À propos de cette édition

Éditeur
Le Jour
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Le Jour, vol. 1, n˚ 46
Pagination
2
Lieu
Montréal
Date de parution
30 juillet 1938

Résumé/Sommaire

Le narrateur rapporte le récit que lui a fait une octogénaire ayant découvert dans un vieux manuscrit l’histoire du dernier des Séparateux, Séraphin Bonnelame. Bras droit du chef des Séparateux ayant réalisé la sortie du Québec de la Confédération, le jeune homme, tourmenté par les tentations charnelles, est obsédé par une idée fixe : séparer le Québec de l’Ontario pour en faire une île et pour concrétiser matériellement la partition du territoire. Bonnelame entreprend le creusage d’un tunnel à partir de la frontière du Québec jusqu’au centre de l’Ontario et projette d’y faire exploser une bombe de sa fabrication qui pulvérisera une partie de la province voisine. Son tunnel aboutit dans la chambre d’une jeune femme, Peggy Lamberton, dont il tombe sous le charme. Les deux amoureux acceptent de s’unir dans la mort mais l’explosif s’avère un pétard mouillé.

Commentaires

Une longue introduction précède le récit proprement dit de la vie du dernier Séparateux, Séraphin Bonnelame. Ce préambule reprend les grandes lignes d’un texte paru sept mois plus tôt, « L’An 2037, voyage de Sévère Couture au pays des Séparateux », qui exposait l’histoire de l’accession à l’indépendance de la Séparatie, un avatar du Québec. Prenant la forme d’un essai satirique et pamphlétaire divisé en quatre chapitres, ce premier texte était présenté comme un rêve par l’auteur, Sévère Couture. C’est la raison pour laquelle il n’est pas inclus dans le corpus de la science-fiction.

Par contre, « Le Prodige de Peggy Lamberton… » se veut une histoire alternative du Québec qui s’est déroulée plusieurs décennies plus tôt et non un rêve. Cela change tout. Déjà, le premier texte était accablant et ridiculisait la langue des Séparateux (« un mélange du français, de l’anglais, d’un patois local et de bribes d’iroquois » truffé de jurons), la religion (les Séparateux sont tous des hypocrites : « Leur catholicisme est rituel et mystique. Ils ont une ignorance merveilleuse de l’esprit chrétien. ») et la vie intellectuelle et littéraire (le quotidien Le Règlement, allusion au journal Le Devoir, est inféodé au gouvernement et le roman, édifiant, « prolonge l’effet des sermons hebdomadaires »).

Le portrait global de la faillite de l’aventure politique de la Séparatie (effondrement de l’économie, fuite des capitaux étrangers, stagnation des avancées technologiques) s’apparente aux discours alarmistes des troupes fédéralistes lors du premier référendum québécois. Le rappel des événements dans l’introduction du deuxième texte pourrait presque être qualifié d’écrit diffamatoire. Le narrateur mentionne qu’au lendemain de la victoire des Séparateux à Montréal, les Anglais ont été noyés dans le fleuve Saint-Laurent et les Juifs, brûlés sur la Place d’Armes.

Est-ce un hasard si l’auteur fait survenir les événements exactement deux siècles après la Rébellion des Patriotes en 1837, comme si cet amalgame visait rétroactivement à discréditer la légitimité de l’insurrection et à imaginer ce qui serait advenu si elle avait été couronnée de succès ?

L’histoire de Séraphin Bonnelame emprunte heureusement un ton plus léger, conforme aux exagérations facétieuses de la satire. Les noms, à peine travestis, sont facilement reconnaissables : M. Gars Debout (Adélard Godbout), M. du Plessys (Maurice Duplessis). Pour brouiller un peu les cartes, l’auteur inverse les couleurs associées aux deux partis, les « bleus » étant historiquement les partisans de Duplessis, et les rouges, les libéraux de Godbout. Cependant, l’identité du grand chef des Séparateux, le jeune baron Pâle d’Oxford, demeure pour moi une énigme.

Somme toute, ces deux textes de Sévère Couture – surtout le premier – constituent un exemple intéressant des débats politiques de la première moitié du XXe siècle qui, sous couvert de fictions fantaisistes ou alternatives, permettent aux intellectuels et idéologues de croiser le fer et de régler leurs comptes par journaux interposés. [CJ]