À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
172
Lieu
Québec
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[9 FA ; 1 SF ; 20 HG]
L'Existence et le charme
C'est écrit
Filature
Les Soupers fins du président
Et quart
Nancy
Traces
La ramener quelque part
Colocataires
Et sentimentales
Les Gares de la nuit
Perreault au lavoir
Rumeurs
Vous devez beaucoup rêver
Points de suspension

To Dale Carnegie, with love
L'Homme invisible
Après le générique
Ils n'en mouraient pas tous
Si par un samedi de parano
Topographie
Constrictor
Elle
L'Écriture automatique
Un chat, un chat ?
Les Petits Mardis
Projet pour une conférence d'Alain Robbe-Grillet à Québec

Les Galeries K
Faut-il lire Kundera ?
La Confession d'un bibliomane

Autres parutions

Commentaires

Le principal avantage d’un recueil de nouvelles par rapport à un roman, c’est qu’il permet de voir l’évolution de l’écrivain dans son travail d’écriture et dans ses thèmes, alors que le roman nous dévoile l’auteur à un moment fixe de son itinéraire. Ainsi, Ni le lieu ni l’heure, qui regroupe trente nouvelles très courtes, propose une bonne partie de la production de Gilles Pellerin au cours des cinq dernières années, depuis en fait la parution de son premier recueil, Les Sporadiques Aventures de Guillaume Untel. Une telle quantité de textes offre un éventail complet de tous les genres que Pellerin a pratiqués.

On y trouve des récits qui empruntent leur forme au style policier, rappelant moins l’atmosphère des romans de James Hadley Chase ou Raymond Chandler que celle des romans composant la trilogie d’André Major, Histoires de déserteurs. La médiocrité du héros et son côté loser évoquent le personnage de Momo Boulanger dans l’œuvre de Major qui demeure l’un des rares écrivains québécois à avoir tenté de renouveler le polar et de l’inscrire dans la réalité québécoise. Dans « Après le générique » et dans « Ils n’en mouraient pas tous », Pellerin poursuit l’entreprise de Major avec succès.

En fait, dans Ni le lieu ni l’heure, Pellerin s’intéresse beaucoup à la question des genres littéraires et à l’écriture. D’ailleurs, la troisième partie du recueil est constituée de textes très proches de l’essai, particulièrement ce « Projet pour une conférence d’Alain Robbe-Grillet à Québec ». Cette tentative d’appropriation de l’écriture du nouveau roman dans le but de la critiquer et de la dénoncer de l’intérieur met à rude épreuve la patience du lecteur. Beaucoup plus réussie est l’écriture audacieuse de la nouvelle « Les Soupers fins du président ». La narration est entrelardée de dialogues ou de réflexions comme si l’écrivain dévidait deux écheveaux narratifs en même temps. On croirait assister à une sonate à deux voix mettant en relief l’ironie mordante du texte sur les pouvoirs politique et militaire.

On trouve aussi dans ce recueil des textes réalistes qui racontent tout bonnement la vie quotidienne dans ses moments forts : une séparation amoureuse particulièrement douloureuse, la première fois qu’un mari se prend à douter de sa femme, la première chute de neige à l’automne, un voyage à Paris, une soirée dans un bar. On devine que l’auteur est sollicité par la tentation autobiographique, d’autant plus que souvent, le récit est écrit à la première personne. Tout n’est pas autobiographique, peu s’en faut, mais tout en brouillant les pistes, l’auteur présente les récits comme autobiographiques.

Au fil des nouvelles se dessinent sous nos yeux la personnalité de l’auteur, ses goûts littéraires, sa condition sociale, ses rapports avec le monde et les formes d’autorité, sa volonté d’indépendance et de liberté. Cela donne « Les Petits Mardis » où il se rebiffe contre l’institution universitaire tout en n’étant pas dupe de ses contradictions internes puisqu’il travaille lui aussi dans le milieu culturel. Cela donne également des nouvelles dans lesquelles Gilles Pellerin pousse jusqu’à la limite de l’absurde certaines situations réalistes, notamment dans « Les Soupers fins du président » et dans « To Dale Carnegie, with love ». Cette dénonciation de la bêtise du pouvoir, de la stupidité des normes et des règles rejoint ainsi, par le ton et l’écriture, la manière de Gaétan Brulotte dans « Le Surveillant ». On est près du fantastique, mais on n’y est pas encore tout à fait.

On y arrive avec la dizaine de textes qui restent. À l’instar du recueil lui-même construit sur la diversité et sur la qualité du regard – qui en explique la réussite –, le fantastique de Gilles Pellerin ne se catalogue pas facilement. On n’a rien dit quand on dit qu’il est centré exclusivement sur l’individu. Il n’est pas canonique même s’il est conscient de ses sources comme le prouve un texte tel que « Les Galeries K » inspiré par l’œuvre de Kafka.

Le fantastique, chez Pellerin, ne véhicule aucune morale ou aucun sens sacré. C’est dire que sa fonction répressive, qui suppose l’existence d’une autorité ou d’un système pour le justifier, est absente de ces textes. Il ne faut pas s’en étonner, l’auteur ayant horreur des idéologies, des mots d’ordre, du conformisme. Il préfère sa marginalité au confort, sa liberté à l’aisance matérielle. Ainsi dépouillé de sa fonction traditionnelle, le fantastique a-t-il encore un avenir ? Oui, si l’on en croit Gilles Pellerin et à condition de lui trouver des applications dans le quotidien le plus banal. Le fantastique apparaît alors comme la réalité au-delà des apparences, une réalité à l’état pur qui était brouillée par l’abondance des signes présents dans l’environnement de l’être humain, par l’absence de celui-ci à lui-même.

Dans plusieurs nouvelles, le fantastique amène le narrateur à prendre conscience de son état. La fonction réflexive a remplacé la fonction répressive alors que le fantastique agit comme un moment d’illumination, comme un éclair qui illumine une fraction de seconde un paysage dans la nuit. Cette lueur n’est pas toujours perceptible. Du moins, l’ai-je relevée dans dix nouvelles mais un autre lecteur pourrait arriver à un nombre différent. Il ne doit pas s’attendre, cependant, à compter sur le bruit du tonnerre pour enregistrer l’éclair car Pellerin n’est pas du genre à utiliser les gros effets et à mettre les points sur les “i”.

Plus encore peut-être que l’écriture et la volonté autobiographique – traduite dans certains détails quotidiens et dans la présence attachante et bien vivante de la ville de Québec –, ce qui différencie ce recueil du précédent et en assure l’unité, c’est la force de l’humour avec lequel l’auteur envisage la vie. Il se dégage ainsi de Ni le lieu ni l’heure une sérénité que n’entament pas les drames de l’existence et encore moins la manifestation sporadique du fantastique.

Le dernier recueil de Gilles Pellerin illustre brillamment que l’auteur sait maîtriser plusieurs types d’écriture tout en étant capable de les critiquer et de montrer le caractère éphémère de certaines modes littéraires (Robbe-Grillet et Kundera, par exemple). Mais il ne se contente pas de ciseler une belle forme vide. Il y a de l’émotion, de la chaleur et de la vie dans ces textes. Lisez par exemple « Nancy », cette belle histoire d’amour éphémère, d’une sensibilité moderne et prenante. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 131-134.

Prix et mentions

Grand Prix Logidisque de la science-fiction et du fantastique québécois 1988 (catégorie livre)

Références

  • Anonyme, Lettres québécoises 114, p. 57.
  • Bernier, André, Le Matin 13-03-87, P. W 16.
  • Cloutier, Georges-Henri, Solaris 74, p. 17.
  • Désîlets, Christian, Québec Scope, mai 1987, p. 13.
  • Perron, Gilles, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 595-596.
  • Pujade-Renaud, Claude, Nouvelles nouvelles 9, p. 124.
  • Ribeaucour, Jeanne, Brèves 27, p. 82.