À propos de cette édition

Langue
Fran
Éditeur
Incidences
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Incidences 5
Pagination
26-37
Lieu
Ottawa
Année de parution
1964

Résumé/Sommaire

À la suite d’une étrange série de hasards, Mark Cecil Black, un érudit qui dirige l’Institut de langues classiques de l’Université de X, se retrouve en possession d’un livre rarissime dont tout le monde avait perdu la trace : le Rufus Itinerans publié à Leipzig en 1725. Contrairement aux autres éditions de l’ouvrage, qui compile les notes qu’un magistrat romain du IVe siècle avait prises au cours de ses nombreux voyages, l’édition de 1725 comporte, à la fin du huitième chapitre, un passage d’une douzaine de lignes dont personne ne connaît l’origine manuscrite. Est-il authentique ou s’agit-il d’une addition apocryphe ? Afin de vérifier l’authenticité de cet extrait, où il est question d’un autel qu’un riche Romain aurait fait élever pour la déesse Cybèle sur le mont Magnabella, le professeur part pour la Bithynie. Ses fouilles archéologiques lui apprendront non seulement que le monument existe, mais aussi que c’est lui-même qui l’a fait ériger…

Commentaires

Dans une finale flamboyante où apparaît Cybèle avec tout son cortège, Mark Cecil Black, ou plutôt Marcus Cecilius Niger comme le révèle l’inscription dédicatoire gravée sur le monument, apprend que depuis plus de mille ans, il revient périodiquement en pèlerinage sur les lieux où il a fait élever l’autel à la déesse. Voilà un dénouement aussi saisissant qu’inattendu. Et voilà une œuvre forte, très différente de ce qui se faisait en littérature québécoise à l’époque. En effet, dans les années 1960, la société québécoise était en pleine affirmation et cela se reflétait dans les œuvres littéraires qui revêtaient, dans la très grande majorité des cas, une couleur locale. Le fantastique de cette époque recourait aussi très souvent à des figures folkloriques.

Rien de tout cela dans « Le Pèlerin de Bithynie » où Claude Mathieu délaisse le folklore pour revenir aux mythes fondateurs (le culte de Cybèle et Attis, le retour cyclique des âmes). La circularité du Temps et le retour périodique des âmes humaines constituent d’ailleurs les thèmes principaux du récit. De plus, le protagoniste de la nouvelle, Mark Cecil Black, n’est pas quelqu’un d’engagé, si ce n’est dans ses propres recherches. L’auteur ne nous offre pas ici une représentation de la collectivité, ce qui était pourtant courant dans la littérature des années 60, mais plutôt un portrait du travail d’érudit, qui creuse un trou de plus en plus profond et étroit, « à la recherche de quelque chose qui ne [porte] pas encore de nom ». L’absence de couleur locale se manifeste aussi par le fait que la nouvelle est écrite dans un français international, sans aucun terme de joual. En outre, aucun lieu particulier n’est mentionné (le professeur travaille pour l’Université de X ; lors de son pèlerinage, il débarque dans le port de Z) si ce n’est des lieux exotiques, comme Leipzig ou la Bithynie. Cette façon de traiter l’espace ajoute d’ailleurs une touche supplémentaire de mystère au récit.

Pour toutes ces raisons, « Le Pèlerin de Bithynie » s’inscrit en marge de la production québécoise des années 60. L’auteur y apparaît davantage influencé par les grands auteurs latino-américains du courant superréaliste, en particulier Jorge Luis Borges, que par ses contemporains québécois. En effet, tout comme dans le superréalisme sud-américain, et tout comme chez Borges, le temps dans la nouvelle est circulaire, la représentation du monde s’effectue de façon confuse avec des limites brouillées, les personnages ne sont pas déterminés par des traits physiques, mais plutôt par des types d’existence, il y a représentation des mythes (ce qui rapproche la nouvelle de Mathieu du réalisme magique latino-américain qui consiste, entre autres, à inclure des mythes, des croyances, dans des œuvres présentant une trame réaliste). De plus, à l’instar de ce que l’on observe chez Borges, la syntaxe de la nouvelle est courte, simple, et le style, précis et sobre, va droit à l’essentiel.

Avec de telles qualités, on pourrait croire que Claude Mathieu est depuis devenu un écrivain très célèbre. Malheureusement, il n’en est rien. Après avoir publié son unique recueil de nouvelles, La Mort exquise, dans lequel est inclus « Le Pèlerin de Bithynie », celui que l’on considère aujourd’hui comme le précurseur d’un fantastique résolument moderne a été échaudé par des critiques très défavorables dans la presse littéraire. Il innovait trop pour l’époque. Il n’a jamais récidivé, que ce soit en nouvelle ou dans un autre genre littéraire. Après voir lu « Le Pèlerin de Bithynie », nous pouvons affirmer que cela est infiniment dommage, car Mathieu possédait un réel talent pour l’écriture et, ce qui n’est pas donné à tous les auteurs, l’art de raconter une histoire et de la rendre fascinante. [SN]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 137-138.

Voir aussi le recueil La Mort exquise.