À propos de cette édition

Éditeur
Sivori
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
214
Lieu
Blenheim
Année de parution
1996
ISBN
2980075914
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Pendant qu’il attend de joindre son contact en Égypte, Richard, un agent secret sous la couverture d’un journaliste, séjourne à Jérusalem. Il a reçu la mission de mettre la main sur une partie encore inédite des manuscrits de la Mer Morte. Comme le document pourrait provoquer des remous autant religieux que politiques, ses employeurs souhaitent récupérer l’objet et continuer d’en taire la découverte. Au hasard de son exploration de la ville, il fait la rencontre d’une femme, Samarra, qu’il a la certitude d’avoir déjà croisée dans plusieurs vies antérieures. Elle partage d’ailleurs cette conviction. Les deux êtres se sentent liés par des sentiments qui remontent à la nuit des temps. Hantés par les mêmes rêves, les mêmes visions, ils revivent ensemble des événements et des drames vécus à d’autres époques, tout au long de l’histoire de l’humanité.

Ça commence au Gondwana où, encore Australopithèque, il perd sa femelle massacrée par d’autres membres de la tribu. Il la retrouve à Jéricho, huit mille ans avant notre ère ; parmi les Vikings conquérants lorsqu’il se porte à la défense d’une nonne de Fécamp ; en légionnaire romain sous la dynastie d’Auguste lors du siège de Jérusalem ; en chevalier croisé qui court sus aux Sarrasins ; en mandataire d’Akhenaton, sur les lieux d’un sacrifice humain dans le désert du Néguev ; en musicien esclave des autorités du camp, à Auschwitz. Dans ces autres vies, c’est toujours elle qui écope et c’est souvent lui qui déclenche le massacre. Or, dans l’ici et maintenant, on enlève Samarra et on la détient en otage pour le forcer à remettre le manuscrit en d’autres mains que celles, prévues, des commanditaires.

En route vers l’Égypte pour prendre livraison du manuscrit, il s’éprend d’une soldate israélienne, une autre femme qu’il a croisée dans une vie antérieure, à qui il raconte tout. Ils élaborent une façon de tourner la situation à leur avantage. La suite de sa mission ne se déroule cependant pas comme prévu. Après avoir récupéré le document, il tente de le rendre public mais les autorités l’attrapent et l’emprisonnent. À sa libération, on lui offre la citoyenneté israélienne à telle fin qu’il puisse ainsi retrouver sa Pénélope soldate.

Commentaires

Commençons par les fleurs : du point de vue de l’écriture, ce texte a tout pour plaire. Grâce à son impressionnante maîtrise de la langue, l’auteur compose de nombreux passages brillants à l’écriture souvent lyrique, toujours bien calibrée et modulée selon les situations. Il démontre aussi une richesse exceptionnelle de vocabulaire, d’images et d’expression. La narration fluide, en prise directe sur l’action, révèle de belles qualités de conteur. La construction du récit impressionne par sa solidité et son efficacité : la dimension fantastique, la notion de réincarnation, d’ailleurs fort bien exploitée, raccorde avec ingéniosité les quatre composantes du récit, soit un roman d’espionnage, une histoire d’amour, un guide touristique et des fragments d’essai philosophique et idéologique. Mais si les hauts standards d’écriture arrivent à escamoter une direction littéraire déficiente, un travail d’édition amateur, des coquilles fréquentes, une typographie et une mise en page fantaisistes, ils n’arrivent pas, cependant, à masquer les faiblesses majeures du contenu, du fond.

Autrement dit, tout le problème de Shalôm se trouve dans l’écrit plutôt que dans l’écriture, dans ce que l’auteur dit plutôt que dans sa manière de le dire. Dans la première composante du texte, le roman d’espionnage, le lecteur doit se contenter d’explications tronquées et de nombreux passages elliptiques comme autant de bouche-trous pour camoufler les lacunes dans l’imagination de l’auteur et les faiblesses de l’intrigue. L’intérêt s’étiole à suivre des voies sans issue, qui n’éclairent pas l’action, qui ne répondent pas aux nombreuses questions soulevées. On ne sait rien des partis qui s’affrontent ni pour quels enjeux ils se battent. L’histoire d’espionnage manque donc de substance et donne l’impression d’avoir été bâclée. Qui pis est, le narrateur, qui se présente comme un espion d’expérience, n’a aucune crédibilité. D’une naïveté renversante, il se comporte en amateur du début à la fin. Loin de se montrer discret, il exprime des opinions sur tout à qui veut l’entendre. Individualiste forcené, il finit toujours par trahir son peuple, ses pairs, ses alliés ou ses partenaires. Et ses patrons – qui sont-ils d’ailleurs ? – n’en sauraient rien ?

La deuxième composante fonctionne mieux, l’histoire d’amour entre Richard et Samarra accroche le lecteur d’entrée de jeu. Mais ça se gâte avant qu’on en soit aux trois quarts du récit alors que l’auteur profite de l’enlèvement de Samarra pour liquider son cas. On n’en entend plus parler. C’est elle, sa promise depuis des millénaires, que Richard abandonne sans sourciller. Pourtant, la table était mise pour un approfondissement de cette idée d’amour atavique, voire éternel, entre deux personnages qui se réincarnent, et pour son aboutissement. Il faut dire qu’en cours de route, l’auteur se mélange les pinceaux entre sexe et amour et qu’à partir de là, sa dérive ne fait que s’accentuer.

Et puis le personnage de Richard ne se reconnaît aucune loyauté ; il se montre si égocentrique qu’il n’accorde pas d’attention aux sentiments des autres. Malgré ses emphatiques professions de foi, il ne cesse, au cours de toutes ses réincarnations, de sacrifier l’Amour – avec une majuscule s’il vous plaît – en échange de sa propre liberté et de son propre confort. Pour finir, il brade cet amour éternel en échange de la nationalité israélienne et de la compagnie d’une jeunette et fière combattante de Tsahal – une sacrée bonne baise, quand même… –, du genre qui poste des égoportraits avec des prisonniers palestiniens tenus en laisse, comme des chiens. (Oui, je sais, Facebook n’existait pas en 1996).

Dans la troisième composante du roman, l’auteur se fait chroniqueur touristique et chantre des magnificences d’Israël. Sa glorification dithyrambique des paysages, de l’histoire et du territoire de la Palestine (sans toutefois qu’on ne rencontre un seul Palestinien, sans qu’il ne soit question, sinon une fois et de manière allusive, du peuple palestinien étouffé par la colonisation et l’oppression israéliennes), sa visite des lieux clés de la religion juive nous présentent un pays si merveilleux qu’on voudrait y vivre, voire y émigrer sur-le-champ. Il s’épanche sur le bonheur suprême de se trouver là où tout a commencé et où tout finira sans manifester le moindre esprit critique. Cette promotion touristique constitue la partie la mieux réussie du roman. L’auteur répondait-il donc à une commandite ?

Dans la quatrième et dernière composante, l’auteur se pose en philosophe et en idéologue. Il présente sans grande rigueur ses propres conceptions manichéennes où l’amour (pardon, l’Amour) et le néant remplacent le bien et le mal. Il soumet d’ailleurs son personnage, tant dans ses perceptions que dans ses comportements, à ce filtre réducteur, ce qui justifie toutes les bassesses, toutes les inconséquences et toutes les trahisons. Richard apparaît ainsi comme un personnage à l’individualisme exacerbé, libertaire, profiteur, voire barbare. L’amour dont il se réclame, est-ce de toujours se ranger du côté des vainqueurs, du côté du plus fort ? Il se découvre, depuis son arrivée en Palestine, un sentiment irrésistible, un lien puissant au territoire et au peuple d’Israël. Il promeut d’ailleurs un sionisme radical, béat, aveugle, dans le même temps où il condamne toute forme de nationalisme.

Dans cet ordre d’idées – je me permets d’en parler parce qu’il traite le sujet à plusieurs reprises –, il vitupère avec férocité le nationalisme québécois alors même qu’il démontre une ignorance crasse de ses fondements et de ses motivations. Il mélange ainsi le FLQ et les syndicats de travailleurs, il amalgame la volonté souverainiste d’une partie du peuple, volonté pourtant considérée légitime par la Cour suprême du Canada, avec le terrorisme. Mais quel but poursuit-il donc à se faire ainsi l’écho d’une si vicieuse propagande ? Profiter d’un roman pour passer des idées de cette nature n’a rien d’une entreprise littéraire. Un récit c’est un récit, pas un éditorial digne de la pire des radios poubelle.

Si Porée-Kurrer veut écrire des essais, qu’il en écrive, mais qu’il n’essaie pas de les déguiser en mauvais roman. D’autres avant lui, qu’on pense à Faulkner, à Céline, à Knut Hamsun ou à Ernst Jünger ont pu s’affranchir, dans leurs œuvres du moins, des idéologies toxiques qu’ils professaient. Dans ses « Notes et remerciements » en fin de volume, l’auteur explique avoir tenté de remonter aux sources du sentiment amoureux et du sentiment d’appartenance, soit à une terre, soit à un peuple, soit à une communauté. Sur la foi du texte qu’on tient entre les mains, il faut bien admettre qu’il n’a pas atteint son but. [RG]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 165-167.