À propos de cette édition

Éditeur
Liberté
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Liberté 53
Pagination
57-59
Lieu
Montréal
Année de parution
1967

Résumé/Sommaire

Le moment où CELA devait frapper est arrivé. D’abord CELA n’avait fait que quelques victimes isolées, mais bientôt tous avaient dû fuir devant le mal qui progressait. Les guides spirituels avaient établi une route pour l’exode, « le chemin de la lumière », et puisque le temps n’existait plus, on ne le mesurait plus qu’à l’aune des progrès de la maladie. Parfois, les exilés s’installaient dans les territoires où CELA n’était pas encore venu et s’y adonnaient aux excès que seule autorise l’imminence du désastre. Mais CELA finissait toujours par arriver plus tôt que prévu et la longue marche reprenait. CELA suivait et pétrifiait ceux qui revenaient sur leurs pas. CELA avançait sans méthode et s’amusait à précéder les exilés pour montrer son efficacité. Bientôt, CELA réussit à s’emparer de la presque totalité du globe sauf de « Je » qui doit maintenant affronter « CELA [qui] était en nous bien avant de s’imposer dans toute son évidence », CELA qu’il avait créé.

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Commentaires

Louis-Philippe Hébert ne fait pas l’unanimité chez les amateurs de SF, c’est le moins que l’on puisse dire. L’écrivain, que la critique a souvent rangé aux côtés d’expérimentateurs aussi différents que Lautréamont, Jarry, Roussel, Joyce, les auteurs du Nouveau roman, Claude Gauvreau, Borgès ou Kafka, n’apparaît pas comme un véritable auteur de SF pour les lecteurs de stricte obédience. Inintéressant pour le lecteur non spécialisé diront certains, dépassé diront d’autres, il reste que Hébert a produit certains des textes les plus intrigants qui aient été publiés au Québec dans le domaine de la SF ou du fantastique. Certes, c’est à la critique universitaire que Louis-Philippe Hébert doit d’être lu de nos jours, mais si le lecteur ordinaire veut bien mettre de côté sa méfiance envers les textes réputés ardus, la compagnie de Louis-Philippe Hébert pourrait certainement lui faire passer de bons moments. Je suggère aux curieux et aux amateurs de textes atypiques de jeter un coup d’œil à La Manufacture de machines, par exemple, pour se familiariser avec un type de SF expérimentale québécoise assez proche de ce que le groupe New Worlds pouvait produire dans l’Angleterre des années 1960.

Il pourrait également se pencher sur « Parallèlement » ; cette courte nouvelle, dont la thématique semble assez orthodoxe (la Terre décimée par une maladie aussi foudroyante que mystérieuse), se distingue par sa dimension métaphorique et son style elliptique. L’écriture étonne, au premier abord, par son travail de déconstruction de la phrase : des phrases brèves, souvent nominatives, qui donnent au récit un rythme hachuré, presque hésitant, qui semble s’accorder avec les changements que la maladie a fait subir au temps et qui a fait de la vie « une progression rythmique incroyable de gestes simples ». Les personnages sont à peine esquissés ou, pour mieux dire, représentés comme une masse dont le comportement est dicté par l’instinct de survie. On n’en apprend guère davantage sur le narrateur, qui ne se nomme pas, puisqu’il semble, à l’instar de ses compatriotes, avoir perdu toute identité propre. Ces personnages réduits à leur plus simple expression font évidemment penser au Nouveau roman mais aussi à certains textes narratifs de Samuel Beckett (comme « Le Dépeupleur », dont la thématique se rapproche d’ailleurs beaucoup de la SF).

Contrairement à beaucoup de récits qui construisent un monde fictif foisonnant propre à provoquer l’effet de réalisme, « Parallèlement » laisse l’univers de la fiction dans l’obscurité, afin qu’il n’apparaisse que par bribes. Cela dit, je ne crois pas que cette stratégie narrative traduise un mépris envers les récits de SF plus orthodoxes ; on peut, bien entendu, ne pas se sentir d’atomes crochus avec ce type de texte, il n’empêche que Louis-Philippe Hébert réussit, malgré les ellipses, à échafauder une intrigue solide. Il faut également souligner l’aspect métaphorique de la nouvelle ; au fil de la lecture, on se rend bien compte que cette maladie qui menace les personnages n’est autre chose que leur propre démon intérieur, qui réussit toujours à les rattraper malgré toutes leurs tentatives de fuite. L’histoire rappelle la légende biblique de Loth, neveu d’Abraham, qui fuyait Sodome au moment où les anges envoyés par Dieu détruisaient la ville. Bien que les anges aient interdit aux rescapés de revenir sur leurs pas, la femme de Loth a regardé derrière elle pour être aussitôt changée en statue de sel.

Il y aurait fort à méditer sur ce rapprochement mythologique, mais retenons surtout que « Parallèlement » constitue, comme la plupart des textes de Louis-Philippe Hébert, une difficile mais excellente lecture qui devrait séduire les esprits aventureux. [ID]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 103-105.