À propos de cette édition

Éditeur
Du Jour
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Volupté de l'amour et de la mort
Pagination
203-223
Lieu
Montréal
Année de parution
1968

Résumé/Sommaire

Boudini, le célèbre illusionniste, donne son spectacle à Montréal un soir seulement. Devant une salle bondée, il présente une série de numéros de prestidigitation qui laissent les spectateurs ébahis, puis incrédules, et finalement terrifiés par ses exploits. Il hypnotise trois spectatrices, les fait disparaître dans une armoire puis les ramène sur scène après un détour par l’enfer. Il fait ensuite parler divers animaux et décapite son assistante avec une guillotine. Son spectacle se termine en apothéose alors qu’il disparaît au milieu d’un cercle de flammes en compagnie de son assistante qui a récupéré sa tête. Quelques heures plus tard, le directeur de la salle reçoit un télégramme du vrai Boudini immobilisé à Londres en raison d’une chute.

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Commentaires

« Ni vu ni connu » est un texte fort intéressant qui nous oblige à nous interroger sur la frontière qui sépare les genres littéraires. C’est, au bout du compte, un test de validité, une mise à l’épreuve de notre définition du fantastique. Quand on apprend que celui qui a mystifié les spectateurs n’est pas le vrai Boudini mais un usurpateur, il y a une double illusion et c’est cette double illusion qui rend le texte fantastique. La révélation finale ne vient que renforcer la nature fantastique du texte et le caractère extraordinaire de l’imposteur.

On peut alors se demander qui est cet imposteur. Plusieurs indices laissent croire que c’est le diable même si Jean Tétreau se garde bien de donner à son illusionniste les attributs physiques attendus du personnage tel que représenté dans la littérature traditionnelle. Ainsi, Stéphanie, la troisième spectatrice invitée par Boudini à se prêter à un de ses numéros, dit : « Ce n’est pas tous les jours que le diable vous tente. » De plus, Boudini envoie les trois femmes en enfer d’où il les ramène saines et sauves mais elles doivent vaincre le serpent (!) pour se libérer. Enfin, le rapport qu’entretient le prestidigitateur avec le feu (qu’il semble avoir dompté) dans la scène finale établit hors de tout doute l’identité du faux Boudini. Tétreau renouvelle ainsi la représentation du diable en le délestant de ses symboles religieux, de la même façon que la société québécoise de l’époque délaissait la pratique religieuse. En un sens, Tétreau a laïcisé la figure du diable.

La grande trouvaille de ce texte, c’est d’opposer l’univers de la prestidigitation à l’univers fantastique car ils sont, pour ainsi dire, aux antipodes l’un de l’autre : le premier repose sur l’illusion de la réalité, le second sur la réalité de l’illusion.

Autre grande qualité de la nouvelle : son écriture. Tétreau n’a pas peur d’utiliser des mots qui ne font pas partie de notre vocabulaire courant (mangoustes, macroscélides). Quel plaisir de renouer avec une écriture classique, d’une rare élégance, qui rappelle parfois celle de Balzac, particulièrement dans la nouvelle éponyme du recueil ! Qui plus est, l’auteur ne dédaigne pas l’humour. Ainsi, Boudini fait parler les animaux, dont un cheval qui s’exprime « comme un titulaire d’une chaire de littérature française ». Bref, celui-là ne parle pas joual… malgré l’époque ! [CJ]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 176-177.