À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Titre et numéro de la collection
L'Ère nouvelle
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Être ou ne pas être
Pagination
35-88
Lieu
Montréal
Année de parution
1991

Résumé/Sommaire

Chlœ et Jim, deux jeunes adultes qui vivent en nomades dans la ville comme ceux de leur génération, espèrent être choisis pour servir les citoyens de l’âge d’or retranchés dans des tours confortables, coupés de la vie extérieure. Ayant été accepté, le couple est affecté au 17e étage où vit un écrivain désabusé, George. Après avoir vu Chlœ en circuit fermé faire l’amour avec Jim, il tombe amoureux de la jeune femme et se met à rêver qu’il la séduit et s’enfuit avec elle…

Commentaires

On est porté à oublier que Robert Gurik a écrit, à ma connaissance, la première pièce de théâtre de science-fiction au Québec, Api 2967, dont la création remonte au milieu des années soixante. Gurik est surtout connu comme homme de théâtre, et le titre du recueil de nouvelles dont fait partie ce texte, Être ou ne pas être, témoigne de la culture dramatique qui l’a marqué.

« Le Pain de tout le monde » présente une société dystopique gouvernée par une gérontocratie toute-puissante. Les vieux vivent dans des cages dorées, entretenus par des jeunes gens triés sur le volet pour leur Q. I. (Quotient d’Indifférence) et leur Q. A. (Quotient d’Animalité), car en plus d’agir comme serviteurs ou infirmiers, ceux-ci nourrissent les fantasmes de leurs maîtres en faisant l’amour dans leur chambre sous l’œil de la caméra qui retransmet ces ébats en circuit fermé. Ceux dont les services n’ont pas été retenus survivent tant bien que mal à l’extérieur.

L’existence de ces vieux privilégiés est pitoyable. Ils vivent par procuration en se délectant de la sexualité de ceux qui les entretiennent. Ils rêvent qu’ils sont encore jeunes et performants. Mais George est différent. Il regarde peu la télé et préfère s’évader dans l’écriture, une activité futile puisque plus personne ne lit, faute de livres. C’est sa façon à lui d’exprimer sa révolte, de sortir du rang. Et quand il verra Chlœ et s’imaginera qu’il peut recommencer sa vie avec elle, ce sera la tragédie car « l’être heureux est celui qui ne s’attache à rien, qui n’a plus rien, qui n’espère rien ».

Cela aurait pu être une belle histoire d’amour mais l’auteur est trop lucide pour se laisser prendre au jeu de la fiction romanesque. J’ai tout de même adoré cette nouvelle parce que Gurik fait preuve d’une belle sensibilité, affiche une ironie souvent irrésistible – il faut voir comment il se moque des paroles de l’hymne national canadien – et évoque avec une belle verdeur les plaisirs du sexe.

Le théâtre de Gurik a toujours été marqué par des thèmes sociaux forts. Il montre ici qu’il n’a pas perdu son mordant en stigmatisant une société fondée sur les inégalités sociales et dont le vide existentiel est sidérant. Pour survivre dans cette société aliénante, chacun doit se couper de ses sentiments, sinon il est perdu. C’est d’ailleurs Chlœ, dont le Q. I. avait déjà été jugé dangereusement bas, qui s’en rendra compte à ses dépens.

La nouvelle répond en quelque sorte à ce refoulement des sentiments en misant sur une écriture très physique, très proche des émotions, et en faisant de George un personnage vraiment émouvant. Si elle est d’une grande efficacité, cette écriture n’est pas toujours exempte de maladresses comme celle-ci, fort surprenante chez un auteur de métier : « Le coup de langue de Jim et le doigt griffant la verge de Chlœ de la cafétéria se démultiplient à l’infini. » Dois-je préciser que Chlœ n’est pas hermaphrodite ? [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 90-91.