À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
117
Lieu
Québec
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[4 FA; 6 HG]
Mourir comme un chat
Rien n’a de sens sinon intérieur
L’Arbre qui avait sept petites filles
Les Fourmis
L’Étranger
L’Homme à l’oiseau déployé
La Marmite
Je vais là où j’ai peur
Parcheesi
À la célébration de l’oubli

Commentaires

Il semble que cela est en voie de devenir une tradition : d’année en année, le recueil qui reçoit le prix Adrienne-Choquette contient des nouvelles fantastiques. C’est le cas des trois derniers lauréats, André Berthiaume avec Incidents de frontière en 1984, J. Gagnon avec Les Petits cris en 1985 et cette année, Claude-Emmanuelle Yance avec Mourir comme un chat.

Le recueil de Yance s’inscrit sans difficulté dans l’esprit qui anime L’instant même, maison d’édition vouée à la promotion et à la défense de la nouvelle. Chez cet éditeur, on accorde une attention toute particulière à l’écriture. On sélectionne les manuscrits en fonction d’abord de leurs qualités stylistiques, du ton personnel de leur écriture. À la limite, le sujet du récit n’a pas d’importance. Il vise surtout à transmettre des émotions, de petits fragments de la réalité. Quand on referme le recueil, il reste une voix qui continue de nous habiter longtemps après que les personnages, ou ce qui en tient lieu, ont fini de s’évanouir. La nouvelle ici n’a rien de l’ébauche du roman et elle fuit comme la peste la tentation de l’étude psychologique.

Les textes de Yance sont une voix et un œil et c’est par eux que se crée le climat insolite, inquiétant, surréaliste ou fantastique des nouvelles. Si la voix est claire et audible, l’œil est parfois brouillé ou concentré uniquement sur un détail qu’il isole de son contexte global. Le lecteur a parfois l’impression, dans ces circonstances, de se trouver devant une fenêtre aveugle. L’univers extérieur est décrit sommairement ou complètement escamoté comme si rien n’avait de sens sinon intérieur. Quand, par exception, le personnage accorde une attention soutenue à son environnement physique comme Jean-Denis Vijean, il se sent agressé par le décor extérieur et se recroqueville sur lui-même. Il se voit forcé de retraiter dans son espace vital comme s’il n’avait aucune aptitude à évoluer dans le monde extérieur. Les personnages de Yance sont incapables de s’insérer dans un univers social comme s’ils avaient été amputés d’une partie de leur être. C’est pourquoi les lieux ne sont jamais nommés et demeurent flous. À peine peut-on soupçonner, dans « Les Fourmis », que la narratrice vit dans un pays d’Afrique noire.

Malgré tout, le recueil de Yance finit par composer un réseau de problèmes existentiels qui révèlent le mal de vivre, la souffrance et l’angoisse des personnages. La plupart ne réussissent pas à échapper à leur destin. Seule la bossue de « La Marmite » parvient à échapper à la tyrannie de ses sœurs et à puiser en elle suffisamment de courage pour affronter le monde extérieur. Les autres demeurent marqués irrémédiablement, qui par leur enfance, qui par une peine d’amour, qui par une vision troublante de leur existence. Chaque fois, l’auteure se montre peu diserte sur cet événement qui hypothèque lourdement les aspirations au bonheur de ses personnages. Là où elle est le plus explicite, c’est dans la nouvelle éponyme alors que nous est révélée peu à peu la passion amoureuse de la narratrice pour sa commensale, Lima. Mais Yance ne s’appesantit pas sur ces amours lesbiennes. Elle choisit la pudeur, la discrétion.

Cette écriture syncopée, aux phrases très courtes, rappelle à certains moments le style d’Anne Hébert dans Kamouraska et Les Fous de Bassan. Mais Yance est plus près d’Aude par la thématique et le climat de ses nouvelles. Les personnages errent dans un univers rempli de fantasmes. Voilà donc un autre recueil dans lequel il n’est pas facile de départager les genres. Si « Mourir comme un chat » et « La Marmite » sont clairement des nouvelles réalistes, les huit autres textes empruntent à divers courants qui ne sont guère éloignés du fantastique moderne. Il serait toutefois difficile d’en retenir plus de quatre ou cinq, la nouvelle « Je vais là où j’ai peur » pouvant être interprétée diversement. Pour ma part, je trouve que le climat n’est pas tellement fantastique et que les agissements de David révèlent chez lui de graves problèmes psychotiques. L’allusion qu’il fait à un sorcier, Adonaï, n’est pas suffisante à mes yeux pour accréditer le doute fantastique, d’autant que le lecteur n’apprend à peu près rien d’autre. Si David avait été le narrateur, la nouvelle aurait peut-être pris une tout autre coloration mais c’est la femme de David qui, d’un air détaché et de façon clinique, raconte cette histoire. Ce choix narratif fait toute la différence, à mon avis.

Il reste donc quatre nouvelles dont la meilleure m’apparaît être « Rien n’a de sens sinon intérieur », titre qui pourrait résumer le credo de l’auteure. Ce texte remarquable se présente, si l’on veut, comme une allégorie de la vie. En regardant par la fenêtre de son appartement, Vijean constate que les immeubles bougent de façon presque imperceptible dans le paysage. Il remarque ensuite que son appartement rapetisse et on le trouve quelques semaines plus tard recroquevillé sur lui-même comme un fœtus. Le temps est l’enjeu du phénomène que subit Vijean. L’auteure multiplie à dessein les indices : « Encore une fois, l'ellipse tend à se déformer pour devenir cercle puis quelque chose qui, à cause de l'étranglement du milieu, rappelle la forme du sablier ». Le sablier donc, mais aussi le symbole de l’infini (∞), les dates qui comportent toujours un 8 et la concordance de la première et de la dernière syllabe du nom du personnage (Jean-Denis Vijean) comme si la boucle était bouclée, le début confondu avec la fin, la naissance (position fœtale) avec la mort.

Dans « Les Fourmis », c’est encore à un parcours allégorique de la vie auquel est conviée la narratrice alors que tout semble voué à l’effondrement autour d’elle ainsi que l’illustre le travail souterrain des fourmis. Dans cette enfilade de pièces qu’elle explore, elle traverse diverses époques de la vie, de la chambre d’enfant à la salle éclatante de lumière qui symbolise la mort. Ce labyrinthe improbable auquel elle a accès par une porte de la maison qu’elle habite dans un pays tropical représente en quelque sorte la version fantastique de la quête du centre dans l’œuvre d’Esther Rochon. On peut mesurer par ce rapprochement ce qui distingue le fantastique de la science-fiction. Le parcours du personnage de Yance est strictement intérieur tandis que l’itinéraire personnel du personnage de Rochon s’inscrit également dans une perspective sociale.

« L’Étranger » explore un thème plus classique, celui d’un homme qui reçoit d’un inconnu des lettres écrites dans une langue qu’il ne connaît pas, le français. Cette machination obscure lui coûte la vie. L’auteure expose avec beaucoup de finesse les problèmes auxquels se heurtent les immigrants (M. Kresny est Ukrainien) et démontre l’importance de posséder la culture de la société d’adoption. Kresny meurt parce qu’il rompt le lien épistolaire avec son correspondant anonyme, faute de trouver les derniers mots d’un poème de Baudelaire.

Enfin, « L’Homme à l’oiseau déployé » mise sur les jeux de miroirs qui renvoient le protagoniste à lui-même, à sa solitude affective. Ce texte plus intellectuel que les autres, qui utilise la peinture comme révélateur impitoyable du réel, demeure un exercice de style moins réussi en raison de sa propension à l’abstraction.

Même si l’approche de l’auteure dans ces nouvelles est toujours déterminée par le regard intérieur, Mourir comme un chat de Claude-Emmanuelle Yance n’est pas un recueil unidimensionnel. L’auteure s’efforce de varier les procédés narratifs. Ainsi, dans « La Marmite », elle utilise la forme du journal intime. Dans « L’Arbre qui avait sept petites filles », le récit épouse le ton de la confidence sur le divan d’un psychanalyste. Dans « Rien n’a de sens sinon intérieur », le style est celui du rapport d’enquête rigoureux et impersonnel. Les indéniables qualités d’écriture de Yance donnent du relief à un recueil qui, sans cela, pourrait décourager le lecteur devant la perspective de pénétrer dans un univers sourdement violent et rempli d’angoisses existentielles. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 191-194.

Prix et mentions

Prix Adrienne-Choquette 1987

Références

  • Martel, Réginald, La Presse, 04-05-1987, p. A 12.
  • Mativat, Daniel, imagine… 43, p. 118.
  • Ouellette-Michalska, Madeleine, Le Devoir, 04-07-1987, p. C-6.
  • Yotova, Rennie, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 572-573.