À propos de cette édition

Éditeur
Boréal
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
173
Lieu
Montréal
Année de parution
1992
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Le narrateur, qui se prénomme Emmanuel, travaille comme critique littéraire pour le compte d’un magazine culturel. Chaque matin, il prend l’autobus 99 dans la banlieue où il demeure et se rend à son bureau au centre-ville. Jour après jour, il croise les mêmes personnes : le chauffeur d’autobus, les passagers bizarres (la vieille Branleuse, le Prêtre, le Romantique, l’Incontinent, le Motard), son Patron obèse. Son existence est une suite d’événements platement répétitifs jusqu’à ce qu’il se rende compte que l’environnement autour de lui change, qu’il a même sur les personnes de son entourage pouvoir de vie ou de mort. C’est alors que le narrateur, qui prend plaisir à démolir les œuvres des jeunes écrivains, se souvient qu’il a lui-même écrit deux romans dans sa jeunesse et qu’il a par la suite abandonné l’écriture à cause d’une femme qui l’a quitté. Ce raté rempli d’amertume comprend peu à peu qu’il évolue dans l’univers romanesque qu’il avait créé dans son premier livre. De réincarnations en réincarnations, il se retrouve dans la peau du personnage principal de son second roman, puis dans une sorte de néant où sa conscience attend de se réincarner sous une nouvelle forme.

Commentaires

J’aime autant vous prévenir tout de suite : ce résumé est une tentative fort hasardeuse de donner un semblant de cohérence à un texte qui ne s’en soucie aucunement. Il aura au moins le mérite de situer rapidement le propos de l’auteur et d’indiquer le niveau de lecture qu’il sollicite. Emmanuel Aquin explore en effet le territoire de l’imaginaire de l’écrivain pour mieux le démystifier, pour dire finalement au lecteur que la réalité représentée dans les romans n’est qu’un artifice dont l’auteur joue habilement pour le leurrer.

Réincarnations s’applique à en faire la démonstration en adoptant dès le début un ton qui se démarque du réalisme habituel. On est projeté dans un univers délirant dans lequel la violence devient invraisemblable tant elle est démesurée. Le voisin peut décerveler sa femme parce qu’il l’a surprise dans son lit avec un autre homme, le narrateur peut trucider ceux qui le font chier, ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas, puisque l’auteur ne prétend pas refléter la réalité. Sur ce point, le roman d’Aquin rejoint certains films dont la violence excessive est finalement désamorcée par son côté invraisemblable.

S’il y a une filiation à faire entre l’œuvre du père, Hubert Aquin, et celle du fils, elle se trouve dans cette volonté de mettre en scène un personnage central qui ne cherche pas du tout à créer l’illusion de la réalité, qui sait qu’il est la créature d’un écrivain. Malheureusement, la comparaison s’arrête là. Le père avait une culture générale impressionnante et savait maîtriser les codes des différents genres romanesques. Emmanuel Aquin démontre ici qu’il a peu de choses à dire tant le propos est répétitif. À part quelques réflexions intéressantes sur la création (« Je me réentendais proclamer à qui voulait bien l’entendre que l’acte de créer était un refuge, que l’essence de la vie coulait dans des eaux plus saines »), que de phrases vides de sens, que de masturbations intellectuelles.

Aquin n’est pas le premier écrivain à réfléchir sur le mécanisme de la création et sur le beau mensonge que fabrique la littérature. Il n’apporte rien de nouveau qui n’ait déjà été écrit. En outre, il cultive quelques manies qui ont le don d’agacer prodigieusement. Il y a dans son entreprise littéraire une forme de prétention qui finit par être détestable. L’auteur pratique allègrement l’auto-citation, se met en scène, revisite ses romans antérieurs. Ce narcissisme littéraire se double d’une bonne dose de complaisance et d’une propension à la scatologie. À un moment donné, le narrateur veut recréer la femme de ses rêves, l’Ève primitive. « Je déballai mon protégé, un noble étron frais du jour. Cette partie de moi allait devenir l’incarnation de ma puissance, de mon talent créateur. » Un peu de sperme va faire lever la pâte et une goutte de sang va insuffler la vie à la plus belle des créatures. Voilà, le tour est joué !

Provocant, le fils Aquin ? Le mauvais goût est toujours dérangeant mais il n’est pas toujours justifié. Enfin, on se lasse vite de ces réincarnations à répétition. Emmanuel Aquin reprend la même recette que dans son premier livre, Incarnations, mais avec beaucoup moins de bonheur. La trame narrative était un peu plus consistante et, surtout, l’écriture avait quelque chose de jubilatoire. L’auteur déroulait une histoire loufoque inspirée librement de la vie du Christ en y mêlant des éléments de science-fiction. Il a perdu depuis son humour iconoclaste, et son sens de la dérision, loin de nous faire sourire, suscite un ennui profond.

J’ai bien peur que le phénomène Emmanuel Aquin soit la plus grande fumisterie de l’histoire de la littérature québécoise. Si l’auteur ne s’était pas appelé Aquin, je suis persuadé que les éditions Boréal n’auraient jamais publié ce manuscrit. Je dis « publier » et non « éditer » car le travail d’édition n’a pas été fait : on ne compte plus les fautes typographiques dans ce livre. J’ai lu le premier et le troisième livres d’Emmanuel Aquin : cela me suffit amplement. Je préfère la littérature sans prétention aux exercices de style des petits malins qui croient avoir découvert que la littérature est un mensonge. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 7-8.

Références

  • Côté, Lucie, La Presse, 23-08-1992, p. D-3.
  • Ouellet, François, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec IX, p. 237-239.