À propos de cette édition

Éditeur
Alire
Titre et numéro de la série
Les Chroniques infernales - 4
Titre et numéro de la collection
Romans - 14
Genre
Fantasy
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
220
Lieu
Beauport
Année de parution
1998
ISBN
9782922145168
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Rel, Lame, Fax et Taxiel sont aux enfers chauds ; devant une assemblée de divers représentants des enfers, de bonnes âmes, de bourreaux et de damnés, Rel révèle son passé, sur une durée de sept jours. Autrefois habitant d’un monde céleste, il avait des ailes ; c’est pourquoi il s’est réincarné de façon à pouvoir réformer les enfers. De mère Sargade, maltraité par son père qui n’acceptait pas son hermaphrodisme, il s’est réfugié dans l’archipel de Vrénalik, d’où vient également Fax/Sutherland. Là, il a appris un peu de magie avant que Taxiel ne vienne le ramener en enfer. C’est lui qui a servi de modèle pour la statue du dieu Haztlén que Fax/Sutherland avait retrouvée avec le sorcier Ivendra, mettant fin ainsi à quatre cents ans de malheur pour l’Archipel.

Le temps ne s’écoulant pas de la même façon en enfer, quatorze mille ans ont passé depuis, et deux mille ans depuis la vie précédente de Sutherland. Un certain nombre d’événements entrecoupent le récit de Rel : le principal coupable du meurtre du Sargade Séril Daha lui est remis en piteux état ; il le nomme Meurtrier et l’envoie se refaire aux limbes ; les juges du destin écoutent cachés derrière une tapisserie et déconcentrent Rel, ce qui amène Sutherland à arracher la tapisserie : ceux qui jugent n’ont pas plus d’importance que ceux qui agissent. L’oiseau-bourreau Tryil, un télépathe collaborateur de longue date de Rel, attaque Fax/Sutherland qu’il estime trop arrogant à l’égard de Vrénalik, le pays de ses ancêtres oiseaux de mer, et le blesse d’un coup de bec ; il en sera châtié par les siens.

Lame, troublée par le récit de Rel, prend la parole pour raconter comment elle a, dans sa vie précédente, mis fin à ses jours à vingt ans en se jetant sous un camion. Lorsque le récit de Rel est terminé, il part avec ses compagnons pour Vrénalik ; l’oiseau Tryil fait alors vivre télépathiquement à l’assistance l’atmosphère légendaire d’une arrivée dans l’Archipel, selon les traditions des siens.

Autres parutions

Commentaires

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore remarqué, les livres d’Esther Rochon chez Alire portent sur la tranche un sigle générique que nul autre livre de la collection ne porte : elle constitue en effet un genre à elle toute seule, ainsi en a décidé avec raison l’éditeur. Ce quatrième volume des Chroniques infernales (amorcées avec Lame, dans la défunte collection Sextant, un livre qui sera sans doute réédité par Alire) illustre bien le caractère inclassable de l’œuvre de Rochon : dans ses Enfers, qui ne sont pas les enfers chrétiens, on a des robots et des ordinateurs, un(e) hermaphrodite quasiment immortel(le), des portes entre les mondes du dessus et ceux du dessous, des implants donnant accès à ces portes et à d’autres sortes de machines, des oiseaux-bourreaux télépathes mutants de mouettes et de cormorans… et des damnés, et des juges du destin, et des princesses, des châteaux, des rois cruels et fous, des princes rebelles… et tout le fantastique attirail sado-maso des enfers (même non chrétiens…), avec leurs damnés souffrant des tourments… qui ne sont pas éternels, c’est tout le point de l’histoire. Qui osera étiqueter ce livre, et les autres ? Ce n’est pas de la fantasy, ce n’est pas de la science-fiction, ce n’est pas de la fantaisie ni du « réalisme magique »… Allégorie philosophique, métaphysique, morale ? Sûrement pas. Les personnages de Rochon, si étranges et capricieux soient-ils, sont là pour eux-mêmes (et pour nous), non pour défendre une quelconque thèse. C’est… de la fiction. C’est du Rochon, et restons-en là.

Dans Secrets, un certain nombre de secrets en effet se voient révélés. C’est un des grands attraits de cette série de pouvoir être lue à plusieurs niveaux, et si les lecteurs aguerris de Rochon la liront désormais d’un autre œil, à partir du moment où est prononcé le nom de Vrénalik – qui peut décider « tant mieux » ou « tant pis » ? L’ensemble prend en tout cas une autre allure, une autre envergure, des perspectives aussi inattendues que fascinantes se déploient… Rochon : la fiction à géométrie variable ! Je dirais simplement que ce n’est pas un hasard si Alire réédite en même temps Le Rêveur dans la Citadelle, en deux volumes remaniés (le second, L’Archipel noir, est paru en mars 1999).

Pour en finir avec l’aspect éditorial, je vais me débarrasser tout de suite de mon seul problème avec le livre, qui n’a rien à voir avec son contenu : j’ai trouvé la couverture, quoique techniquement bien faite, tout à fait inappropriée pour cette auteure et pour ce livre (comme d’ailleurs pour Le Rêveur…). D’ailleurs, les ados et les parents nombreux à venir visiter le stand d’Alire dans les salons du livre y réagissent tous de la même façon : livre pour jeunes. Il faut alors expliquer que non, mais oui, pour bons lecteurs, etc. Pourquoi pas ? On veut les prendre jeunes, n’est-ce pas ? Mais compte tenu de l’abêtissement quasi généralisé des couvertures dans les collections de SF & Cie francophone, dans le but illusoire de « faire populaire en faisant BD » ou plus exactement en faisant « illustration de novelisation de jeu de rôle », j’ai trouvé ces deux couvertures extrêmement dérangeantes, voire inquiétantes. J’espère seulement que c’est un essai, en regrettant que ce soit ces livres-là qui en aient fait les frais.

Dans Secrets, Rel, l’hermaphrodite régnant sur les Huit Enfers, qui est à l’origine d’une profonde révolution dans ses royaumes (« Libérer les enfers est une tâche impossible ; c’est pourtant la seule qui ait un sens », p. 136), se confie à ses amis et à ses sujets, dans une série de récits sans mise en scène, avant de repartir pour le monde de Vrénalik avec quelques-uns d’entre eux. Une pause méditative dans la série ? Nullement. En fait, il se passe tellement de choses dans ces retours en arrière (et on en devine tellement plus encore) que j’ai eu l’impression quant à moi de lire un roman de palpitante action, ce qui n’est pas un mince paradoxe : en cette fin de siècle de l’image, on veut le direct, on veut voir, on ne veut pas se faire raconter ce qui s’est passé de passionnant, n’est-ce pas ? Eh bien, si, et ici ça marche – pour moi en tout cas.

Et en même temps, c’est aussi pour moi le livre à la spiritualité la plus profonde, la plus triomphante et la plus exaltante de la série. Sans tambour ni trompette, attention – c’est du Rochon. Dans les récits de Rel, il n’est pratiquement pas un moment poignant ou horrible qui ne soit désamorcé d’une façon ou d’une autre, le plus souvent par l’humour, ou par l’incongruité d’une réaction physique ou verbale dans la salle : Rochon ne fait pas, n’a jamais fait dans le pathos racoleur. Pour mémoire : « Comme il s’en rendait compte peu à peu, les êtres fragiles de ce petit monde extérieur sans envergure gardaient leur sens pratique. La dureté de leurs conditions de vie servait à contrebalancer ce que le déferlement de lumière et d’espace avait d’enivrant. Lui-même, au contraire, dont l’existence ici était trop facile et trop solitaire, était bien davantage qu’eux sujet à une exaltation délicieuse et inquiétante. » (p. 108)

Le style non plus ne vient pas vous tripoter indûment les cordes sensibles. Le contraste entre les énoncés et la voix calme, souriante ou neutre de Rel n’en est que plus frappant, tout comme l’apparente inadéquation de certaines réactions (cf. p. 124 : « Lame riait aussi. […] Elle s’était attendue à un récit mystérieux, émouvant. […] Si ça tournait à la farce, était-ce volontaire ? »)

Ni tambour ni trompette non plus, pas de tours de passe-passe dans l’organisation du récit : Rel a quelque chose à révéler, depuis son enfance jusqu’à maintenant, il va le faire pendant plusieurs jours, et ses auditeurs et lui vont se retrouver chaque jour dans la même salle : tout cela est strictement linéaire, même si le mode du récit change de temps à autre, parfois en « je », parfois en « il » (et même si Lame, vers la fin, nous livrera à son tour sa brève biographie). Le « message », lui-même, si on veut le voir comme tel, est celui qu’on peut retrouver partout chez Rochon, peut-être encore plus explicite et assumé ici que dans ses ouvrages précédents (je pense à une nouvelle comme « La Double Jonction des ailes » ou au roman Coquillage) : « Rongé ou non, damné ou non, l’univers repose dans l’espace insondable. Le désespoir n’a rien d’éternel. Horreur, désespoir ou douleur sont presque universels, presque infinis, presque invincibles. À cause de ce “presque”, de cet interstice ouvert, de cette faille impossible à combler, la bonté peut tout vaincre. » (p. 141) Ou encore : « L’apaisement n’est qu’un répit. La rédemption a finalement le même goût que la faute. C’est la version ouverte, intelligente, de la faute. » (p. 202)

Mais, comme dans les nouvelles, comme dans les romans, cette sobre et quasi minimaliste constatation (“presque”...) s’incarne dans des personnages, des décors, des situations tranquillement fulgurants, si je puis me permettre cette alliance de termes typiquement rochonienne.

À la fin de Secrets, on quitte Rel et ses compagnons posés au bord des enfers de feu, « la plaine enflammée où les damnés se tordent, à peine visibles et cependant présents. Bientôt, cela ne sera plus qu’un souvenir, une vision de plus : ils seront à l’extérieur, d’où les profondeurs secrètes du monde sont cachées. » Pourtant, en adepte non repentante de la maya, de l’illusion, de la fiction, j’attends avec impatience la suite de leurs explorations, extérieures comme intérieures. [ÉV]

  • Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 146-149.

Références

  • Chartier, Philippe, Québec Science, juillet-août 1998, p. 60.
  • Duchatel, Annick, Elle Québec, juillet 1998, p. 60.
  • Landreville, Annie, Le Mouton noir, juin 1998, p. 8.
  • Mercier, Claude, Proxima 4, p. 66.
  • Vonarburg, Élisabeth, Solaris 125, p. 42 et 51.