À propos de cette édition

Éditeur
Les Presses laurentiennes
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
124
Lieu
Charlesbourg
Année de parution
1988
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[4 FA ; 2 SF ; 11 HG]
Une confession générale
L’Héritage

Le Septième ciel
L’Épouse attentionnée
Le Grand Dérangement
Le Petit Homme rouge de l’île d’Orléans
Le Père éternel
Une visite haute en couleur
Le Meilleur Ami de l’homme
Le Dernier des loups-garous
Les Affaires sont les affaires
Une histoire de fantômes
L’Homme qui soufflait
Question d’optique
La Cure d’amaigrissement
La Déconvenue de Mafioso Mafioselli
La Bataille que l’on n’a pas racontée

Commentaires

Depuis quelques années, le fantastique canonique semble vouloir se manifester de nouveau au Québec et ce, au moment où son principal représentant depuis 1975, Daniel Sernine, se tourne vers un fantastique plus moderne. En 1987, Pierre-Yves Pépin a publié un recueil de quatre contes fantastiques, Le Diable au marais, qui renoue avec l’esprit des conteurs du XIXe siècle. Précédemment, Paul-André Bibeau avait écrit des nouvelles fantastiques qui, malgré leur cadre urbain, faisaient appel à des préoccupations qui relèvent davantage de l’époque de Louis Fréchette que de l’époque actuelle.

Pierre Villemure est le plus récent représentant de ce courant fantastique néo-traditionnel. Ce courant se distingue de deux façons. D’abord, il s’applique à récupérer des éléments caractéristiques du fantas­tique du siècle dernier afin de bien marquer son appartenance et ses origines. Ainsi, Villemure utilise dans une de ses nouvelles la transfor­mation lycanthropique, thème cher aux conteurs du XIXe siècle, sans toutefois respecter les causes qui entraînaient cette métamorphose. Dans un autre texte, l’auteur met en valeur l’importance symbolique de l’île d’Orléans, considérée dans les récits fantastiques canoniques comme une terre de sorciers.

L’autre caractéristique du fantastique néo-traditionnel concerne le traitement du sujet. Les auteurs savent très bien qu’à moins de situer leurs récits dans un autre siècle (ce que Daniel Sernine a fait), il n’est guère possible d’aborder ces sujets sans une dose d’humour. Bien souvent, cela se traduit par une exagération des situations ou par un grossissement des traits des personnages, ce qui confère aux récits une charge satirique plus proche parfois de l’absurde que du fantastique.

Le recueil de Pierre Villemure, Quand le diable s’en mêle, témoi­gne de cette diversité. La majorité des nouvelles exploitent des thèmes qu’elles poussent jusqu’à l’absurde dans le but de dénoncer certaines modes ou certains comportements humains : l’obsession des cures d’amaigrisse­ment, la quête de l’héritage, la jalousie, la cupidité, la mesquinerie. Mais comme son titre l’indique aussi, ce recueil est placé sous la figure du diable qui se manifeste de diverses façons, mais le plus souvent sous les traits d’une vieille mère qui a caché son argent avant de mourir ou d’une voisine qu’on déteste cordialement.

Les personnages les plus antipathiques du recueil ont du diable dans le corps mais ne sont pas pour autant une incarnation du Malin. Villemure s’amuse à prêter plusieurs sens au mot diable, ce qui donne lieu à des textes très variés dont le dénominateur commun serait le parti pris caricatural. De cet ensemble de 17 nouvelles, six nous intéressent plus particulièrement. Dans « Le Petit Homme rouge de l’île d’Orléans », l’auteur se moque de l’ambition démesurée de l’homme qui n’est jamais satisfait de ce qu’il pos­sède. Le ton est burlesque. On sent que la présence d’un gnome, qui permet au narrateur de satisfaire ses désirs et ses caprices, est davantage un artifice utile pour la démonstration de l’auteur qu’une figure fantastique chargée de symboles.

Villemure l’extrait de son univers imaginaire, dont il ne nous dit rien, pour se servir uniquement de ses pouvoirs magiques. Il peut paraître incongru aussi de voir l’île d’Orléans associée à la figure du gnome, personnage universel mais tout à fait absent dans la littérature fantastique du XIXe siècle chez nous, contrairement aux fées et aux lutins. Cette asso­ciation audacieuse, voire indéfendable historiquement, aurait certes mérité un minimum de développement.

« Le Dernier des loups-garous », sans doute le meilleur texte du recueil, illustre le mieux ce courant fantastique néo-traditionnel. L’intérêt de cette nouvelle vient du point de vue narratif. À la différence de ses modèles, le récit de Villemure nous introduit dans la conscience du loup-garou. On ressent avec lui sa transformation physique, ses sensations, ses perceptions et ses désirs. En outre, l’auteur tient compte de l’évolution des valeurs de la société québécoise. Le narrateur n’est pas transformé en loup-garou pour avoir failli à ses devoirs religieux mais par un concours de circonstances. Villemure se livre à une réactualisation du thème en utilisant un ton humoristique ou faussement sérieux.

Le sujet étant la perpétuation de la race des loups-garous, il ne manque pas de relever l’absence de la femme dans les récits de lycanthropie. « On n’a jamais ouï dire qu’il y eût des louves-garouses. Les féministes diraient aujourd’hui que c’est de la discrimination à l’endroit de la femme. » Cette remarque peut paraître banale et anodine mais elle trahit une des idées fixes de l’auteur. On peut se demander sérieusement si Villemure est misogyne. Dans la plupart de ses contes, les femmes sont des mégères, des pimbêches et des viragos insupportables. Elles ne pensent qu’à éliminer un mari encombrant, à se débarrasser d’un père acariâtre pour s’approprier son héritage. Dans « La Bataille qu’on n’a pas racontée », il réécrit l’histoire de la prise de Québec par Wolfe, un peu à la manière de François Barcelo dans La Tribu, qui réinterprète sur le mode fantaisiste, mais avec beaucoup plus de succès à mon avis, l’histoire de l’Amérique du Nord. Villemure rend les religieuses responsables de la défaite en leur prêtant une conduite dictée par leurs instincts lubriques.

Mais la pire manifestation de cette misogynie, on la retrouve dans « Une visite haute en couleurs ». Pour décrire l’irruption d’une féministe enragée dans l’appartement d’un pauvre macho, il adopte un ton hystérique dont l’outrance rappelle certaines nouvelles de Paul-André Bibeau. La charge est trop grosse pour ne pas révéler quelques plaies mal cicatrisées, quelques expériences matrimoniales malheureuses, quelques attitudes caractérielles. Cet acharnement contre la femme se répète dans la courte nouvelle d’une page, « Les Affaires sont les affaires », dont une seule phrase (« Madame Alexis vendit son âme au Diable qui lui donna en échange un mari fortuné ») autorise à classer ce texte dans le corpus fan­tastique.

Le ton bête et méchant de Villemure est plus efficace quand il prend pour cible le genre humain en général. Dans « Le Meilleur Ami de l’homme », il installe un climat inquiétant en décrivant un village assujetti de plus en plus à la domination des chiens. Cette fable, dont la conclusion conserve un caractère mystérieux, a des accointances avec la SF et n’est pas sans évoquer les prémisses du roman de Jacques Benoit, Les Princes.

Pierre Villemure a voulu dépeindre, comme il est dit en quatrième de couverture, « l’incommensurable bêtise humaine, la seule chose sur terre qui soit sans limite… » Pour ce faire, il a choisi un style qui se nourrit de l’emphase et de la boursouflure. Les procédés sont gros et on voit venir l’auteur de loin. L’écriture manque de subtilité et de finesse. Elle se veut drôle mais elle suscite surtout l’ennui par son absence de nuance. Elle est lourde et répétitive, sans grâce et malhabile. Un exemple : « Les fonctionnaires du fisc étaient en pleine ébullition. » J’ai remarqué aussi une faute qui revient constamment sous la plume de Villemure. Dans l’expres­sion “Quant à blâmer”, “quant à moi”, quant ne s’écrit pas avec un “d”.

L’auteur a eu raison de donner à la figure du diable une signification profane qui la démarque des modèles religieux du XIXe siècle. Mais aussitôt que Villemeure tente d’écrire des nouvelles qui ne doivent rien à la tradition, il ne trouve pas un ton personnel. Quand le diable s’en mêle ne fait qu’étaler son manque de talent. Il y a tout au plus deux ou trois contes qui sont réussis dans ce recueil. Si l’auteur rate la cible avec son humour toujours au premier degré, il est un peu plus compétent quand il aborde des thèmes fantastiques. Visiblement, Pierre Villemure cherche encore sa voie. Son recueil est un exemple de travail d’écriture immature. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 177-180.

Références

  • Laflamme, Steve, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 739.
  • Mathieu, Carol, Beauport Express, 05-07-1988, p. 8.
  • Pelletier, Francine, Solaris 84, p. 24.