À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Les membres d’un club sélect créent un jeu destiné aux résidants de leur immeuble. Un jeu compliqué, aux règlements abscons. Connu pour avoir déjà publié « quelques articles occultes à souhait », le narrateur est choisi pour rédiger lesdits règlements conformément aux desiderata de cette élite autoproclamée.
Commentaires
« Le Négateur » est une suite à « Les Cônes », où l’on voit les locataires d’un immeuble s’adonner à un jeu mystérieux avec frénésie. Il s’agit très clairement, dans les deux cas, du même jeu et du même immeuble.
La nouvelle se présente comme le compte rendu fidèle des discussions ergoteuses des membres du club sur le libellé de ces fameux règlements : est par exemple adopté le principe absurde du « dé à cinq faces », qui se traduit par la disparition de la face six au profit du zéro. « Cette absence de résultat quantitatif insinuera [sic] l’anéantissement dans le jeu et dans l’esprit du joueur », dit la vice-présidente. De fait, notre distingué aréopage au statut indéterminé, mais qui pourrait symboliser le gouvernement, se plaît à imaginer un jeu frustrant et vexatoire où les chances de gagner sont quasi nulles. Pis encore, les parties sont conçues comme des leurres car vient généralement un moment où le joueur est chassé du parcours initial sans le savoir ; ses déplacements deviennent alors inutiles, il n’atteindra jamais la case d’arrivée.
Le manuel des règlements doit être écrit de façon à « maintenir un état constant d’ambiguïté », ce qui implique un savant dosage de clichés, d’enflure verbale, de préciosité et de « grammaire “sans style” ». Dans ce contexte, le narrateur ne dispose d’aucune liberté. Il se croyait auréolé d’un rôle clé auprès du club. Las ! Force lui sera bientôt de reconnaître, car on le lui fait sentir sans ménagement, qu’il est au mieux un vulgaire tâcheron et « une sorte de parasite » nécessaire, et qu’il ne joindra jamais les rangs de cette caste privilégiée. Ose-t-il une tournure, un terme mélioratifs ? Ceux-ci sont irrévocablement balayés au moyen d’argumentaires alambiqués.
Louis-Philippe Hébert situe sa nouvelle dans un monde au totalitarisme diffus, où la dictature s’exerce par les mots. Car le langage est, on le sait, l’ingrédient indispensable à la manipulation des cerveaux : en témoignent autant la langue de bois bureaucratique que les demi-vérités énoncées par les politiciens et la falsification des résultats jadis chère aux régimes d’obédience stalinienne. Mais ultimement, l’auteur se livre à un exercice – à un jeu, de fait – formel. L’anecdote est accessoire, tout comme, à l’évidence, son narrateur à l’identité floue. Chaud partisan d’une écriture ludique, Louis-Philippe Hébert atteint, en la matière, une virtuosité certaine. [FB]