À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Titre et numéro de la collection
L'Ère nouvelle
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
160
Lieu
Montréal
Année de parution
1991
ISBN
9782892610437
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[6 FA ; 2 SF ; 17 HG]
L'Autoroute
Un départ
Je ne vous le fais pas dire
Le Vieil Homme et la lunette
Le Rendez-vous de L.-G. B.
L'Hiver, en dessous
Le Message rêvé
La Fin de l'étude
Le Mystères de la vie
Éliane et Fred
Motel Capri
La Vallée des avaleurs
Bon Ciné
La Limousine de la Divine
Elvis Lévis
L'Ouverture
Banlieue Blues
Le Corps de la maison de Raoul
Superficielle, la blessure
Paf !
La Reine de l'arène
Mar
ía Maya
La Petite Valise
Léger Retard
L'Inventeur

Commentaires

Avant que la nouvelle soit à la mode, André Berthiaume en avait fait son moyen d’expression privilégié. Deux recueils au cours des années 1970, un autre en 1984 et celui-ci, Presqu’îles dans la ville. Un patient travail d’élaboration d’une œuvre littéraire personnelle, une fidélité à sa démarche esthétique, qualités qui se vérifient dans ce dernier recueil. Dans le numéro 74 de la revue Écrits du Canada français, Berthiaume expose ainsi sa conception de la nouvelle : « Se pourrait-il que la nouvelle, comme fragment narratif, traduise une volonté de retrait d’un certain espace idéologique ? En effet, en privilégiant le détail, l’instantané et l’humour plutôt que l’ensemble, la durée et le sérieux, la nouvelle pourrait bien signifier le doute ; un doute profond, philosophique, métaphysique, passionné. Et serait-il pertinent de rapprocher la nouvelle de l’essai plutôt que du clip, l’essai étant un autre type de discours fragmenté ? (…) En somme, la nouvelle est une façon particulière d’interroger à la fois les codes sociaux et littéraires. »

Avec le temps, j’ai appris à apprécier les recueils de nouvelles autant que les romans. Même si les premiers exigent un investissement plus grand de la part du lecteur parce qu’il est constamment déstabilisé par la multiplicité des univers présentés, il se trouve récompensé à la fin par la vision d’une mosaïque qui donne un sens au recueil. Telle nouvelle de deux pages jugée banale prend une signification singulière aux côtés d’une vingtaine d’autres textes.

Est-ce bien le cas de Presqu’îles dans la ville ? On ne trouve pas dans ce recueil la même densité du propos, la même ambiguïté des situations ou des personnages qui avaient séduit sans doute le jury qui avait décerné à Incidents de frontière le Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois en 1985. Le fantastique y est plus rare et utilisé de façon anecdotique pour rompre le ronron des textes évoquant des petits moments privilégiés de la vie quotidienne dans une existence terne : une journée en ski de fond, une soirée au cinéma, un fils qui quitte la maison familiale pour aller travailler au loin. Et surtout, on n’y trouve pas un texte remarquable comme « Pigafetta », une véritable splendeur d’écriture qui demeure l’une des plus belles nouvelles de la littérature québécoise.

En fait, Presqu’îles dans la ville est beaucoup plus proche de Le Mot pour vivre que d’Incidents de frontière, ce dernier recueil apparaissant comme le sommet de l’œuvre de Berthiaume jusqu’ici. Il y a deux veines qui s’expriment chez l’auteur : l’une teintée de nostalgie du passé, l’autre tournée vers le présent. La première s’alimente aux souvenirs de l’auteur et évoque la fin des années 1950, le temps des collèges classiques, le règne obscurantiste de Duplessis. « Les Mystères de la vie » rend bien cette époque de puritanisme dominée par la religion catholique. Le talent de l’auteur pour la satire sociale, qui s’était déjà exprimé auparavant, ne se dément pas. Il s’exprime à nouveau dans « La Fin de l’étude », tableau d’atmosphère des collèges classiques que les gens de ma génération ont connus. J’aime beaucoup ces textes de Berthiaume, malheureusement trop rares dans le présent recueil, parce qu’on y retrouve une ironie que permet le recul du temps.

Ce n’est pas toujours le cas des nouvelles qui se déroulent au temps présent et qui collent de trop près aux situations que peut vivre l’auteur même si elles sont transposées dans le quotidien de personnages véritablement fictifs. Si le passé a une ville, Montréal, parce que l’auteur y a vécu son adolescence, le présent a une agglomération urbaine, la région immédiate de Québec, jamais vraiment nommée, mais facilement identifiable pour qui y vit depuis plusieurs années. Parce que j’y reconnais l’édifice du ministère du Revenu à Sainte-Foy, les grands boulevards, les centres commerciaux, les couloirs souterrains éclairés de néons jaunes, rouges ou bleus de l’Université Laval, il me semble – même si je sais que cela n’a rien à voir – que le travail de création n’est qu’à moitié achevé. Ce malaise, je l’avais également ressenti à la lecture de L’Air libre de Jean-Paul Beaumier dont les sujets et le style, très proches du quotidien, rappellent ceux d’André Berthiaume.

« Éliane et Fred » représente le prototype de ces nouvelles dont le décor paraît trop familier, de sorte que cette méprise qui sera fatale au jeune homme du récit, même si elle souligne tout le côté absurde de l’existence, n’arrive pas vraiment à nous émouvoir et à susciter notre intérêt. Ce genre de nouvelles qui s’appliquent à recréer le plus fidèlement possible la réalité quotidienne ne prennent véritablement de sens que lorsque le fantastique y fait irruption comme dans « Elvis Lévis ». Dans cette nouvelle, le côté banal, voire trivial, d’une visite à un lave-auto prend une dimension tragique quand le bel ordre naturel des choses se détraque. Il en résulte une nouvelle qui constitue un commentaire acerbe et percutant sur la société de consommation prompte à se débarrasser des objets produits par l’homme qui risque de se retrouver au même dépotoir que les appareils qu’il fabrique. C’est le même appétit de consommer qui est tourné en ridicule dans « L’Ouverture » alors que l’inauguration d’un centre commercial donne lieu à une ruée des consommateurs qui ne laissent derrière eux que des ruines.

Autre cible de ce fantastique ironique : le conformisme social. Parfois, il suffit de quelques éléments insolites pour donner aux rebuts du grand nettoyage printanier une connotation moins triviale comme c’est le cas dans « Banlieue Blues ». Ailleurs, c’est la petite routine quotidienne d’un professeur (« Léger Retard ») qui est perturbée quand un couloir souterrain débouche sur une plage chaude pendant qu’une tempête de neige fait rage à l’extérieur. Moment de bonheur et de plénitude que le protagoniste de Berthiaume (à qui il ressemble d’ailleurs) vole à la morne existence quotidienne, moment d’évasion que rend possible l’irruption du fantastique qui, encore plus que le rêve peut-être, parce que le personnage alors ne vit que par procuration, régénère la santé mentale de ce dernier.

Le fantastique véhicule généralement un commentaire social chez Berthiaume. Même dans « Paf ! », court texte sur le désir de liberté et le goût de rêver qui assaille l’être humain le plus terre à terre, la légèreté du ton cache un petit message existentiel. Comme on peut le voir, le fantastique d’André Berthiaume se présente comme un motif esthétique qui a pour fonction d’enrichir la lecture de la réalité quotidienne que l’auteur se plaît à recréer dans ses nouvelles. Mais gare aux clichés et à l’auto-imitation ! « Le Vieil homme et la lunette » appartient à ce fantastique moderne qui fait de la focalisation le sujet même de la nouvelle. L’écriture est très bien maîtrisée, la mécanique du récit impeccable mais ce thème du glissement du temps où le passé s’infiltre dans une brèche du présent pour échapper à l’oubli a été tellement utilisé par les fantastiqueurs qu’il n’arrive plus à nous étonner.

Au fond, je m’illusionne sans doute un peu dans les premières lignes de cet article quand je parle d’une mosaïque qui donne un sens commun au recueil. Je ne saurais dégager un dénominateur commun à ces vingt-cinq nouvelles, sinon qu’André Berthiaume s’y révèle un peintre minimaliste de la quotidienneté. Mais la mosaïque, elle se traduit dans la différence de tons, dans la variété des points de vue narratifs, dans la juxtaposition des époques. Dans « Maria Maya » par exemple, un très beau texte d’une sobriété et d’une simplicité attachantes, c’est la voix narrative d’un enfant qui fait le charme et la fraîcheur de cette nouvelle qui soulève un problème social grave : l’exploitation des immigrants.

Aux six nouvelles fantastiques s’ajoutent deux petites nouvelles de SF dont nous avons déjà parlé au moment de leur publication en revue, « L’Hiver, en dessous » et « L’Inventeur ». [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 28-32.

Références

  • Lord, Michel, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 683-685.