À propos de cette édition

Éditeur
Maclean Hunter
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Châtelaine, vol. XIII, n˚ 7
Pagination
24-25 ; 41-44
Lieu
Montréal
Année de parution
1972

Résumé/Sommaire

Sur une Terre du futur exempte de guerres et de classes sociales, Kuper, un superordinateur détenteur de l’ensemble des connaissances humaines et de l’Histoire, gouverne sagement et sans faille en basant ses raisonnements et dé­cisions sur les erreurs passées de l’Homme. Sur cette terre utopique, un vaccin inoculé à la naissance neutralise chez tous les êtres humains le « virus de la vieillesse », augmentant ainsi leur espérance de vie à celle du cerveau, soit 275 ans environ.

À soixante ans, Nid est une « jeune » humaine qui étudie les rares cas de défaillance du vaccin, des cas rares de dégénérescence spontanée où des individus se mettent à vieillir de manière fulgurante et trouvent la mort en quelques heures seulement. Mais ce ne sera qu’en tombant amoureuse, concept pour elle d’un archaïsme choquant, que Nid découvrira la cause du mal qui les tue : l’amour qui tend à l’individuel plutôt qu’à l’universel, ce sentiment du cerveau primitif que le règne de Kuper a tenté d’éliminer, puisqu’il est la cause de tant de souffrances.

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Commentaires

Bien que truffée d’irréalisme et ponctuée de quelques remarques au prêche peu subtil, cette utopie n’est pas totalement dénuée d’intérêt. Paule Doyon nous présente tranquillement son monde, à travers les yeux de Nid, une biologiste. Le premier tour d’horizon nous dépeint une société quasi parfaite. Il règne sur terre une paix durable, tous les peuples ont fusionné en un grand amalgame que l’on nomme « le peuple de la Terre », et chaque individu est analysé génétiquement dès la naissance pour que le métier correspondant parfaitement à ses goûts et à ses aptitudes lui soit attribué. Ainsi, tous vivent en harmonie dans un monde où les concepts de compétition et de consommation n’existent plus.
Un premier problème agaçant le lecteur vient de la prémisse même de l’intrigue. Dans ce futur imaginé, on a découvert que le vieillissement n’était pas une manifestation des lois naturelles inébranlables, mais bien le résultat d’un virus ! Et qui dit virus dit vaccin, évidemment. Ainsi donc, les humains de cette nouvelle sont « guéris » du vieillissement. On imagine nos amis biologistes et physiciens frémir, mais puisque ce postulat est le cœur de ce récit, jouons le jeu.
En tout cas, Nid prend la chose très au sérieux et l’essentiel de l’intrigue, outre la description de la société utopique proposée, tient dans sa détermination à découvrir pourquoi chez certains humains le vaccin fait défaut et la nature, pour ainsi dire, reprend ses droits. En devenant elle-même atteinte du virus, Nid comprend que c’est l’amour d’un homme, au détriment de l’amour des hommes, de l’universel, qui la tue.
Ce constat les amène, elle et Urt, son amant, mais aussi le lecteur, à se poser une question : si la paix, l’égalité entre les individus et l’ordre social ne demandent à l’être humain que le sacrifice de sentiments irrationnels tels l’amour, l’amitié ou l’inquiétude, le jeu en vaut-il la chandelle ? En tout cas, en étant transportés dans le temps dans un monde où « des jeunes gens aux cheveux incroyablement longs s’enla[cent] sur une herbe toute luisante de soleil » et en y étant reconnus comme des « amoureux », Nid et Urt le croient. Car ils décideront de rentrer chez eux, de sacrifier leur amour au bien commun. Critique ou apologie de l’ère de l’amour libre ? Difficile de juger de l’intention de l’auteure.
Sur le plan technique, le récit est bien mené, les descriptions du monde imaginé ne se limitant pas qu’à des superficialités mais prenant la peine de nous montrer, entre les diverses avancées génétiques et technologiques, le quotidien des Terriens de ce futur utopique. Si on mentionnait en introduction quelques irréalismes, outre le virus de la vieillesse, mentionnons ce chien qui, par sa longévité (les chiens, semble-t-il, reçoivent aussi le vaccin), a appris à parler. Il faut donc au lecteur ici aussi un effort de bonne volonté pour accepter que si nos chiens contemporains ne parlent pas, ce n’est dû qu’à leur courte espérance de vie, et non au manque de malléabilité de leurs organes vocaux ou au développement limité de leurs cerveaux !
Si agaçant qu’il soit, ce B0025, ce chien parlant, est bien utilisé par l’auteure qui en fait le premier « personnage » atteint du virus et à en mourir. Plus qu’une simple péripétie de l’histoire, cette scène est cruciale, et ce n’est qu’en terminant la nouvelle qu’on le réalise. En parlant, en s’humanisant, B0025 devient capable d’aimer et même de pleurer, devenant ainsi plus humain que les humains du récit eux-mêmes, et c’est pour cette raison qu’il doit mourir.
Parlons brièvement du style de l’auteure, dont il y a peu à dire. Efficace mais sans éclat, celui-ci manque certainement de couleur et de poésie, malgré certaines belles images malheureusement trop rares et espacées.
« Le Règne de Kuper » a été repris l’année suivante dans un recueil intitulé Fleur de lis. Anthologie d’écrits du Canada français et publié à Toronto. On se demande à quel public il était destiné pour que l’éditeur juge nécessaire de l’accompagner d’un lexique nous expliquant, à l’aide de synonymes, des mots aussi compliqués que « moelleuse », « mendier » ou « bouleversements » !
Bref, une nouvelle de science-fiction peu crédible qui réussit quand même à nous intéresser à cause du questionnement qu’elle soulève sur les passions humaines et leur rôle (ou leur responsabilité) dans les problèmes de nos sociétés contemporaines. [PT]

  • Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 178-179.