À propos de cette édition

Éditeur
Alire
Titre et numéro de la série
Tyranaël - 3
Titre et numéro de la collection
Romans - 5
Genre
Science-fiction
Sous-genre
Planète
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
353
Lieu
Beauport
Année de parution
1997
ISBN
9782922145045
Support
Papier+
Illustration

Résumé/Sommaire

Mathieu est un tête-de-pierre. Il vit dans une institution pour « bloqués » hautement surveillée par les Gris. Jordan prend en charge l’adolescent, espérant découvrir chez lui une nouvelle mutation. Mathieu, cobaye malgré lui et plus ou moins conscient de sa véritable situation, est contraint à l’isolement le plus complet. Il a perdu tout souvenir de ses origines à cause des drogues qui lui sont administrées à son insu. Il finit par s’enfuir mais se perd dans un labyrinthe souterrain. Épuisé, il active sans s’en rendre compte un mécanisme qui fait surgir un étrange personnage. Galaas a l’apparence des Anciens et il parle leur langue. Les Anciens ne sont-ils pas disparus de Virginia ? S’agit-il d’une autre ruse de Jordan ? Intrigué, Mathieu suit cet homme. Après un curieux parcours inspiré de la légende d’Oghim, Galaas le conduit à la sortie. Il est libre.

Après avoir erré, Mathieu se retrouve dans les bas quartiers de Morgorod, sans emploi, victime du rejet et du mépris. Un certain Merril le prend sous sa protection et l’intègre à sa coopérative d’artisans. Tous se montrent affables avec Mathieu qui reste méfiant et discret. Il travaille, lit, cherche à comprendre ce qu’il est et le monde qui l’entoure. Est-il toujours surveillé ? Et voilà que tout bascule lorsqu’il est convoqué par les autorités (les Gris). Comme il se prépare à plier secrètement bagage, il est surpris par Sonya Merril et un singulier vieillard du nom d’Abram Viateur. Mathieu apprend que ses hôtes sont des Rebbims, des rebelles opposés aux Gris.

Abram conduit Mathieu au pays des licornes et des Rebbims, où il sera en sécurité. Il lui fait découvrir la Mer. Ils sont tous deux accueillis chez les Bordes. Les recherches que mène Abram révèlent au jeune homme qu’il est de la lignée exceptionnelle des Janvier. Mathieu expérimente l’aëllud, une puissante drogue des Anciens, avec le groupe des Bordes. L’expérience peu convaincante épuise Abram qui dépérit de jour en jour ; la mort approche. Une nuit, Mathieu voit un inconnu entrer secrètement chez les Bordes. Le lendemain, Abram a disparu. Les licornes annoncent qu’il s’est jeté dans la Mer. Mathieu est troublé. Alors que la Mer va se retirer au moment de l’éclipse, une licorne l’invite à monter sur son dos. Elle galope vers la Mer sans s’arrêter. Mathieu réussit à « passer » de l’autre côté où il est accueilli comme un dieu par les Anciens.

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Commentaires

Situons tout d’abord ce troisième tome de Tyranaël par rapport aux précédents, parus l’an dernier. L’histoire se déroule environ 160 ans après que les mutants aient pris le pouvoir sur Virginia, sans révéler toutefois leur nature de télépathe. Depuis l’arrivée des Terriens sur Virginia, planète désertée par les Anciens indigènes, les mutations ne cessent d’évoluer et de surprendre. Est-ce dû aux pylônes qui sillonnent la planète, à cette étrange sphère qui brille à leur sommet ? À la Mer ? Chose certaine, la télépathie se manifeste très tôt dans la lignée des Rossem/Janvier. En plus d’être le plus puissant télépathe de la planète, Simon Rossem montre des signes de longévité exceptionnelle. Son corps se régénère de lui-même lorsqu’il atteint un âge avancé. Simon change chaque fois d’identité. Personne ne connaît son secret.

Au moment où commence l’histoire de Mathieu Janvier, cinq siècles se sont écoulés depuis qu’Éïlai a rêvé la venue des premiers Terriens sur Tyranaël. Le mystère de la Mer et des Anciens n’a jamais été résolu. Les Gris sont au pouvoir et les Virginiens sont devenus des « sensitifs » (empathie développée). Les enfants qui ne manifestent aucune faculté sensitive sont placés en institution où ils reçoivent une formation spéciale. S’ils ne débloquent pas avant l’âge adulte, ils se retrouvent confinés dans les bas quartiers des villes, quand ils ne sont pas carrément éliminés. Tel est le sort que l’on réserve aux têtes-de-pierre. Les Terriens sont tout autant méprisés depuis leur dernière intervention sur Virginia (150 ans plus tôt). Ils avaient alors profité de la faiblesse du gouvernement pour débarquer massivement sur la planète. Une épidémie de peste avait suivi et décimé une grande partie de la population. Les Virginiens ne l’ont pas oublié. Mathieu se trouve donc doublement marginalisé : c’est un tête-de-pierre descendant de ces Terriens.

Mon frère l’ombre raconte la longue quête de vérité et de liberté qu’entreprend Mathieu. Le jeune homme cherche à se réapproprier une part de l’identité qui lui a été volée, à comprendre sa véritable nature et à découvrir quelle est sa place sur Virginia. C’est un être complètement défait qui nous apparaît au début de l’histoire, un être fragmenté, coupé de lui-même et du monde, ayant perdu tout repère. Mathieu est prisonnier de son maître Jordan qu’il aime et craint à la fois. Il sait que Jordan attend beaucoup de lui, qu’il lui faut débloquer à tout prix, et il s’abandonne en toute confiance. Les expériences s’intensifient et le détruisent physiquement et psychologiquement. Mais l’instinct de survie finit par l’emporter. Mathieu reprend contact avec la réalité en tenant secrètement un journal. L’écriture assure une continuité dans le temps ; elle lui permet de créer des liens entre les événements. Le journal devient sa mémoire et son refuge. L’adolescent comprend ainsi que Jordan le manipule. Jamais plus il ne pourra accorder sa confiance à quelqu’un. La peur et la méfiance ont bel et bien pris demeure.

L’apprentissage de la vie sur Virginia est difficile pour Mathieu. Il lui manque les référents sociaux nécessaires à sa survie. Il se documente, interroge discrètement les gens et observe avec intelligence les mouvements autour de lui. Il lui faut tout reconstruire. L’intérêt premier de ce tome réside d’ailleurs dans le cheminement intérieur de Mathieu, dans son questionnement, dans le regard distancié qu’il pose sur le monde. L’ignorance et la curiosité du jeune homme deviennent des atouts pour le lecteur qui découvre avec lui les réalités nouvelles de Virginia. Certains événements passés sont ainsi rappelés à notre mémoire, et quelques indices sur les Anciens émergent ici et là, histoire de garder vivante l’intrigue première de Tyranaël.

La peur de la différence persiste chez les Virginiens et elle conduit toujours à la violence et à l’oppression. Seul le visage des victimes a changé. Cette fois, ce sont les têtes-de-pierre et certains types de mutants qui inquiètent les autorités. Les télépathes sont encore perçus comme des êtres dangereux puisqu’ils peuvent lire et contrôler la pensée d’autrui. Les mutations créent donc de nouveaux enjeux politiques sur Virginia ; elles sont d’ailleurs à l’origine du conflit opposant les Gris aux Rebbims. Pour simplifier le portrait politique de Virginia, disons que les Gris se rapprochent de l’extrême droite (valeurs conservatrices, intolérance envers les mutants, répression, etc.) alors que les Rebbims représentent davantage la gauche (ouverture au changement, acceptation de tous les mutants, valeurs humanistes, etc.). Le personnage de Lefebvre, un chercheur Gris ayant passé du côté des Rebbims, me reprendrait sûrement ici pour affirmer que rien n’est jamais aussi simple…

Quant à la Mer et aux Anciens, ils ne sont pas dans ce tome au cœur de l’intrigue mais ils continuent d’exercer une réelle fascination. L’environnement virginien façonne le corps et l’esprit, agit sur l’être dans son rapport à lui-même et aux autres. Vonarburg s’intéresse aux nouvelles croyances et aux habitudes de vie qui se sont développées au contact de la Mer, en écho à la civilisation des Anciens. Ainsi, nous découvrons avec émerveillement la « géographie sonore » de Morgorod pendant les deux années de présence de la Mer. Le brouillard est alors si dense que les gens se guident à l’aide de clochettes. Chaque quartier a son registre, sa tonalité… On peut imaginer la complexité de la partition… Vonarburg prend aussi soin de décrire la flore et la faune indigènes, et certains aspects du milieu géophysique. Le portrait est complet, magnifique. Il faut dire que le lecteur voyage désormais dans l’univers de Tyranaël avec suffisamment de référents pour en apprécier toute la richesse.

Le thème central de Mon frère l’ombre reste celui du double, un thème cher à Vonarburg, auquel se trouve liée la quête d’identité et d’harmonie. Le dédoublement se manifeste à l’échelle de l’environnement (Virginia/Tyranaël), mais aussi sur les plans personnel (identités multiples, Abram/Simon), symbolique et même formel. Vonarburg fait en effet alterner l’histoire d’Oghim Karaïdar – une légende des Anciens – avec celle de Mathieu Janvier. Le jeune Oghim est un prince sans ombre qui entreprend un long périple afin de retrouver la part manquante de lui-même. Au fil des épreuves, il découvre ses talents qui l’élèvent au niveau des dieux Ékelli, mais jamais il ne renonce à son ombre, à sa condition d’homme. Oghim devient ainsi le premier humain à être doté de tous les pouvoirs des dieux, le premier hékel. La légende d’Oghim s’attache aux pas de Mathieu, comme une ombre fantôme…

Mon frère l’ombre rappelle que la dualité est le propre de la nature humaine mais que, mal assumée, elle apparaît comme une dissonance. Lors de la traversée de la Mer, Mathieu débloque et devient télépathe. Il rejoint son ombre (Oghim) et recouvre sa véritable identité chez les Anciens. Terminons en disant tout le plaisir de retrouver, dans ce tome, Simon Rossem sous les traits d’Abram Viateur. Vieux pèlerin errant à travers les âges, Simon/Abram porte le poids de son secret, de sa solitude, de sa condition d’immortel. Pour le lecteur comme pour les personnages, il est un guide précieux et attachant, puissant mais aussi fragile, un frère avançant dans l’ombre de notre propre quête. [RP]

  • Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 193-196.

Références

  • Beauregard, Robert, Nuit blanche 68, p. 11-12.
  • Bérard, Sylvie, Lettres québécoises 87, p. 36.
  • Bérard, Sylvie, Solaris 123, p. 35-38.
  • Caron, Jacques, Le Vétérinarius, vol. 13, n˚ 6, p. 22.
  • Décarie, Susanne, Femme plus, avril 1997, p. 12.
  • Martel, Clément, Québec français 108, p. 26-27.
  • Martin, Christian, Temps Tôt 45, p. 43-44.
  • Mercier, Claude, Proxima 2/3, p. 109-110.
  • Trudel, Jean-Louis, KWS 29-30, p. 40-48.