu’à la toute dernière ligne que le texte bascule vraiment dans le fantastique. Le reste du temps, l’auteure se contente d’hésiter sur la nature du réel (la scène où elle croit voir bouger l’île), sur le caractère extraordinaire de la rencontre avec le personnage masculin qui s’avère en fait décisive, transformant la jeune fille, la révélant à elle-même, changeant sa vision des choses, de la ville et des gens, dirigeant son malaise existentiel vers ce but désiré mais jamais atteint, par manque de conviction ou de confiance en soi, celui d’écrire.

On peut d’ailleurs s’interroger encore plus profondément sur la nature de cette rencontre : a-t-elle vraiment eu lieu ou est-elle le produit de l’imagination de la jeune fille ? Prédestination ou hasard ? De même pour la nature de l’homme au statut déjà bien ambigu : a-t-il été créé par la jeune fille afin de constituer un miroir, un interlocuteur crédible qui l’amènerait à découvrir son intériorité profonde, qu’elle utiliserait pour se parler à elle-même, qui la ferait grandir, la conduisant au seuil de l’âge adulte ? Le texte ne conclut pas et suggère diverses interprétations possibles.

En plus de ce mariage du réalisme et du fantastique, de l’autobiographie et de la “nouvelle d’apprentissage”, le texte atteint un de ses points culminants dans l’espèce de joute oratoire que se livrent les deux personnages au sommet de Notre-Dame. La pensée de l’auteure s’y déploie largement, suit plusieurs pistes, certaines prenant leur origine dans le surréalisme et débouchant sur des considérations métaphysiques telles que la nature ambivalente de Dieu, la complémentarité des contraires sublimée entre autres dans l’impossibilité de l’existence de l’ombre sans la lumière (ce qui constitue une référence à Gilbert Durant), en passant alternativement par le refus et l’acceptation de la magie et de son caractère “effectif” dans le monde moderne. Bref, tout l’éternel débat du romantisme concernant l’opposition entre le rêve, les illusions et la réalité, un débat contrôlé de main de maître, Vonarburg dosant les répliques, donnant à chacun l’occasion d’exprimer divers points de vue et ne concluant pas nécessairement de manière définitive.

« Le Matin du magicien » est une sorte de poème lyrique sur Paris qui s’attarde spécifiquement sur des architectures ou des paysages particulièrement en accord avec les états d’esprit de la jeune fille. En fait, le paysage extérieur devient la projection du paysage intérieur, son complément, et cela à l’aide d’une écriture somptueuse tenant à la fois, pour la structure et l’atmosphère, des surréalistes et pour le style, des grands romantiques, tout en demeurant pleinement vonarburgienne. D’ailleurs, en plus de planer implicitement sur les mots du texte, Breton, Hugo, Chateaubriand, etc., sont cités ou conviés explicitement, ce qui constitue assurément un hommage à ces écrivains. Bien sûr, on peut aussi espérer que le clin d’œil du titre n’aura échappé à personne.

Je m’en voudrais de passer sous silence le parallèle qu’on peut établir entre le dénuement psychologique et affectif de la jeune fille et le dénuement matériel du peintre ainsi que leur stratégie de dissimulation mutuelle : la jeune fille essayant de se faire passer pour une touriste anglaise au début et l’homme, personnage prométhéen par excellence visiblement sous le coup d’une sentence causée par la transgression de lois qui nous échappent, se livrant par petites touches énigmatiques, bribes de dialogues où le non-dit semble encore plus important que les mots. En fait, ils se rencontrent par leur douleur mutuelle.

En bref, un texte qui se tient constamment à la lisière du réel et du fantastique dans la tradition du réalisme magique, qui présente des personnages dont la relation privilégiée éveille chez le lecteur des échos familiers à travers une écriture très travaillée qui contribue à une atmosphère insolite et troublante et à la qualité impressionnante de la nouvelle. [LSP]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 189-190.