À propos de cette édition

Éditeur
Des Plaines
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
118
Lieu
Saint-Boniface (Manitoba)
Année de parution
1990
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Cyriac, danseur aux Grands ballets canadiens de Montréal, est victime de faits étranges. Pour mieux suivre leur progression, il rédige un journal personnel dans lequel il relate, sans rien dissimuler, la prise de possession de son corps et de son âme par Vaslav Nijinsky, grand danseur russe mort en 1950. Tout d’abord, il y a sa ressemblance physique avec le célèbre danseur qui le trouble, puis, après s’être renseigné, la similitude de ses goûts et de ses manies. Trois personnages mystérieux, ressemblant eux-mêmes à des proches de Nijinsky morts depuis longtemps – Diaghilev, Fokine et Romola de Pulszki, respectivement maître des Ballets russes, chorégraphe de Nijinsky et épouse du danseur –, le guident dans ses découvertes. Petit à petit, Cyriac décroche de la réalité cependant que son talent se décuple et que son apparence rappelle de plus en plus Nijinsky. Mais ses amis veillent. Tania, Fulcrance et Jean tentent de l’abstraire de son travail, ne comprenant pas les tourments du jeune homme. Ils attribuent son air hagard et sa détresse physique au surmenage – Cyriac a été nommé premier danseur dans une œuvre où Nijinsky a lui-même excellé à l’époque. Malgré leur acharnement, Cyriac se change en véritable sosie de Nijinsky. Chaque soir, il discute avec le fantôme de l’artiste qui l’attend à son appartement ; dans la journée, il travaille sans relâche sous les ordres de Diaghilev. Cet étrange personnage, d’ailleurs, n’est-il pas lui-même, tout comme ses deux compagnons, un sorte de fantôme puisqu’il a tendance à s’évanouir de la mémoire des autres membres de la troupe dès qu’il n’est plus dans les parages ? Le jour de la première, Cyriac est éblouissant. Pourtant, ses amis craignent pour la dernière scène où le personnage qu’il joue doit se poignarder à mort…

Commentaires

Je ne connaissais pas le nom de Nadine MacKenzie avant de trouver par hasard ce petit bouquin publié par les éditions des Plaines. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, dans la page des crédits, qu’on lui attribuait sept autres titres. Je n’ai pu, jusqu’à présent, trouver ces titres, je ne pourrai donc placer Le Sosie de Nijinsky dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteure. C’est malheureux car j’ai noté plusieurs faiblesses dans ce roman, des faiblesses assez singulières chez une auteure ayant publié autant de livres.

Premièrement, voyons la structure narrative. Le journal intime se présente rarement sous la forme d’un récit. Le narrateur se racontant à lui-même des faits qu’il connaît déjà, on s’attend à ce qu’il analyse plutôt ces faits au lieu de les relater. L’écriture sera donc généralement directe et sans fioriture, parfois descriptive et informelle, parfois – souvent – psychologisante, mais jamais récitative. Pourtant, c’est ce que l’on retrouve ici.

Deuxièmement, et pour faire suite à ma première remarque, l’emploi du présent pour décrire l’action enlève de la crédibilité. Comment peut-on écrire dans son journal « La sonnerie de la radio-réveil me tire de mon sommeil épais et visqueux avec un bruit effroyable, vu que le volume est à son maximum. [...] ...il faut bien que je me lève. » (p. 40). N’y a-t-il pas là une aberration ? De plus, le lecteur averti aura sans doute remarqué la qualité moyenne de cette phrase. Exagérément prolixe dans le détail anodin, elle apporte peu d’information véritable au lecteur. Et encore moins à celui qui écrit son journal, pense-t-on aussitôt. Encore une fois, je crois qu’il y a erreur sur le traitement.

Ce qui amène à parler de phrases incongrues ou d’informations contradictoires. Un exemple, pris à la page 10, pour illustrer ce problème qui se multiplie un peu partout dans le livre : « Deux jours passèrent. La semaine suivante, alors que j’arrivais tôt le matin à… ». Remarquez, en plus de l’imprécision, que nous nous trouvons toujours dans le journal intime de Cyriac !

Toujours dans notre lecture, on observera très tôt des arrivées et départs subits de personnages qui, d’une ligne à l’autre, existeront ou disparaîtront comme sur un coup de baguette magique – comme les trois Russes, pourrions-nous dire. Ainsi Tania, l’amie de Cyriac, surgit soudainement dans le décor, ainsi Madame Aurol quitte-t-elle – une crise cardiaque ! –, ou Jean, ou Fulcrance, etc.

Enfin, il y a les invraisemblances. Que trois Russes prennent en main la vie de Cyriac pendant plusieurs semaines et qu’il ne sache toujours pas leurs vrais noms, qu’ils se promènent partout dans la Maison de la Danse sans que personne ne se pose de questions – non parce qu’ils sont invisibles puisque plusieurs savent qu’ils sont Russes – passe encore. Mais que Tania, danseuse elle aussi, n’ait jamais entendu parler d’eux, c’est difficile à croire. D’autres accrocs comme ceux-ci enlèvent beaucoup de crédibilité à ce qui nous est raconté. D’autant plus qu’il s’agit d’une histoire qui oscille entre l’envoûtement et la folie. Notre homme sombre-t-il dans l’aberration mentale, tout comme l’a fait avant lui Nijinsky, ou est-il véritablement aux prises avec une suite d’événements fantastiques ?

L’épilogue, écrit par Tania, nous oblige à croire à l’hypothèse fantastique, puisqu’elle se rappelle vaguement ces personnages russes malgré l’absence de preuves tangibles. C’est d’ailleurs là le point le plus intéressant de ce petit roman, cette présence du fantastique qui tend à effacer les traces de son passage dans le réel. Comme s’il n’avait été qu’un rêve dont le souvenir s’effiloche inexorablement, comme s’il tendait à se confondre volontairement avec les schèmes qui demeurent acceptables dans notre monde moderne : ceux de la névrose, de la schizophrénie, du surmenage et de la folie.

Un livre plus ou moins réussi, donc, que ce Sosie de Nijinsky. Malgré son sujet intéressant et son approche renouvelée d’un certain fantastique, il ne prendra jamais son envol, trop alourdi par ses problèmes internes. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 121-123.

Références

  • Dubé, Yves, Lettres québécoises 60, p. 53.