À propos de cette édition

Éditeur
C't'un fait, Jim !
Genre
Fantasy
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Épitaphe 1
Pagination
23-36
Lieu
Saint-Lambert
Année de parution
1996
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Solomon Kane a le cœur brisé : Bess, la femme qu’il aime, a épousé un autre homme. Ayant perdu le goût de vivre, il choisit de s’exiler. Il fera la rencontre d’un étrange petit homme nommé Ned Gane, qui lui demande de le raccompagner chez lui à travers une dangereuse forêt.

Au terme du chemin, Kane a l’impression d’être tombé sur une parcelle de territoire qui constituerait le dernier bastion d’un âge reculé. Ned et sa femme habitent une curieuse maison aux murs ronds. Une quatrième personne arrive peu après : un vague cousin qui réside dans la forêt. Il ne se réclame d’aucun nom particulier, mais comme il est parent de Ned, il suggère à Kane de l’appeler « Half-Gane ».

Le vieil homme radote des histoires fabuleuses au coin du feu ; il parle entre autres de neuf hommes puissants, rois, guerriers ou sorciers, qui ont conclu un pacte avec le Diable et sont tombés au service du Mal. En plein milieu de la nuit, Half-Gane réveille Kane en lui déclarant avoir enfin retrouvé où se cache le tombeau d’un des neuf. Kane voit dans la destruction de ce roi damné l’occasion de risquer sa vie pour une bonne cause.

Le lendemain, Kane se rend jusqu’au mausolée où repose le roi défunt. Le corps momifié de cet homme, malgré sa taille gigantesque et l’énorme épée en travers de ses genoux, n’intimide pas Kane – du moins jusqu’au moment où il s’anime. Kane tente de pourfendre son ennemi ; sa lame se brise mais lui-même crève la peau du cadavre et se retrouve englué dans la matière pâteuse sous-jacente. Kane lutte mais sent qu’il ne pourra survivre bien longtemps. C’est alors que l’enchantement de l’anneau, qui a préservé tout ce temps le cadavre de Conan – car c’est bien lui – s’épuise.

Kane revient à la surface se sachant désormais investi d’une sainte mission : détruire les semblables du roi dans la crypte.

Commentaires

Dans le cadre d’une fan fiction inspirée de Robert E. Howard, on ne se surprendra pas que l’auteur ait décidé de faire se rencontrer deux de ses univers fictionnels, ménageant une rencontre entre Solomon Kane et Conan. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est qu’il nous rattache également au Seigneur des anneaux de Tolkien ! Je reste encore ébahi par cette audace, sans pouvoir décider s’il s’agit d’un trait de génie ou d’un geste d’une totale inconscience.

C’est que cette jonction suscite bien des interrogations pour tout fan de Tolkien : par exemple, l’Anneau Unique ayant été détruit à la fin du Tiers Âge, privant ainsi les autres créations de Sauron de leur pouvoir, comment se fait-il que les Nazgûl aient survécu jusqu’à notre ère ? Je me montre sans doute trop tatillon : on peut toujours arguer que ce n’est pas une fusion rigoureuse que prétendait réaliser l’auteur, mais plutôt une hybridation qui ne se réclame pas du cachet de l’authentique. Aucune mythologie n’est jamais parfaitement cohérente avec elle-même, après tout. Et on sait d’après les projets littéraires de son auteur, ainsi que par son mémoire de maîtrise, que l’intertextualité le fascine.

Le jeu des allusions explique un peu mieux Ned Gane et sa femme qui habitent une maison cylindrique, écho déformé d’un smial de Hobbits ; il explique aussi le surnom pesamment amené de son cousin. « Half-Gane », c’est Gandalf, à deux ou trois lettres près.

La narration de cette nouvelle reste toutefois inutilement maladroite. La scène du début où Kane contemple la maison où vit désormais Bess, la femme qui a brisé son cœur, est inutile. Elle est suivie d’un hoquet diégétique, où le temps file si vite qu’il faut ensuite revenir en arrière sur la rencontre entre Kane et Ned. Ces cassures de rythme ralentissent encore plus la première moitié du texte, qui est assez superflue de toute façon. C’en est à un point où même Ned Gane et sa femme semblent se rendre compte qu’ils ne sont que des porteurs de lances et que leur seule raison d’exister était d’amener Solomon Kane à rencontrer le vieil « Half-Gane ».

C’est dans la deuxième partie du texte qu’on en arrive enfin au vif du sujet. Même là, pour une raison qui m’échappe, Gandalf — euh, Half-Gane — déballe sa révélation tout d’un coup à Solomon Kane, sans qu’on sache comment il a retrouvé ce roi défunt et pourquoi il en informe un parfait étranger. Un lecteur qui ne serait pas vendu d’avance ou qui n’aurait pas saisi l’identité secrète de Half-Gane (j’ai moi-même dû me la faire expliquer par un tiers, je l’avoue) pourrait abandonner ici, convaincu que l’auteur se paie sa tête. Ce qui serait dommage, car le texte trouve enfin son erre d’aller juste après.

La crypte du roi et le combat avec Kane sont en effet bien rendus et dégagent une atmosphère morbide et noire à souhait. J’ai beaucoup aimé le grotesque de la bataille, quand Kane se retrouve emprisonné dans la substance même du roi défunt et qu’il tente de prendre le contrôle de ses membres depuis l’intérieur même de son cadavre. On pourrait encore chipoter sur certains détails, mais ce serait secondaire, car le pari de l’auteur se justifie enfin. Thierry Vincent nous offre une lutte sinistre entre Solomon Kane et un Conan-Nazgûl-momie… et ça marche !

Je suis donc divisé quant à mon impression du texte. L’ambition est louable, l’exécution fait défaut durant toute la première moitié mais se rachète dans la deuxième, l’idée de base est à la fois brillante et ridicule… C’est un texte qui repousse les limites de la fan fiction, une belle expérience du point de vue d’un auteur et une histoire qu’on ne lit pas tous les jours. Le texte le plus singulier, le plus réussi peut-être de ce numéro d’Épitaphe ; certainement son plus audacieux. [YM]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 205-207.