À propos de cette édition

Éditeur
Voix du Sud/CIDIHCA
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
212
Lieu
Montréal
Année de parution
1992
ISBN
2920862677
Support
Papier

Commentaires

Certains l’ont, d’autres pas. En matière de fantastique ou en quoi que ce soit d’autre, on peut toujours classer les gens de cette façon. En tant que fantastiqueur, Stanley Péan appartient incontestablement à la première catégorie. Avec lui, c’est du vrai, et on ne risque pas de tomber sur des petits trucs poétiques et évanescents dont on ne sait trop que penser. La lecture de son premier recueil, La Plage des songes, avait été des plus agréables, et nous n’avons pas hésité à le considérer comme un des meilleurs recueils fantastiques jamais publiés au Québec. L’effet ne se dégageait pas d’un texte en particulier, mais de l’ensemble. La Plage des songes était et demeure un recueil envoûtant. Quatre ans et un roman plus tard, Péan revient à la charge avec un deuxième recueil, Sombres Allées. Que peut-on en dire par rapport au premier ?

Il faut d’abord savoir que Sombres Allées n’est pas absolument postérieur à La Plage des songes ; les dates de certaines des nouvelles qui les composent se chevauchent. On peut donc supposer un choix de nouvelles qui tend vers une direction particulière. Dans les faits, il se dégage quelque chose de plus urbain de Sombres Allées. Qu’il s’agisse de décor, de thème, des préoccupations des personnages, ou simplement de la manière de présenter les choses, Sombres Allées possède une touche nord-américaine plus marquée que le recueil précédent, et il vise davantage la création d’angoisse.

Cette américanité ne saurait étonner de la part d’un écrivain qui a depuis longtemps reconnu sa dette envers les créateurs d’angoisse des années cinquante, les Bloch, Matheson et autres Beaumont. S’il est leur héritier, c’est comme d’autres écrivains d’horreur américains actuels ; plusieurs nouvelles de Péan ne dépareraient pas quelques volumes de la regrettée série d’anthologies Shadows, qu’animait Charles L. Grant.

Le sentiment d’exil qui hantait le premier recueil s’est métamorphosé ; ce n’est plus celui de la terre natale, l’exil est maintenant plus intérieur. La lointaine Haïti est toujours là (elle hante une nouvelle comme « Athénaïse », par exemple) mais elle a reculé devant le béton d’ici. L’âme haïtienne jadis exilée est maintenant bien enracinée dans son pays d’adoption et ses ramifications s’étendent à toutes les couches de la société, de la ruelle la plus crasseuse au bureau le plus somptueux, de la conscience la plus saine à la plus détraquée.

Sombres Allées contient un bon échantillonnage de ce qu’un amateur de fantastique souhaite trouver. Dans « Instinct meurtrier » ou « Déjà vu », par exemple, une accumulation de petits détails plonge un personnage dans la confusion, une confusion qui débouche bientôt sur l’angoisse. Puis le lecteur réalise soudain qu’il est lui-même gagné par cette angoisse. Facile de parler de ces sentiments pour un auteur, mais bien peu savent les faire partager réellement au lecteur.

Le côté sordide de l’urbanité est très présent dans ce recueil. On le trouve dans la tête du pusher de « Sombre Allée », dans l’unité minable d’un petit motel de « Heartbreak Hotel », ou dans les matamores de polyvalentes qui, le soir, hantent les rues sombres.

À tout cela s’ajoute une constante péanienne : la vraisemblance des personnages. Comme c’est son habitude, il a suffisamment approfondi ceux-ci (ou alors il a créé un substitut suffisamment crédible) pour qu’on y croie ; on a bel et bien affaire à du vrai monde (ou on a suffisamment de raisons de croire en eux), et c’est justement parce qu’on a accès à leur intériorité qu’on parvient en tant que lecteur à partager leur angoisse ou leur désespoir. Dans une excellente ghost story, « La Persistance de la mémoire », Péan fouille habilement dans la vie d’un baby-boomer confronté à l’échec de son existence qui trouve une voie de salut dans la personne d’un revenant. Croyant revivre ce passé qu’il croyait à jamais perdu, il se rend bientôt compte qu’il est plus irrémédiablement perdu qu’il ne le croyait.

Dans « Mal de mère », par contre, la pâte lève moins bien. Le thème était peut-être trop ambitieux pour le cadre restreint de la nouvelle et la peinture des personnages manque de fini et de crédibilité. Les gestes sont forcés, gratuits, la conclusion ne frappe pas par son inévitabilité. Un thème qui aurait mérité un traitement plus large.

Cette habileté à dessiner ses personnages, Péan en a rarement aussi bien fait preuve que dans « Minuit à tout jamais ». Bien que celle-ci n’appartienne pas à un des genres couverts par L’ASFFQ, on n’oubliera pas facilement cette confession bouleversante d’une victime d’inceste, brisée par son expérience, qui voit peu à peu son univers se réduire à sa seule terreur des hommes. En bon fantastiqueur, Péan connaît son suspense et il livre la marchandise goutte à goutte, confiant que chaque information fera monter l’inquiétude d’un cran. C’est à travers la chronologie embrouillée d’un cerveau détraqué (ou trop lucide ?) qu’on suit le développement de la désintégration psychique de la narratrice. Une nouvelle qui fait agréablement (et désagréablement) travailler les méninges. Un des textes les plus sombres de Péan et sans doute son plus réussi.

On aimera ou on détestera, selon les tempéraments (pour notre part, nous aimons bien), « Sombre Allée » ou « Le Long Chemin du retour », textes qui résistent au questionnement et à l’analyse. Dans un revirement de causes et d’effets, le narrateur de « Sombre Allée » comprend qu’il a commis un meurtre quand on procède à son arrestation. Mais on ne comprendra jamais qui est Sandra, la victime, ni en quoi le narrateur est relié à sa mort. Quant à celui du « Long Chemin du retour », est-il en proie à la folie ou se meut-il dans un décor de cinéma, « exilé dans une cité au seuil de la réalité » ? Au lecteur de décider.

Il y a aussi un Péan plus léger, on le sait, qui apparaît régulièrement. C’est celui, par exemple, d’« Invitation à souper » où il renoue avec un certain bonheur avec une manière de fantasmagorique hoffmannien servi à la sauce moderne. Où commence le fantastique, où finit-il, c’est la question que se pose aussi la narratrice, et il n’est pas certain que nous trouvions la réponse. Péan s’amuse et le lecteur aussi.

C’est malheureusement un Péan trop léger qui signe « Pas raciste pantoute ! » S’il fallait trouver une ombre au tableau, une faiblesse à ce recueil, ce serait assurément cette nouvelle, où dès le premier bruit suspect en provenance d’en haut, le lecteur a deviné pourquoi le père ne mange pas avec les autres, et pourquoi il a malgré tout si hâte de le « connaître ». Non seulement sait-on vers quoi on se dirige, mais on en vient à croire que l’auteur nous réserve un retournement pour nous confondre. On se demande de quelle façon Péan va traiter le cliché et on se prépare à tout. Or… Une nouvelle qui aurait été la bienvenue pour un auteur moins doué, mais qui est indigne de celui qu’est devenu Péan.

En résumé, un recueil moins unifié et plus inégal que La Plage des songes, traversé cependant par certains des meilleurs moments de l’œuvre de Péan. Un livre qui ne déparera certes pas votre rayon fantastique québécois et un savoureux hors-d'œuvre en attendant son prochain roman. [CB/GS]

  • Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 146-149.

Références

  • Klaus, Peter, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 760-762.
  • Latulippe, Martine, Impact Campus, 02-02-1993.
  • Ollivier, Dominique, Images, vol. 2, n˚ 2, p. 21.