À propos de cette édition

Éditeur
Le Beffroi
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
157
Lieu
Beauport
Année de parution
1988
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[5 FA ; 4 HG]
Service pénitentiaire national
Une soirée commémorative
Les Dessous d’un fait divers
Les Treize
Une soirée d’hiver
Un cas d’ubiquité
Le Puits
La Gitane
Le 22 juin 1941

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Commentaires

Lire Negovan Rajic, c’est plonger dans un univers qui n’a rien à voir avec notre Amérique fastueuse, lascive et gâtée. Car l’univers de Rajic, c’est le passé, celui de la seconde guerre mondiale, celui d’une Europe en proie au démantèlement suprême, celui d’une jeunesse à jamais détruite – mais, paradoxalement, formée ! – par la folie des hommes et de leurs idéologies contraires.

Si le recueil ne forme pas véritablement un ensemble homogène, on y retrouve cependant toutes les tendances de l’imaginaire de Rajic. C’est dire que le lecteur sera convié aux souvenirs de jeunesse et de guerre, fortement autobiographiques, à l’anecdote cynique et philosophique, mais inviter aussi à débusquer ici et là l’absurdité des hommes.

Le fantastique tient une place prépondérante dans tout ceci – cinq nouvelles sur neuf empruntent carrément au genre – bien que le propos ne soit pas nécessairement axé sur la volonté de faire du. Non, Rajic s’impose plutôt comme le modèle même du philosophe expatrié, de l’observateur désabusé qui, au faîte d’une vie pleine d’enseignement, penche son regard à la fois sur son passé et sur celui de l’Homme afin d’en tirer certaines leçons et, surtout, de tracer une certaine voie pour l’avenir. Car, pour Rajic, il importe avant tout que l’avenir ne soit pas le triste reflet d’un passé qui s’oublie trop facilement et trop rapidement.

La nouvelle qui donne son titre au recueil annonce parfaitement les intentions. Ici, un Rajic expatrié en France et vivant d’expédients se surprend à être heureux alors que la majorité des gens qui l’entourent font la grise mine. C’est que lui se sait libre, puisqu’il a déjà connu l’état con­traire. De là à penser que tous devraient faire de la prison obligatoire afin d’apprécier la liberté, il n’y a qu’un pas. Et l’auteur d’imaginer le Service Pénitenciaire National…

À travers cette nouvelle, tout comme en lisant « Le 22 juin 1941 », épisode marquant d’une jeunesse prise dans l’engrenage de la guerre, ou encore « Les Treize », récit d’une embuscade, on se surprend à comprendre le ton souvent désabusé de l’auteur qui, avec la simplicité de sa plume et la rigueur de sa pensée, nous entraîne plus souvent qu’autrement vers des constatations d’échec d’une certaine société, d’un certain passé. Rares cependant sont les épisodes de rébellion comme dans « Le 22 juin 1941 » où on lira, suite à un passage montrant le rapatriement des employés de l’ambassade des États-Unis à Belgrade : « Pourquoi ces Américains avaient-ils plus de chance que nous ? À cause du hasard d’un lieu de naissance ou d’un passeport ?… Par quel hasard du destin ou par quelle malchance mes ancêtres avaient-ils choisi de vivre sur cette terre basse de l’Histoire où le flux et le reflux des invasions nous condamnaient à recommencer perpé­tuellement l’œuvre déjà si fragile de l’homme ? »

Faisant contrepoids à la gravité de ces textes plus ou moins autobio­graphiques, « Une soirée commémorative » ou  « Une soirée d’hiver » montrent que la vie suit quand même son cours avec ses hauts et ses bas. Encore là, l’observateur s’amuse à débusquer le cynisme et l’absurdité des gestes et pensées humains. La très courte prestation de la première nouvelle nous montre un Joseph K. revenu d’entre les morts – et d’entre les mondes imaginaires – assister à une soirée commémorative en l’honneur de son centième anniversaire. On s’en doute, il ressentira « … une profonde tristesse mêlée de suprise, une immense lassitude et [aura] un sourire amer. » Quant à la deuxième nouvelle précédemment citée, elle montre que l’homme, dans les pires conditions, peut toujours, s’il le désire, demeurer un modèle de charité et de bonté et que point n’est besoin d’une grande instruction pour pouvoir lire dans les yeux d’une personne sa valeur réelle.

Quant à la veine absurde de Rajic, elle est toute présente avec « Le Puits », nouvelle qui préfigurait le roman Sept roses pour une boulangère et qui en forme la partie la plus déroutante.

Pour finir le tour d’horizon de l’imaginaire de ce recueil, il y aura des pièces un peu plus légères comme « Les Dessous d’un fait divers » ou « Un cas d’ubi­quité », sans grande conséquence sinon celle de délasser un peu le lecteur bien qu’encore là, l’auteur ressente le besoin de faire œuvre cynique dans la première – la suffisance des hommes en place et l’insuffisance de ceux qui ne jurent que par l’ambition aveugle – ou ambiguë dans la seconde en tentant de démontrer l’irréalité de la réalité ou l’illusion que cette même réalité qui a vu naître et mourir des peuples soit immuable.

En tout, donc, neuf nouvelles de bonnes qualités, sinon égales, où l’auteur, grâce à une écriture sobre et bien articulée, montre diverses facettes d’un homme qui, malgré les aléas de la vie, a su garder en lui cette parcelle de joie de vivre qui, quand elle est partagée par plusieurs, préfi­gure le bonheur des peuples. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 141-143.

Références

  • Greif, Hans-Jürgen, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 793-794.
  • Pelletier, Francine, Solaris 84, p. 23-24.