À propos de cette édition

Éditeur
imagine…
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
imagine… 47
Pagination
29-36
Lieu
Montréal
Année de parution
1989
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un étrange groupe de personnages vit dans un radeau, dehors, au centre-ville de Montréal. À un interlocuteur absent, le prêtre zen raconte la ville qui s’agite tout autour, de jour comme de nuit. De temps à autre, il échange aussi des commentaires avec l’un de ses compagnons appelé le fou.

Commentaires

ARRRG !

Ce n’est pas un cri d’effroi ni de colère. Simplement une façon d’expri­mer le conflit qu’il y a parfois entre le lecteur et le critique coexistant dans la même personne. Le lecteur en moi est enchanté par ce texte de Claude-Michel Prévost, et plus encore par le fait qu’un auteur québécois ait le goût et le talent d’en écrire de semblables. Mais en tant que critique – ARRRG derechef –, qu’il est donc difficile d’en parler !

Depuis 1986 qu’il publie, chaque fois Claude-Michel Prévost nous prend à contre-pied, tellement ses œuvres se distinguent de tout ce qui se fait en littérature québécoise de l’imaginaire. Si « Cappucino Buns » donnait incon­testablement dans la SF à cause de ses personnages cybernétiques, et si l’on pouvait en dire autant de « La Marquise de Tchernobyl » à cause du con­texte de guerre future, cette fois nous n’avons affaire à un récit que par la peau des dents.

À mes yeux, Claude-Michel Prévost est essentiellement un poète, le premier et le seul de la SF québécoise actuelle. Dans « Le Radeau des âmes jaunes » comme dans ses autres textes, son projet ne consiste pas d’abord à raconter une histoire, mais à peindre une situation à partir de mots, de la même manière qu’un peintre utilise des couleurs. L’écriture, voilà ce qui importe. Les nouvelles de Prévost sont des poèmes en prose, mais des poèmes mettant en scène des personnages et comportant un récit, même si ce récit est minimal. C’était vrai avec les précédentes, ce l’est encore plus avec celle-ci.

« Le Radeau des âmes jaunes » est une sorte de cas-limite. S’agit-il d’un texte de SF (ou de fantastique surnaturel, pourquoi pas ?), s’agit-il d’un poème ? Je crois qu’on doit ici parler d’hybridation, ce qui n’enlève rien à rien.

Il y a peu d’événements dans cette œuvre (y en a-t-il même ?). Tout tient dans les images qui sont comme autant de points de couleur dans une peinture. Cet auteur-là a un tel sens des mots et de la langue que c’en est pas possible ! « Les gens sont beaux comme des popsicles », nous dit le fou d’entrée de jeu, et cette image deviendra un leitmotiv. De chaque paragra­phe, fusent des phrases étonnantes, fracassantes (comme : « La lucidité est un virus. ») qui vont parfois jusqu’à ressembler à du langage exploréen (« L’homme est-il bon avec du corn-flake catholique ? »).

S’inspirant des personnages d’une statue de Mason située près de la Tour BNP à Montréal, Claude-Michel Prévost les anime, leur donne une exis­tence, une vie intérieure. Il les fait sentir, observer, parler, les obligeant à assumer l’incongruité de la situation dans laquelle ils se trouvent par son entremise. Ces êtres deviennent les témoins privilégiés de la vie urbaine, avec son ennui, ses démolitions, son ultra-violence, son mouvement perpé­tuel, ses néons, ses immeubles de verre, ses véhicules… Une ville vivante et devenue sensuelle, que l’on aime même si elle se meurt comme le chantait Octobre au début des années 70.

À force de fréquenter Claude-Michel Prévost, les amateurs d’intrigues finiront par s’abstenir, si ce n’est déjà fait. Mais les friands de poésie rock y trouveront matière à un grand trip. Et les lecteurs gourmets, de quoi être éblouis par les capacités d’un auteur aussi saisissant. [DC]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 176-177.