À propos de cette édition

Éditeur
La pleine lune
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
138
Lieu
Montréal
Année de parution
1991
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[5 SF ; 1 FY ; 3 HG]
La Roseraie
Le Musée de Psal
L'Ange et le Pont
Treize : la honte et l'envol
Xils
Canadoule
Devenir vivante
Mourir une fois pour toutes
Le Piège à souvenirs

Commentaires

Depuis le début de sa carrière, Esther Rochon a été choyée par la critique, institutionnelle ou spécialisée. Avec raison d’ailleurs. Son œuvre se distingue par une qualité constante assez rare dans la littérature québécoise. La publication du recueil Le Piège à souvenirs a cependant valu à l’auteure pour la première fois quelques mauvaises critiques qui, si elles ne sont pas entièrement fondées, n’en demeurent pas moins justes à certains égards.

Quand on consulte le sommaire de ce recueil, on se demande ce qui peut bien servir de dénominateur commun à ces neuf nouvelles. Une lecture isolée de ces textes dont la parution s’est étalée entre 1983 et 1990 ne laissait soupçonner aucune véritable unité. Pourtant, il y a des thèmes unificateurs ou récurrents : le souvenir, la souffrance, le mépris, l’indifférence, la marginalité. Se tisse alors un réseau de correspondances qui fait que les textes, parfois différents de ton ou de sujet, se répondent ou se complètent.

C’est l’intérêt premier de ce recueil car il faut bien avouer que certaines nouvelles, surtout les premières (en particulier « Le Musée de Psal » et « Treize : la honte et l’envol »), ne sont pas dignes du talent de l’auteure. Les trois dernières comptent cependant parmi les meilleures de la production d’Esther Rochon. Le hic, c’est que plusieurs lecteurs auront sans doute abandonné bien avant. Je ne conseillerais certes pas à quiconque d’aborder l’œuvre de Rochon par ce recueil. Le Piège à souvenirs pourra toutefois intéresser ceux qui, comme moi, fréquentent cette œuvre depuis plusieurs années et ce, même si trois nouvelles ne relèvent pas à proprement parler de la science-fiction ou du fantastique (« La Roseraie », « L’Ange et le Pont », « Treize : la honte et l’envol »).

Il ressort en effet de ces textes juxtaposés des lignes de force, des constantes et un discours social qui n’apparaissaient peut-être pas de façon aussi évidente dans le cadre de ses romans, la trame romanesque plus touffue faisant écran. Les personnages principaux de ces nouvelles, qui sont souvent en même temps narrateurs, regardent le monde qui les entoure et se situent par rapport à lui. Ce sont, pour la plupart, des marginaux conscients de leur état, qui n’en souffrent pas parce que cette marginalité leur confère une liberté et une indépendance d’esprit. Ils sont tous, à leur façon, des alter ego de l’auteure. Ils professent un certain désengagement social, ne militent pour aucune cause mais leur position et leur état constituent en soi un commentaire social et politique qui ne laisse pas de doute sur son importance.

Aucun d’entre eux n’est le porte-étendard d’une idéologie mais malgré leur volonté de vivre en marge, les personnages d’Esther Rochon finissent toujours par jouer un rôle important. Ce ne sont pas des leaders ou des dirigeants, mais des médiateurs entre deux mondes. Rappelons-nous le rôle de Taïm Sutherland dans L’Épuisement du soleil. Cette position, qui reflète un peu beaucoup la façon dont l’auteure se perçoit dans la société, est finalement celle de l’artiste ou, du moins, représente aux yeux de l’auteure, comme le laisse entendre la nouvelle éponyme, le rôle que devrait assumer l’artiste.

Le statut du personnage principal est extrêmement important dans l’œuvre de Rochon, et particulièrement dans sa production de nouvelles, car il nuance singulièrement la description à première vue manichéenne des différents mondes qu’elle met en scène. La polarité des sociétés qu’elle décrit prend souvent la forme d’une opposition qui semble irréconciliable : nord vs sud, exploités vs exploiteurs, richesse vs pauvreté, victime vs bourreau. Mais il ne faut pas s’y tromper. La position privilégiée du narrateur fait la synthèse de ces deux mondes. C’est le cas de Thyis, la jeune fille du « Piège à souvenirs » qui fait le lien entre les valeurs traditionnelles (sens de la famille, sensibilité artistique) de la société de Vélissi dont elle est originaire et le modernisme de la société alrime. Cette très belle nouvelle sur un génocide en douce, qui peut être lue comme une allégorie politique sur l’avenir du Québec – la ressemblance entre Vélissi et le Québec est frappante, ne serait-ce que par le climat, le nombre d’artistes per capita et les valeurs morales –, était tout indiquée pour donner son titre au recueil.

Le thème du souvenir inspire en effet plusieurs nouvelles. Dans « Le Musée de Psal », le souvenir prend la forme de différents édifices que visite la narratrice. Ces bâtiments, qui représentent différentes sphères de la vie sociale (les sciences et la technologie, la culture, le pouvoir, l’activité militaire), abritent en fait des musées, véritable mémoire de l’humanité. Dans « La Roseraie », la narratrice apprend à liquider ses mauvais souvenirs et ses ressentiments et à les transformer en choses positives : une roseraie, gage de la sérénité retrouvée. La clé pour la narratrice consistait à être capable de pardonner.

Toutefois, la nouvelle qui exprime le mieux la position centrale du personnage entre deux mondes coupés l’un de l’autre a pour titre « L’Ange et le Pont ». La narratrice loue une chambre souterraine située sous un monument, représentant un ange, élevé à la mémoire de héros du passé. Le monument est entouré d’un tas de ferraille rouillée, de terrains vagues et d’un réseau d’autoroutes sur lesquelles circulent des automobilistes qui ne voient plus le mémorial. La narratrice est indignée par l’indifférence qu’affichent les vivants à l’égard des morts et du passé. On peut voir dans cette nouvelle, qui est pour moi une révélation, une transposition poétique de la devise du Québec : « Je me souviens. »

L’auteure rappelle l’importance pour un peuple de connaître son histoire. Ici, elle fait visiblement référence à la prison au Pied-du-Courant et aux Patriotes qui sont morts exécutés en 1838 pour avoir voulu secouer le joug britannique. Elle cherche à éviter les simplifications mais n’en dénonce pas moins l’indifférence et l’oubli dont fait preuve le peuple québécois. Rarement a-t-on vu dans les textes d’Esther Rochon une charge aussi virulente contre le modernisme et l’absence de continuité. La narratrice, elle, veut justement servir d’intermédiaire entre le passé et le présent, faire se rejoindre le regard de l’ange et celui des automobilistes. « La perte de dignité, voilà ce qui m’enrage » dit la narratrice qui se met en état de disponibilité pour entendre le passé.

La perte de dignité, l’indifférence, voilà des attitudes que l’auteure ne peut supporter. C’est pourquoi l’apolitisme ou le désengagement social de ses personnages ne sont qu’apparents. Même la situation de gardienne de la narratrice de « Xils » comporte un discours social. « Je les protège les uns des autres avec hargne, pour que se perpétue un monde mesquin de bureaucrates et de secrétaires. Pour que l’envergure désordonnée des Xils n’entre pas en contact avec l’absence d’envergure des gens. Pour que l’intelligence des gens n’entre pas en contact avec la bêtise des Xils. » Chacun des protagonistes peut apporter quelque chose à l’autre, à condition qu’il y ait rencontre, point de contact.

Cette dénonciation de l’indifférence, on la retrouve aussi dans « Canadoule » où semble s’exprimer une critique du système communiste. « L’atmosphère de coercition qui y régnait était sans détour, il n’y avait aucune tromperie, aucune malveillance véritable, mais plutôt une ingéniosité stupide, mise au service d’un système où l’impersonnel servait d’idéal. » Mais l’auteure convient à la fin que le capitalisme n’est guère mieux. Ainsi, derrière la description d’une expérience ou d’une existence banales se cache un propos politique jamais banal, continuellement camouflé dans la toile de fond sociale.

D’où l’importance aussi du lieu dans les nouvelles de Rochon. C’est par lui que les personnages se définissent : Montréal à trois reprises, Sept-Îles, prétexte à une rêverie rapportée comme un récit de voyage impressionniste, mais aussi des territoires imaginaires où s’incarne la dualité de deux groupes, les Alrimes et les Vélissiens, les Vivants et les Morts dans « Devenir vivante ». Cette nouvelle, que je tiens pour la meilleure d’Esther Rochon, propose une réflexion très forte sur la souffrance, sur la culpabilité, sur la condition « humaine » et sur la relation sado-masochiste qui unit les Vivants et les Morts. Un texte dur, provocant, d’une lucidité impitoyable, qui ébranle sérieusement le confort et l’indifférence dans lesquels les sociétés occidentales privilégiées sombrent trop facilement.

Pour qui sait voir au-delà des apparences, « Le Piège à souvenirs » fournit une ample matière à réflexion. Chez Esther Rochon, paradoxe intéressant, l’itinéraire personnel du narrateur, malgré son statut de marginal, n’est jamais isolé de l’aventure collective du groupe social dont il est issu. Il en résulte une multiplicité de lectures. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 142-145.

Références

  • Cloutier, Georges Henri, Solaris 101, p. 63.
  • Martin, Christian, Temps Tôt 22, p. 46-47.
  • Moinaut, José, Magie rouge 34-35, p. 13.
  • Vanina, Suzanne, Magie rouge 34-35, p. 13.