À propos de cette édition

Éditeur
Solaris
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Solaris 120
Pagination
15-23
Lieu
Roberval
Année de parution
1997
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Illyge est une artiste, elle se livre à des performances en direct dans une métropole future catastrophée parce qu’abandonnée par les riches et les respectueux de la loi aux marginaux, criminels et autres drogués des bas-fonds devenus fonds universels. Illyge elle-même est droguée au LX-2000, affectueusement connu sous le nom d’élyx, une drogue nouvelle qui, théoriquement, ne développe pas d’accoutumance. Cependant, il devient de plus en plus clair pour Illyge qu’elle produit des effets secondaires aussi inattendus qu’horribles…

Commentaires

En sous-titre : “Comptine pour réchauffer les périphéries transies”. Et en exergue, une citation de… Élisabeth Vonarburg. Diantre, suis-je en conflit d’intérêts ? Eh bien non : comme la plupart des auteurs sans doute, j’ai beaucoup de mal à établir un rapport entre mes textes et ceux d’autres auteurs qui pensent en avoir été inspirés d’une façon ou d’une autre. Et la relation est dans un premier temps si évidente que l’exergue m’a plutôt paru un clin d’œil qu’autre chose. Comme dans « Dans la fosse » (d’où est tirée la citation), il s’agit de métamorphoses physiques rapides et massives. Et c’est (apparemment) tout. L’imaginaire de Bérard est parti à la course avec ce motif dont je suis loin d’être propriétaire, et l’a emporté dans sa propre contrée. Nul besoin d’avoir lu le premier texte pour apprécier celui-ci – même si, lectrice biaisée quand même, j’ai pris quant à moi plaisir aux nombreuses résonances.

La narratrice de cette longue nouvelle finaliste du Prix Solaris 1996 s’appelle Illyge Raimbault ; on le sait très tard dans le texte, et le clin d’œil (de l’auteure encore) au poète est délibéré. Par ailleurs, ajoutez un h au nom de la drogue et remplacez le y et on a “Hélix”, mot grec signifiant spirale. Illyge est prise dans cette spirale et la suit jusqu’au bout, y entraînant le lecteur. Elle se réveille au début du texte couverte de sang – ce qui ne la défrise pas plus que cela car ses performances, justement, ont à voir avec sexe et sang, l’auto-mutilation devine-t-on – mais également près d’un cadavre, ce qui la dérange quand même un peu. Et la dérangerait de plus en plus si elle ne refusait de l’être, à mesure que le fait se reproduit ; elle est amenée à établir malgré elle un rapport entre ces cadavres, les morts qui se multiplient dans la ville, la multiplication aussi des drogués à l’élyx et la transformation de ses performances en corrélation avec sa propre descente dans la drogue. Ou avec son ascension artistique ? En effet, l’action très particulière de l’élyx lui permet de faire maintenant pour de bon ce qu’elle feignait auparavant et de connaître un bien plus grand succès : la drogue est un “psychosomatrope” qui permet des métamorphoses physiques temporaires tout en induisant un état d’euphorie – et en brouillant considérablement la mémoire, puisque la narratrice ne se rappelle jamais comment elle se trouve dans des ruelles infâmes avec tous ces cadavres après ses performances.

Mais la spirale est bien descendante aussi (réflexion sur l’art et l’artiste, ici, bien entendu) : Illyge ne peut plus se cacher la vérité lorsqu’elle voit un ultime cadavre déchiqueté, et elle s’enfuit vers la périphérie où est parti son amant, Jan, sociologue des groupes marginaux. Elle se rend compte alors avec horreur qu’il est à l’origine de la drogue : c’est une conspiration, les citadins et elle-même sont des cobayes chez lesquels a été induite une mutation. Jan entreprend de la désintoxiquer, mais Illyge lui échappe pour se livrer à l’ultime transformation annoncée, le point final de la mutation. On comprend alors l’identité de ce “tu” auquel elle adresse depuis le début son long récit : elle-même, le double en quelque sorte ectoplasmique mais très charnellement réel créé par la drogue, qu’elle n’a cessé de créer et de massacrer de façon sanglante depuis le début.

Une longue nouvelle donc, certainement l’une des plus ambitieuses jamais couronnées par le Prix Solaris. Presque trop – longue, ambitieuse, “songée”, c'est-à-dire un peu trop consciente d’elle-même : l’auteure est maintenant docteur ès lettres… Mais si le ton de la narration et le phrasé baroques agacent un peu au début, on comprend assez vite qu’ils sont justifiés : ce sont ceux de la ville et des citadins de l’apocalypse, par opposition aux “exurbes” “sujet-verbe-complément”. Et la désinvolte et cynique allégresse dans l’horrible sert à entretenir savamment le mystère jusqu’à la révélation finale. Histoire feignant d’être fantastique, histoire d’horreur, histoire de science-fiction de la meilleure eau, histoire métaphysique (les métamorphoses et l’identité), histoire d’écriture aussi, qui s’amuse de ses propres procédés, le texte réussit à être tout cela en même temps, tout en entretenant un dialogue savant avec celui d’où est tiré son exergue… mais cette dernière étude n’aurait pas sa place ici, et c’est de toute façon une affaire privée entre les deux textes, voire entre leurs deux auteures ! [ÉV]

  • Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 20-21.