À propos de cette édition

Éditeur
Leméac
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
530
Lieu
Montréal
Année de parution
1990
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Guidé par une jeune inconnue, Adakhan a découvert un passage secret qui le conduit dans les profondeurs de Manokhsor. Après avoir franchi un des canaux souterrains remplis d’immondices qui sillonnent les entrailles de la ville, il parcourt un interminable labyrinthe où il est la proie de cauchemars et d’hallucinations terrifiantes. Dans son errance, il rencontre un charnier où pourrissent les corps des disparus du quartier ONO où il a vécu jusqu’ici. Il se réveille quelque temps plus tard dans un univers qui lui est tout à fait étranger. On lui apprend qu’il est parvenu à la Centrale et qu’ayant triomphé des différentes épreuves que ses dirigeants ont placées sur sa route, il fait partie maintenant des récupérés de Manokhsor qui sont parcimonieusement recrutés par les Patrons de la Centrale.

Après avoir repris ses forces et subi une cure de rajeunissement qui lui donne un corps de 28 ans alors qu’il en avait 38, Adakhan est soumis à un recyclage en règle. Cette opération a pour objectif de lui inculquer de façon intensive les connaissances scientifiques du Centralien moyen et de le renseigner sur le mode d’organisation sociale qui régit la vie des habitants de la Centrale. Ayant été dispensé de la quatrième session parce qu’il se révèle un candidat de premier ordre, il se voit confier à l’équipe du Vieux (JH3 VH9), le plus âgé des 120 Patrons de la Centrale. Celui-ci, qui jouit du respect des Centraliens et d’une vive admiration de la part des membres de son équipe en raison de sa grande sagesse, travaille à un vaste projet comportant deux volets auquel il veut associer Adakhan.

L’ancien maître-forgeron de Manokhsor apprend ainsi que le Vieux a favorisé sa rencontre avec sa petite-fille Selvah dont il est tombé amoureux. Mais Adakhan doit refréner sa passion amoureuse car les lois de la Centrale interdisent toute relation physique entre les membres d’une même équipe. Les premiers mois d’émerveillement passés et malgré la satisfaction que lui procurent son travail et l’atmosphère chaleureuse et amicale qui règne dans son équipe, Adakhan a de plus en plus de difficulté à accepter certains règlements stupides de la Centrale. Il s’insurge surtout contre la surveillance continuelle dont les Périphériens sont l’objet et contre l’état d’abrutissement et d’esclavage dans lequel ils sont maintenus par les dirigeants de la Centrale. En outre, sa patience est mise à rude épreuve par les informations que lui livre au compte-gouttes le Vieux sur ses projets d’avenir. Adakhan aimerait bien savoir quel rôle l’attend, d’autant plus que Selvah sait tout mais ne peut parler.

Fougueux, impatient, impétueux, Adakhan réprime difficilement sa curiosité et risque de commettre des actes qui mettront son Patron et l’équipe dans l’embarras en voulant transgresser certains interdits. Il n’est pas sans savoir aussi que le moindre faux pas pourrait donner des armes à Lokhfer (FR5), l’autre influent Patron qui mène une lutte de pouvoir larvée pour prendre le contrôle absolu et contrecarrer les projets du Vieux. La partie s’annonce serrée et l’enjeu, déterminant pour l’avenir des Centraliens et des Périphériens qui semblent vouloir sortir quelque peu de leur torpeur. Pressé par les événements (la perspective prochaine du Recul et la possibilité d’un cataclysme qui pourrait détruire la Centrale), JH3 VH9 convoque Adakhan pour le mettre au courant du projet Phénix et lui faire découvrir ce que cachent la Tour et les salles situées au niveau inférieur.

Autres parutions

Commentaires

Si le premier tome de L’Oiseau de feu nous laissait dans l’incertitude quant au sort d’Adakhan, que dire de ce deuxième tome qui nous amène aux portes du mystère alors que l’ascenseur dépose Adakhan et le Vieux au dernier niveau de la Centrale ? Cela est d’autant plus frustrant qu’à 40 pages de la fin, quand Syrius convoque Adakhan, nous sommes persuadés que l’auteur ne pourra se défiler et qu’il devra nous livrer la nature du projet Phénix. C’est mal le connaître puisque Jacques Brossard est passé maître dans l’art de temporiser, de gagner du temps, de jouer au plus fin. Un vrai normand. Il vient de s’assurer en tous cas que tous ses lecteurs attendront impatiemment la parution du troisième tome.

Alors que L’Apprentissage d’Adakhan décrivait l’existence misérable des habitants de Manokhsor (les Périphériens), Le Recyclage d’Adakhan lève le voile sur la Centrale, située sous la Cité, d’où une caste d’humains privilégiés maîtrisant la technologie manipule et conditionne les Périphériens. Aux deux principaux thèmes du premier tome, l’amour et la liberté, s’ajoute maintenant celui de l’égalité. Le discours métaphysique s’enrichit aussi grâce à un déploiement impressionnant de théories sur le cosmos et la pluralité des univers qui débouchent inévitablement sur la question de l’existence d’un Être suprême. Sur ce sujet, deux conceptions s’affrontent : le « Dieu cosmique » de Lenardth et « l’Esprit qui nous appelle » de Mentra.

Le début du deuxième tome est cependant laborieux et long. Adakhan se promène pendant une cinquantaine de pages dans les souterrains de la Centrale en proie à des hallucinations et des cauchemars. Des images d’horreur se succèdent, qui rappellent au héros que la mort n’a épargné aucun des êtres qu’il a aimés (sa mère, son frère Atonaï, son ami Boris, son fils Elkmuth et sa femme Lhianatha). Il survit à cette ultime épreuve avant d’atteindre la Centrale parce que l’être humain est maître de son corps et que l’esprit est plus fort que la souffrance, plus fort que la peur.

Le lecteur, lui, survit à ce début parce qu’il n’a pas oublié l’enchantement que lui a procuré le premier tome de cette saga. Sinon… Puis, après cet épisode dont l’esthétique rappelle l’expressionnisme allemand, l’atmosphère change. Le roman épouse la structure narrative des récits utopiques dans lesquels un visiteur étranger découvre une société ou une civilisation qui a atteint un état idéal. Guidé par son moniteur, Adakhan prend en effet conscience du mode de vie privilégié, voire parfait, des Centraliens. Ceux-ci peuvent vivre jusqu’à cinq cents ans dans un habitat à température constante tout en exerçant une profession qui leur plaît à l’intérieur d’équipes de travail où règnent la complicité et l’amitié. Des équipes de 100 personnes, 120 équipes : 12 000 Centraliens. Une population strictement contingentée, un mode de gouvernement démocratique présidé par le Collège des douze Patrons les plus influents.

Jacques Brossard utilise avec bonheur différents procédés narratifs (journal personnel d’Adakhan, extraits de l’Encyclopédia Centralis, retranscription d’échanges entre l’aspirant recyclé et son ordinateur COMP-NO-3) pour nous livrer cette somme d’informations qui dissipent plusieurs des interrogations soulevées par la lecture du premier tome. On apprend ainsi quelle est cette fameuse anomalie qui gênait Adakhan quand il s’abandonnait dans les bras des serveuses amènes du Puits vert. Ce fils de Centralien en rupture de ban n’a qu’un organe sexuel alors que tous les Périphériens et toutes les Périphériennes sont bissextiles par suite d’une manipulation génétique pratiquée par les dirigeants de la Centrale pour ralentir la reproduction de ce cheptel humain.

Peu à peu, cette société eutopique révèle des aspects moins édifiants qui associent la Centrale à une eutopie dégénérée ou instable et orientent finalement le récit vers une dystopie. Les équipes ne travaillent pas dans un esprit de collégialité entre elles. Le pouvoir repose entre les mains de quelques Centraliens, la majorité des habitants de la Centrale étant conditionnés par l’enseignement de la quatrième session. La surveillance constante et la manipulation des Périphériens ne cadrent pas avec l’idéal de justice et d’égalité qui anime encore les coéquipiers du Vieux et quelques Centraliens de bonne volonté.

Dans la dernière partie du roman, Syrius se livre à une critique en règle de la Centrale. Il constate l’échec de cette caste de privilégiés qui assure sa survie en brimant les libertés de 600 000 Périphériens, en les maintenant dans l’ignorance et en les abrutissant pour mieux les contrôler. Le rêve d’égalité et de fraternité qui a présidé à la création de la Centrale a été supplanté par l’égoïsme des Centraliens, par leur indifférence à l’égard des Périphériens. Ils ont développé leur intelligence au détriment des valeurs du cœur de sorte qu’ils sont devenus incapables d’amour, de compassion et d’amitié. Ce sont ces valeurs que le Vieux veut préserver en élaborant son projet Phénix. Il condamne moins la science elle-même pour cet état de choses que ce que les humains en ont fait en la réduisant et en la trahissant. « Avons-nous tous développé et relié au maximum nos deux hémisphères cérébraux en vue de mieux bondir à d’autres niveaux – à défaut de méthodes plus directes ? »

 L’objectif humaniste du Vieux s’inscrit dans une perspective évolutive qui comporte les étapes suivantes : « De la matière à la conscience et au psychisme, et du psychisme au surconscient et à l’Esprit. » Syrius n’a cependant pas perdu la foi en la science : « Je ne crois pas seulement à la science, ni surtout à la science, mais j’y crois au point d’avoir voulu lui consacrer la majeure partie de ma vie. » Il impute l’échec de la Centrale à l’attitude de ses dirigeants qui n’ont « rien voulu comprendre aux leçons du cosmos et de l’atome, de la nature et de la vie ». L’esprit d’isolement et de fermeture a tout gâché. « Toute cellule close se condamne à l’entropie et à la mort : seuls vivent et progressent, tu le sais, les systèmes ouverts, fût-ce au prix de nombreuses turbulences et perturbations. Le Cosmos, pour sa part, est un chaos qui s’organise et se transforme… » C’est ce qui fait la supériorité d’Adakhan sur la plupart des autres Centraliens. Il n’est pas capable d’accepter l’asservissement des Périphériens même si cela semble nécessaire pour assurer la sécurité de la Centrale.

Le deuxième tome modifie ainsi notre perception d’Adakhan. S’il paraissait fantasque et ambitieux dans le premier tome, il se révèle dans celui-ci un être humain sensible, généreux et idéaliste. Malgré ses faiblesses et ses contradictions, il se montre profondément humain et on s’attache profondément à lui. On le savait courageux, il apparaît maintenant comme le nouveau type d’homme sur lequel le Vieux veut reconstruire l’humanité afin que celle-ci atteigne un nouveau niveau et que recommence un nouveau cycle.

Le chapitre 23 est, à cet égard, extrêmement révélateur. Adakhan remonte à la surface pour visiter incognito son quartier d’origine, ONO, et il constate que les conditions de vie des Périphériens sont encore plus pénibles qu’auparavant. Il en revient révolté et plus déterminé que jamais à secouer le joug de ses compatriotes. C’est aussi le chapitre le plus beau et le plus émouvant du roman – le point culminant étant la scène du retour à la forge – pour le lecteur qui revoit dans sa tête les images inoubliables laissées par le premier tome de cette immense fresque qui s’annonce à la hauteur de ses promesses.

J’attends maintenant avec impatience le tome 2.B intitulé Le Grand Projet. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 37-41.

Références

  • Ménard, Fabien, Solaris 104, p. 53.
  • Ransom, Amy J., Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 633-635.
  • Voisine, Guillaume, Brins d'éternité 47, p. 109-113.