À propos de cette édition

Éditeur
L'Hexagone
Titre et numéro de la collection
Fictions
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
208
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Occimol, an 5 du Varsol. Il neige depuis douze ans sur la mégalopole aux prises avec l’hiver nucléaire. Dans cet univers de désolation bouleversé par des mutations sociales et biologiques, les êtres tentent de survivre à la solitude et à l’ennui. Dany-Girl (alias Hortense Soir) travaille à la pige comme holo-copiste quand elle arrive à trouver du boulot. Praxis Séphiroth est morning-man dans un poste de radio. Ils se rencontrent dans un café-bar après que Praxis eût donné rendez-vous à la jeune fille par téléphone sans la connaître.

En fait, l’animateur radiophonique apprend qu’il connaît un peu son passé puisque Phylias Mercator, un psychanalyste que Praxis a souvent invité à son émission matinale, a déjà raconté publiquement l’histoire de l’enfance d’Hortense Soir. Le tête à tête est agréable mais chacun reste sur ses positions de peur de se meurtrir inutilement le cœur. Peu de temps après, Dany-Girl se voit confier un contrat par un riche propriétaire d’une maison ancienne, Franz Masson, qui veut transformer l’immeuble en hôtel. Il lui demande de réaliser une vaste fresque sur un des murs extérieurs.

Après avoir mené à bien son travail, elle rentre chez elle et reprend contact avec Praxis qui était sans nouvelles d’elle. Ils vont ensemble à un bal masqué donné par Phylias à l’occasion du Nouvel An et Dany-Girl révèle à son hôte sa véritable identité. Le psychanalyste perd son sang-froid et met fin abruptement à la fête. Pendant ce temps, Madame Soir et sa sœur Line Mécène se proposent d’offrir à Dany-Girl un séjour à Megawong, sur le continent Moha où Madame Mécène a une maison. La jeune fille doit choisir entre cette occasion de changer d’air et l’invitation de Praxis qui voudrait qu’elle cohabite chez lui. Elle part finalement sans Praxis.

Commentaires

Les Samourailles de France Boisvert fait partie de ces romans qui nous arrivent chaque année sans crier gare et qui participent d’une certaine communauté d’inspiration post-cataclysmique qui nous a valu La Trouble-Fête de Bernard Andrès en 1986 et Le Piano-trompette de Jean Basile en 1983, pour n’en nommer que quelques-uns. Le roman de France Boisvert utilise les mêmes prémisses de départ que ces deux œuvres. L’auteure a choisi comme cadre de son récit une société gravement perturbée par des changements sociaux causés par des accidents nucléaires et l’hiver perpétuel qui en découle.

Cependant, ce cadre demeure un décor plutôt vide que l’auteure ne se donne pas la peine de meubler. Elle n’en exploite aucunement les possibilités comme en témoignent les trop brèves descriptions de l’environnement urbain d’Occimol. Ce désintérêt pour l’espace extérieur entre en contradiction avec le propos de l’auteure qui veut nous convaincre que les grands désordres survenus dans le monde s’accompagnent de semblables bouleversements dans les relations humaines. France Boisvert s’intéresse uniquement aux rapports amoureux de ses personnages. Pourtant, en utilisant la métaphore de l’hiver nucléaire pour décrire l’état de ces rapports – idée centrale du roman et intuition géniale –, elle se devait de donner plus de consistance à l’arrière-plan social. Il ne lui suffit pas de dire qu’il neige constamment et de donner quelques informations météorologiques pour que l’adéquation entre l’univers extérieur et le monde intérieur des personnages soit satisfaisante. C’est là qu’apparaissent les limites du projet romanesque de France Boisvert qui a vu dans le thème de l’hiver nucléaire – thème typiquement SF – un prétexte formidable pour décrire l’état actuel des relations amoureuses entre hommes et femmes à l’heure du post-féminisme.

Je ne crois pas, en effet, que l’auteure ait eu l’ambition d’écrire un roman de science-fiction. Elle soulève plusieurs questions importantes auxquelles elle n’apporte aucune réponse justement parce qu’elle ne sent pas les possibilités immenses offertes par la SF. Elle mentionne dans son récit que les femmes ont un pénis et les hommes, une vulve (mais ce n’est pas le cas pour toutes et tous, semble-t-il) et elle affirme que les femmes continuent d’accoucher. Elle ne fournit aucune explication scientifique au sujet de cette mutation profonde. Pourtant, cette confusion des sexes a des incidences sur son propos sans que celui-ci ne les prenne en considération.

En outre, il n’est presque jamais question des enfants dans Les Samourailles. Les adultes sont préoccupés par leurs échecs sentimentaux mais ne songent pas à la dénatalité. L’auteure glisse quelque part dans le récit qu’il en reste 113. Cette attitude m’apparaît particulièrement représentative de la société québécoise actuelle et des sociétés occidentales en général : élever des enfants coûte cher. France Boisvert ne précise pas dans son roman si le problème de la dénatalité s’explique par l’égocentrisme des adultes ou par des raisons économiques ou biologiques : le résultat est le même.

On aurait aimé malgré tout qu’elle soit plus explicite mais elle refuse constamment les voies prospectives de la SF. C’est frustrant en diable même si c’est son droit de créatrice. Elle met donc son talent à décrire quelques personnages aux prises avec le mal d’amour. Elle déplore l’indifférence qui s’est installée dans les relations humaines, la peur d’aimer qui atteint tous les habitants d’Occimol, le refus généralisé de l’engagement affectif. « Le gel prend peu à peu, coupant tranquillement la personne de son entourage. Puis il y a perte progressive de la conscience. Des troubles de la mémoire et du jugement surviennent, et cette montée ravive l’apparition de la torpeur qui se prolonge dans le coma. Inutile de spécifier qu’à ce stade les centres vitaux de l’envol amoureux sont complètement anesthésiés. » (p. 135)

Cette citation est tirée d’un long extrait d’un livre lu par Dany-Girl, ayant pour titre La chaleur humaine et le dessèchement affectif. Le thème principal du roman s’y trouve exposé en plusieurs pages. Le mal du siècle, une soif d’amour non comblée, y est décrit de façon clinique à telle enseigne qu’on pourrait conclure que le gel des relations humaines a déclenché le froid climatique sévissant quotidiennement en Occimol. Ce ne sont pas les explosions des centrales nucléaires qui ont provoqué une mutation de la société d’Occimol et des mœurs amoureuses. C’est plutôt l’inverse : la désillusion amoureuse et le manque d’échanges affectifs ont entraîné l’éclatement de la bombe nucléaire.

La démarche de France Boisvert prend ici le contre-pied de l’approche rigoureuse des auteurs de SF qui, après avoir exposé le cadre, auraient analysé les répercussions qu’ont les structures sociales sur les relations amoureuses, par exemple. En outre, la position de l’auteure va à l’encontre même de l’esthétique de la SF qui reconnaît la primauté du cadre social sur les aspirations individuelles, dont le mouvement centripète va de la collectivité à la personne, du général au particulier. Le personnage de SF se trouve continuellement confronté à des règles sociales ou des situations qu’il ne contrôle pas et qui lui dictent sa conduite.

À l’inverse, les personnages de France Boisvert modèlent leur environnement extérieur qui apparaît comme le reflet de leur climat intérieur. Les relations entre Dany-Girl et Praxis déterminent la morosité sociale qui flotte sur Occimol. L’auteure établit une complicité intéressante avec ce personnage complexe qu’est Dany-Girl. Elle met à jour ses états d’âme avec plus de succès que dans le cas de Praxis, dont la personnalité demeure floue et les motivations, confuses. Quant au personnage de Phylias Mercator, il est assommant avec ses considérations sociophilosophiques. Sa fatuité verbale suscite l’ennui, malgré les intentions caricaturales de l’auteure.

En fait, nous touchons là un aspect important, sinon essentiel, du roman de France Boisvert : l’écriture. Les Samourailles est une œuvre qui privilégie les mots au détriment du récit. Cela confère au style une légèreté, une désinvolture qui masque le profond désarroi amoureux des personnages qui vivent dans une atmosphère fin de civilisation, malgré des signes de réchauffement de la température. Le climat sentimental ne semble pas aussi encourageant que pourrait le laisser croire ce style enjoué.

Le projet de l’auteure étant de s’étourdir avec les mots et non de raconter une histoire, la trame narrative demeure très mince. Il n’est pas étonnant que j’aie eu de la difficulté à en faire le résumé. Tout reste au niveau anecdotique tandis que de longs passages m’ont projeté dans le cirage. Trop de phrases comme celle-ci ne veulent rien dire :  (p. 12) Ou alors, l’auteure accumule les jeux de mots dont l’utilité première, à défaut de créer un effet humoristique, est de faire surgir une signification autre, moins apparente, ce qui n’est pas souvent le cas. À ce compte-là, je préfère le style de François Barcelo dont l’humour est constamment rafraîchissant et déridant.

France Boisvert a plus d’imagination pour prêter à certains noms propres un symbolisme riche : Occimol traduit bien l’idée de dégénérescence et de décadence de l’Occident tandis que Varsol fait référence à l’ère du Verseau, ère qui devait être synonyme d’harmonie mais qui tourne au vinaigre, pour ne pas dire au vitriol. La signification du continent Moha, sur lequel Dany-Girl met le cap à la fin, est aussi très transparente. La démarche de la jeune fille, dont le cœur est en convalescence, est entièrement tournée vers son moi.

Les Samourailles est ce genre de roman duquel on sait rapidement si on l’aimera ou pas. Après 50 pages, j’étais déjà en mesure d’en faire une recension détaillée. La suite n’a fait que confirmer mes perceptions premières. Si le premier roman de France Boisvert m’a déçu sous plusieurs rapports – l’incapacité de l’auteure à tirer profit de certains thèmes introduits par le cadre SF, la méconnaissance de la science-fiction, la pauvreté du récit –, il n’en reste pas moins qu’il contient aussi des éléments valables et pertinents. L’auteure fait preuve d’une belle sensibilité quand vient le temps de décrire les nouveaux rapports amoureux qui caractérisent la civilisation occidentale actuelle. Elle est capable aussi de quelques beaux flashes qui expriment en peu de phrases une idée hautement intuitive. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 44-47.

Références

  • Fournier, Isabelle, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 782-783.
  • Lamontagne, Michel, Solaris 79, p. 17-18.
  • Le Brun, Claire, imagine… 43, p. 114-115.